Mon dernier voyage à Paris remonte à si loin, facilement plus de 10 ans, que j’en ai perdu la trace. Ce passage du temps m’étonne en soi, puisque c’est une ville où j’ai déjà vécu, où j’ai eu mon premier enfant et où j’ai maintes fois séjourné par la suite.
Je suis quand même restée intéressée par l’actualité de là-bas, et j’étais particulièrement attentive quand mon entourage qui y passait me racontait à quel point Paris avait changé : plus propre, avec des trottinettes électriques et des vélos qui font une vraie concurrence à la voiture, et de l’anglais partout.
Ainsi prévenue, j’étais très curieuse de constater à mon tour l’état des lieux. Or, je me suis envolée la semaine dernière pour un séjour en France qui va s’étendre jusqu’à l’été — la première étape étant Paris.
Je l’avoue, question langue, je tiquais avant même d’arriver. Les slogans et les expressions en anglais qui nous parviennent de France et dont on trouve des traces à la moindre lecture de journaux et de magazines français — dont je suis une grande consommatrice — m’agacent énormément. J’étais donc convaincue que là-bas, je passerais mon temps à râler.
Surprise : ce n’est pas le cas ! Je trouve même que la place accordée à l’anglais est anodine : un artifice qui se noie dans un décor linguistique qui, fondamentalement, est resté le même.
Le Parisien moyen déploie toujours une richesse de vocabulaire inconnue ici, et ces mots sont insérés dans des phrases bien construites, avec un souci de précision pour exprimer sa pensée.
J’ai beau tendre l’oreille pour percevoir l’anglicisation en cours, notamment dans les commerces dont l’enseigne s’affiche en anglais, seul le français se fait entendre. Ou plutôt, dès qu’une expression anglaise se glisse, elle est vite avalée par le reste de la phrase qui suit en tous points les règles grammaticales propres au français. Et je ne parle même pas des débats télévisés (la réforme des retraites fait qu’on peut en écouter pendant des heures !) où un français de haute tenue prévaut malgré la spontanéité des échanges.
Du coup, je suis rassurée !
Et j’ai compris que partant pour Paris, je m’attendais à débarquer à Montréal. J’étais convaincue que j’allais faire face à la confusion linguistique qui caractérise désormais la métropole du Québec, alors que c’est un enjeu qui finalement nous est propre.
À Montréal, même dans les commerces et les restaurants qui portent des noms français, même là où le service est offert en français, il arrive très souvent que les employés, y compris des francophones, parlent entre eux en anglais — comme si le français était la langue de communication imposée dans l’espace public, mais pas celle dans laquelle on préfère vivre.
À l’inverse, on peut aussi entendre des échanges tout en français, mais construits en suivant la structure anglaise, une incorrection linguistique qui passe pourtant inaperçue dans nos débats sur la langue.
À quoi s’ajoute le fait que nos conversations en français sont maintenant émaillées de termes anglais — ce que représente parfaitement la désormais célèbre publicité du faucon pèlerin lancée par le gouvernement caquiste pour témoigner du déclin du français. Elle se veut caricaturale, mais elle ne l’est pas tant.
Les expressions en anglais sont en fait si répandues et si intégrées que même quand on a le souci de faire attention et de chercher les mots français pour les remplacer, ceux-ci ne viennent pas spontanément. Nos politiciens eux-mêmes en ont donné moult exemples récemment.
Je fais le même constat de mon côté. M’exprimer, à l’oral comme à l’écrit, est mon métier, et je crois que la sauvegarde du français est un combat essentiel. Pourtant, j’ai constamment l’impression d’avoir pour réflexe l’emploi d’expressions ou de tournures anglaises. Je dois faire un effort pour trouver leur pendant français.
Le pire, c’est qu’on s’y fait.
J’ai écrit l’an dernier une chronique sur la disparition du français dans l’Ouest canadien, qui m’a valu de vives critiques de la part de francophones de ces provinces. Ils préservaient une vie en français dans leurs communautés et ne voulaient pas entendre qu’un visiteur de passage était exclu de leur réalité, qui reste en marge du fonctionnement général de la société. Ils se sont faits à la situation.
Depuis que je suis en France, je fais le même constat pour Montréal.
Bien sûr que je vis en français dans ma ville, mais quand j’entre dans un commerce, au centre-ville tout comme dans beaucoup d’autres quartiers dont le mien, pourtant typiquement francophone, je n’ai aucune garantie que le service me sera donné en français. Pareil pour les livraisons, pareil quand je prends un taxi. Pareil même à l’hôpital quand le seul fait d’habiter dans l’ouest de l’île vous oblige à fréquenter le réseau anglophone, où les échanges en français fluctuent selon le personnel disponible.
Par ailleurs, je ne compte plus le nombre de fois où mon interlocuteur ne connaît que quelques mots de français et, loin d’en être gêné, me fait bien comprendre que le problème est de mon côté.
Je m’en désole, mais je m’y suis habituée (quoique visiblement moins que ces francophones qui contestent l’idée même d’une anglicisation marquée de Montréal !). Comme j’adore cette ville, défauts compris, je contiens mon agacement pour plutôt retenir ses atouts.
Mais dès mon arrivée en France, en fait dès l’aéroport, j’ai retrouvé le plaisir de vivre dans une société où l’insécurité linguistique n’existe pas.
Le commis, le chauffeur de taxi, la dame du café qui s’adressent à vous en français ; les employés qui s’échangent des blagues dans cette langue ; les ados qui se lancent dans des envolées verbales où l’on cherche en vain les mots « sick » ou « insane » ; les modes d’emploi ou l’étiquetage des produits où domine un français compréhensible… : tout cela fait partie de l’ordre des choses. Et j’avais oublié à quel point cela allège la vie quotidienne pour un francophone.
Que dans ce contexte se glissent des expressions qui témoignent de l’anglolâtrie des Français m’apparaît donc bien moins menaçant que je ne l’aurais cru, vu de Montréal. À l’inverse, depuis que je suis à Paris, mon inquiétude à propos de l’effacement du français chez nous a grimpé d’un cran, peut-être même deux.
Article très intéressant. Merci beaucoup!
Au Québec et particulièrement dans la grande région de Montréal, la seconde langue de communication commune, lorsque ce n’est pas la première, est l’anglais. Il y a beaucoup plus de réseaux linguistiques et de communication (télévision, radio, musique, internet,etc) en anglais qu’en français. En France ce n’est pas le cas. À part une élite instruite, presque personne ne parle ni ne comprend l’anglais. Le deuxième langue courante en France est l’arabe, pas l’anglais. Par contre ce qui est énormément déplaisant en France est l’utilisation de mots anglais par cette supposée élite intellectuelle ( politiciens, gestionnaires, scientifiques, technologues, publicitaires …) alors que les mots français existent. Emmanuel Macron en est un bon exemple avec son » health hub ». Pour eux cela parait « cool » et moderne. Au Québec on appelle cela être colonisé.
Intéressante réflexion. Je ne suis pas d’accord sur tout, par contre, moi qui suis un Québécois à Paris depuis un an. Par exemple, les Parisiens restreignent beaucoup le champ sémantique de certains mots, pour lesquels ils n’admettent qu’une ou deux acceptions alors qu’au Québec nous en admettons davantage. Une salle est une salle par exemple, pas permis de dire que c’est aussi un local. Si vous ne dites pas pain au chocolat, vous allez au bûcher. Et ainsi de suite…
De bons mensonges madame. Je suis actuellement dans la région parisienne et l’anglais avance. Pas aussi vite qu’à Montréal, mais il avance inexorablement.
Je ne sais pas si madame se trompe ou non, mais lui dire qu’elle nous ment, donc qu’elle cherche sciemment à nous tromper, c’est l’insulter sans qu’elle l’ait mérité, vous ne trouvez pas?
Y a-t-il une minorité anglophone à Paris? Il me semble que vous escamotez le fait que Montréal compte parmi sa population un bon nombre de citoyens et citoyennes anglophones, ce qui expliquerait la présence d’institutions où ça parle anglais.
Si, à Montréal, des employés francophones parlent anglais entre eux, ça les regarde. Je ne les applaudis pas, mais j’aurais certainement envie de leur demander pourquoi.
La qualité de la langue française m’interpelle, mais je blâme les premiers intéressés, soit les francophones qui la massacrent, par ignorance ou par complaisance. Écoutez nos élus, écoutez nos « vedettes ». Écoutez les enseignants du français qui trouvent la grammaires trop complexe. Le problème est vaste, et vous l’effleurez en comparant une pomme avec une poire.
Merci Josée pour cette saine mise au point. Je vais souvent en France et je m’évertue sans cesse de mon côté à dire que le français se porte bien en France et que l’anglolâterie (quel bon terme) n’est qu’une mode (un peu ringarde d’ailleurs) qui n’a rien en commun avec la véritable menace que représente le français au Québec et au Canada. Et là vous êtes à Paris…Allez dans le Val de Loire ou dans le midi et vous constaterez un écart encore plus grand. Bon séjour. JJS
Très pertinent exposé et sagace réflexion.
À l’heure où s’appesantit-on tellement sur l’autre volet de la québécité
l’effrénée, trop « engagée » et influente catholicité de siècles passées
ne vaudrait-il pas la peine de se rediriger vers ce dernier volet censé…
en être le premier qu’est censément sa francité («canadiens français»)?
Fut un temps où entendait-on couramment que Montréal était seconde
plus importante ville francophone au monde…
Eh bien, aujourd’hui, on se demande s’il ne faudrait dire qu’elle serait
la (seconde?) plus importante ville bilingue.
Nier ce fait, c’est comme avoir nié que le troisième lien à Québec tel
que présenté, ne tenait ni ne tiendrait jamais la route (l’cas d’l’dire).
Alors, c’est quoi le Problème? En profondeur? On ne s’aime pas.
Il est là le problème.
On n’est PAS fiers.
Contrairement à ce qu’affirmait Gilles Duceppe, en déplorant que
les Québécois lui aient tourné le dos
et non moins contrairement à ce que n’en finit jamais d’ânonner
l’actuel PM/Q essayant de faire croire que le Québec serait le
peuple le plus fier et solidaire au monde. Pathétique.
Il n’est rien de comparable, rien, entre ce qu’a été politiquement
le Québec lors du premier lustre de la décennie 60 et le dernier
lustre des années 70, et ce qu’il est maintenant avec la ‘CrAQ’:
Fissure(s).
Il n’y a plus d’estime de soi dans l’air, comme en avaient été à la fois
emblème, promoteur inédit la loi consacrant le français et son père
Camille Laurin en 1977.
Tant, donc, que n’s’r’«aimera»-t-on ou n’s’r’«estimera»-t-on pas – soi
comme avait-ce été le cas lors de la grande libération des années 60
et l’affirmation de la fin des années 70; c’ira comme va-ce là, moche.
« Le Parisien moyen déploie toujours une richesse de vocabulaire inconnue ici, et ces mots sont insérés dans des phrases bien construites, avec un souci de précision pour exprimer sa pensée. »
Madame parle bien du « Parisien moyen » !…
Pourquoi pour nous, serait-ce impossible ou trop ardu de parler en phrases bien construites? Moi ai-je observé que la chose s’avère remarquable même chez les tout jeunes (enfants), s’exprimant significativement mieux que les ‘petits Québécois’. Pourquoi?
Pourquoi, oui, nous, faudrait-il donc r’accorder autrement le participe passé, plutôt qu’apprendre ses règles? Il est une différence, en effet, et toute une, entre créer un mot intelligent, tel ‘courriel’, et (vouloir) réformer de grands pans de structures d’écriture ou de phrasés. Quid, alors, des centaines de millions de locuteurs — (et surtout d’écrivants) — dont les dits ne « correspondraient » plus?
Oui, vrai, bien d’accord, pas facile la langue française et ses participes passés.
Mais là n’est pas le principal problème Q. Qui n’est pas le participe passé mais…
le « participe p’assez »… Au monde. Le « Québécois moyen », pour paraphraser
est comme en retrait du monde. Pas intéressé. Ah…
Il aurait de qui t’nir; ou à qui ressembler; qui imiter; sur qui se modeler…
Son PM/Q n’est-il pas lui-même, fier comptable, à qui ne peut-on se fier?
Sur qui ne peut-on compter? Ne sachant pas lui-même le coût du nouveau
grand projet collectif qu’il dit (re)présenter ou… ne voulant en faire part à la
population?
En l’un ou l’autre cas, n’est-ce pas pathétique? Le peuple ne serait assez ‘grand’
pour qu’on « lui dise »; ou le premier citoyen considérerait sans intérêt de savoir
lui-même non plus ce qu’il en coûtera[it] de faire ce qu’il dit ambitionner de faire…
Vraiment, on est dans tout un tunnel, Québécois.
Aujourd’hui, deux textes in Le Devoir, proche de notre singulière problématique.
L’un déplorant, justement, qu’«il est quand un peu gênant de devoir applaudir un chef qui fait continuellement le contraire de ce qu’il dit.» Et «qu’il y a des limites à se moquer du monde».
L’autre alléguant que serions-nous, Q, « un peuple de sans-papiers ». Parce que
« non constitués », sans constitution propre, nôtre.
‘Pas pire’, hein: « sans opinion », « sans histoire », « sans culture ou littérature »,
jadis; maintenant « sans-papiers » ?
Bref, on peut certes faire mieux, ‘être’ mieux.
Pour ce faudra-t-il entendre ou écouter d’autres discours que celui d’un qqn
n’en finissant jamais d’ânonner que serait-on les plus meilleurs au monde pour
ci et pour ça; pour quasi tout en fait, notamment en obéissance, à part eu égard
au revenu $ par rapport à l’Ontario; ah!, ça!, mes amis, ça!, c’est grave, pas disable.
Maintenant, explosion de plaintes, rapporte-t-on aujourd’hui, eu égard au fait
d’éprouver épouvantablement et croissamment de difficultés à être servis en
français… à Mtl, comme de raison, plus particulièrement, d’où originent
plus de 60% des plaintes.
Et depuis quand ont crû exponentiellement ces plaintes? Cinq ans…
N’est-ce pas, donc, depuis l’avènement au pouvoir de la CAQ?
Mais, mais, mais, soyez rassurés, là, Legault va donner le go et…
le déclin du français, à Mtl notamment, sera chose du passé sous peu.
Faut-il rire?
Où sont les députés caquistes montréalais qui vont prendre le bâton du
pèlerin, mettre l’épaule à la roue, afin de faire faire un retournement en
français à Montréal? On cherche, on ne les voit point.
POURQUOI n’y en a-t-il pas de députation du parti au pouvoir à Montréal:
pcq Mtl n’intéresse pas la CAQ ou p’t’être pcq ils ne sont p’assez cultivés
pour pouvoir y résider? Montréal étant LA Ville universitaire ++ au monde:
https://actualites.uqam.ca/2023/montreal-meilleure-ville-universitaire/
N’empêche…
Apprend-on aujourd’hui en même temps que ne sont-ce pas « ‘nos’ »
universités francos qui sont les +meilleures mais bien sans surprise
McGill, seule classée parmi le top 100 des meilleures au monde.
Il semble se passer d’l’intéressant ou du (+) savant en anglais.
On regardécoute l’hockey? Tout y est en anglais. Le tennis?
Peu importe où ça s’déroule, tous parlent l’anglais.
Bref, comme avais-je dû le conclure en ma thèse
il ne s’avère pas impossible qu’un jour adopterait-on le français qc
au Québec, même à Montréal! Mais pour ce, faudra-t-il que le ‘monde’
y passant, y séjournant, y arrivant ou y habitant, en sente l’intérêt et…
l’utilité; la plaisance et l’apport propre. Car ne saurait-ce être par contrainte
(seule ou prépondéramment) ou par ‘menace’ qu’f’ra-t-on aimer le français q
c’est en faisant aimer le Québécois français, en en faisant trouver le charme
ir ré sis ti ble..
et l’excellence
que le grand retournement pourra[it] advenir là où le doit-il absolument, i.e.
à Mtl
sans quoi, oubliez ça la nation francophone québécoise, si Montréal débarque…
Aujourd’hui encore, à nouveau, nous est-il donné autre bel exemple, navrant, illustrant à quel point il y a quelque chose ne marchant pas chez nous.
Soit l’amour de soi. Se décomposant en absence d’estime de soi, de qui l’on est, de quoi l’on a, censément (le plus?) précieux, nous (re)’présentant’ (au monde), cette valeur suprême (?), quoi, qu’est la langue – (de communication) – française.
https://www.ledroit.com/actualites/education/2023/06/02/des-appels-doffres-remplis-derreurs-de-francais-5D6VTS26GVAQFHGAGTHFJQSREM/
C’en est désespérant* de constater à quel point ç’aurait peu ou pas d’importance
l’écrire et le parler français au pays du Québec:
« les produits devront être livre 3 fois pendant l’années a des quantités prédéterminer »
« autres taches dicté »
« les matériaux et couleurs préciser dans le devis technique devront être respecter »
* Comme l’exprime d’ailleurs Suzanne-G. Chartrand, didacticienne du français et professeure retraitée à la Faculté des sciences de l’Éducation de l’Université Laval et porte-parole de l’initiative citoyenne ‘Parlons éducation’; se disant « désespérée de l’état de la langue française au Québec en général » – [et elle dit bien « en général »; mais quid de lorsque, comme le fait-elle remarquer, cela se passe en milieu même d’Éducation! ?]…
Fierté, nulle; dignité, zéro; respect, ‘connais pas.
Ainsi va la vie, donc, à ‘frontière de la capitale post-nationale ?… 🙁