Ricardo et nous

Le Québec de 2020 est comme la cuisine sur plaque de Ricardo, sa nouvelle création. Rien ne se mélange, certains ingrédients se carbonisent, d’autres restent presque fermes, les couleurs et les textures s’opposent.

Photo : Daphné Caron

Ricardo ne fait pas de la cuisine, mais de la sociologie. Cet homme, cuisinier et communicateur adulé, sexy et gendre idéal, idole des familles, gourou du pain de pandémie. De commerce agréable, aimé autant à Saint-Georges de Beauce qu’à Toronto, se sentant concerné par la marche de sa société, engagé, visionnaire (il est de l’équipe du Lab-École), entrepreneur humaniste, drôle, il flaire non seulement les tendances culinaires, mais aussi les humeurs les plus profondes de ses concitoyens. Ricardo, c’est le Québec dans ce qu’il a de meilleur. 

Qui n’a pas pétri sa pâte à pizza, confectionné son gâteau aux bananes ou ses crêpes de confinement ? Qui n’a pas tapé « bœuf haché » ou « poitrine de poulet » dans un moteur de recherche pour tomber inévitablement sur une de ses recettes ? Qui n’a pas à la maison un fouet, une mitaine en silicone, la collection des livres de Ricardo ? Il est notre réconfort, notre réponse culinaire, un membre chouchou de nos familles. Le pain, parenthèse unique et plat emblématique du premier confinement, était celui de Ricardo dans quatre maisons sur cinq. Moelleux à l’intérieur, craquant à l’extérieur, réconfortant, ç’a été la doudou alimentaire dont nous avions besoin en ces temps incertains.

Ricardo a marqué les années 2010 par ses recettes au crock-pot. Sa mijoteuse nous a charmés, car elle parlait de nous. Le Québec du début du XXIe siècle était celui du temps compté, où tout le monde courait et où plus personne n’avait le temps de cuisiner au quotidien. Ricardo l’a compris. Le dieu du crock-pot a imposé le mijoté longtemps, le surcuit qui épargne du temps et rassemble les familles. La bouffe de ces années-là avait comme caractéristique d’être uniformément molle et brune. Tout se confondait en un magma consensuel, à l’image exacte du Québec de 2010. Tous semblables, mijotés serré, d’extrême centre, craignant ce qui se distingue. Pratique. Facile. On ne se prend pas la tête, on baigne tous dans la même sauce réconfortante. Pourquoi se plaindrait-on ? Le Québec panse ses plaies postréférendaires et se refait une santé dans une unanimité tiède. La mijoteuse est le symbole de cette ère, et Ricardo devient le king de nos cuisines.

En 2020, pandémie. Société polarisée, familles à boutte, mais qui ont le temps de cuisiner. Inquiétudes, questions sans réponses, impression que le monde est à broil. Ricardo, ce futé, arrive avec son nouvel opus, À la plaque. À la plaque ? Tout cuisiner sur une tôle, la passer au four. Un souper prêt en 25 minutes où rien ne se mélange : tous les ingrédients gardent leur personnalité, certains se carbonisent, d’autres restent presque fermes, les couleurs et les textures s’opposent. La plaque est l’incarnation culinaire des années 2020 : une juxtaposition d’éléments forts, portés à haute chaleur. Un Québec à cran, polarisé, tout sauf consensuel.

Tu peux cuisiner espagnol, indien ou québécois, sur une plaque, tout conserve son caractère. Dans la mijoteuse, tout goûte… mais ce n’est pas le pays le plus exotique. Ricardo a un sens du timing extraordinaire et a parfaitement saisi les années 2020 qui commencent. Il ferait un politicien habile, empathique et redoutable. Son flair est incroyable. Ricardo nous lit et nous nourrit. Il nous a vus consensuels ; il nous sait à vif, sous le gril. Mais méfions-nous. Si un jour il écrit un livre de recettes sur le cru, ça voudra dire que nous sommes collectivement foutus, prêts à nous entredévorer. À nous manger le Québécois…

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Mme Bazzo, j’aime bien les analogies que vous faites entre les propositions culinaires de Ricardo et les Québecois.

Beau texte réconfortant et le projet Lab-école est fascinant et je leur du succès, mais j’ai cessé de regarder Ricardo quand j’ai vu le nombre de gens qui ont la vie misérable par l’exploitation du gaz soi-disant naturel que ces cuisiniers aiment faire flamber. Pour moi c’est une flamme bleu cadavre.

Ça vient de loin cette saloperie et on ne voit pas les dégâts sur la santé publique et la destruction de l’environnement mais ça pourrit la vie et la santé de beaucoup de personnes qui vivent autour de cette géo-ingénierie stupide du gaz et pétrole

Comme si ce n’était pas assez de chauffer les écoles avec ce gaz mortel
on permet aux parents d’aller conduire leurs petits bout de choux et de laisser leurs moteurs puants tourner au ralenti et d’intoxiquer l’air avec leurs tuyaux d’échappement à la hauteur des poumons des enfants.

Quand je vois un cuisinier faire flamber un beau repas dans la province qui a l’électricité la plus propre,
ça me coupe l’appétit et
j’aimerais que bye-bye 2020 montre un cuisinier portant un masque à gaz dans une cuisine près d’un puit de forage;
– avec de l’air qui pue la station de pompage et de compresseur,
– la poussière des milliers de camions qui envahissent le territoire pour sortir cette saloperie du sol
– de l’eau jaune et puante qui sort du robinet de la cuisine comme ceux qui ont vue leur nappe phréatique contaminée par les millions de litres de poisons injectés sous-terre pour fracturer le sous-sol
– avec tremblement de terre pendant qu’il flambe son machin
– avec des poissons malades par les déchets toxiques jetés dans leurs cours d’eau

Non quand je vois un cuisinier flamber le repas, ça me donne seulement envie de sacrer un petit repas congeler (fait en Chine tant qu’à y être) dans le four à micro-onde.

J’espère que je me trompe, Ricardo cuisine peut-être à la plaque par induction maintenant. Veuillez me corriger.

Ricardo est ce qu’il est grâce à son “René Angélil” Brigitte , son épouse.
J’ai un grand respect pour ce couple d’entrepreneurs. Ils savent allier la rigueur et le plaisir. Bravo et longue vie!

Bonjour,
J’apprécie tellement vos articles ! J’ai acheté le livre de Ricardo
A la plaque . J’ai fais trois recettes , c’est avec plaisir de faire le pors , le poulet avec de nouvelles saveurs ,déplus il y a beaucoup moins de vaisselles.
Bravo à Ricardo
Merci

Il y a des choses qui changent et d’autres qui ne changent à peu près pas. S’il faut voir le changement à la seule déclinaison d’une recette de cuisine, il ne faut pas s’étonner que rien ne change réellement. Car… la cuisine est permanente et éphémère.

— Permanente parce que nous avons la chance de manger quotidiennement, dans nos contrées plusieurs fois par jour.

— Éphémère puisque toute recette de cuisine aussi sophistiquée soit-elle est vite engloutie et usuellement, il faut recommencer. La nouvelle recette chasse l’autre. Bien peu de personnes dans la vraie vie ne vont consommer des recettes faites sur une plaque deux ou trois fois par jour, 365 jours par an.

Si nous faisons exception de l’exception, c’est la routine culinaire qui prend d’habitude le dessus. D’ailleurs, l’intestin étant un organe paresseux, la meilleure façon de bien assimiler les nutriments, c’est encore d’adopter une nutrition équilibrée, assez simple et offrant peu de variété.

— Ainsi l’art culinaire est plutôt dans celui de la déclinaison.

Comme beaucoup de gens au Québec, J’aime bien Ricardo, c’est un bon communicateur, je ne le vois cependant pas comme le porte étendard culinaire des fractures de la société québécoise. La fracture sociale opère un peu partout dans le monde. Le Québec fait partie du monde. Ce qui se trouve sur la plaque, ce sont nos intrants.

L’ustensile employé ne fait pas la recette. Ce qui fait la recette, c’est le cuisinier. Mais dans les périodes fracturées comme les nôtres, on adore toujours les faux prophètes, les apparences de messies, les gourous de tous poils qui donnent un petit côté tendance puisque leur côté sulfureux contribue à ce qu’ils soient bien carbonisés.

En ce qui me concerne, je préfère l’induction. Depuis que j’y suis passée, je trouve que je mange mieux et il est peu probable que je foute le feu à la maison en oubliant mes choses sur un feu de cuisson.