Chaque dimanche, le rédacteur en chef adjoint de L’actualité, Éric Grenier, vous invite à lire (ou à relire) dans son infolettre Rétroviseur un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certains enjeux du passé, avec le regard de maintenant.
Nous voilà peut-être partis pour une grosse saison des feux. Jeudi matin, il y avait 10 fois plus de forêts brûlées au Québec que dans toute l’année dernière. Il faut dire que ce n’était pas difficile à battre : seulement 300 hectares de bois avaient flambé en 2022 dans la province. Mais ça a dégénéré en fin d’après-midi, lorsque la foudre a fait naître une centaine d’incendies presque instantanément. Reste que les dernières années ont été particulièrement calmes en matière de brasiers forestiers. De 2014 à l’an passé, les superficies touchées annuellement au Québec ont varié de 300 à 26 700 hectares (en 2018).
Vingt-six mille sept cents, ça peut paraître une grosse affaire, mais c’est très peu en comparaison avec certains grands feux du passé. L’année 1941, pour la prendre à témoin, semble avoir été infernale. À lui seul, un incendie qui avait frôlé Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean, avait consumé presque 130 000 hectares de forêt boréale, une superficie encore plus vaste que le lac lui-même. Le feu avait parcouru 100 km ! Dans la même région, les flammes avaient aussi rasé 80 000 hectares de part et d’autre de la vallée de la Péribonka. Toujours en 1941, c’est 180 000 hectares qui avaient brûlé en deux brasiers distincts tout autour du réservoir Gouin, en Haute-Mauricie.
Cinquante ans plus tard, Baie-Comeau avait failli y passer quand une série de petits feux provoqués par la foudre ont fini par ne faire qu’un et devenir une apocalypse de 2 000 km2 — cinq fois l’île de Montréal. Ça avait brûlé pendant quatre mois, de début juin jusqu’à l’automne.
Dire que les grands feux de forêt font partie de l’expérience nationale est un euphémisme. Même loin du bois, en plein Montréal, ils se font souvent sentir. En 2002, Le Devoir y allait d’un titre rappelant Blade Runner 2049 : « Crépuscule en plein jour sur Montréal », un phénomène dû à des incendies majeurs dans la taïga de la Baie-James, à plus de 750 km de la place des Festivals, où un itinérant avait raconté à la journaliste voir là un signe de la fin des temps.
C’était peut-être exagéré comme pronostic, mais dans certaines familles, ces grandes conflagrations constituent des traumatismes transmis de génération en génération. Il en va ainsi du feu de forêt de 1916 survenu du côté ontarien du lac Témiscamingue, qui fait notamment partie de la mémoire familiale de l’ancien reporter de L’actualité Jonathan Trudel. Le Rétroviseur de cette semaine s’attarde à son récit publié dans l’édition d’août 2016, à l’époque où il était allé arpenter la terre de ses aïeux 100 ans après les faits. Les flammes avaient rasé des villages entiers où 223 personnes avaient trouvé la mort, pour la plupart des familles francophones. « À ce jour, ces incendies restent les plus meurtriers de l’histoire canadienne, écrit Jonathan Trudel. Et, peut-être, un des drames les plus méconnus. Sauf dans ma famille maternelle, où le grand brasier a toujours occupé une place centrale, quasi mythique. » Son arrière-grand-père Rodolphe y avait perdu sa mère, son père et ses sept frères et sœurs le 29 juillet. Jonathan est donc allé à la rencontre des descendants de ceux qui ont vu « pleuvoir des oiseaux », tant l’oxygène dans l’air s’était raréfié pendant la tragédie. D’ailleurs, le récit manuscrit de son arrière-grand-père glace le sang. Mais le réconfort que trouve notre reporter à jaser avec les gens de ce coin du nord de l’Ontario, limitrophe à l’Abitibi-Témiscamingue, ne laisse personne indifférent à ce pan de l’histoire oublié.
Bonne lecture !
Éric Grenier, rédacteur en chef adjoint
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