Leur vie a basculé le 10 août lorsque Jayson Colin, 26 ans, a été criblé de balles. Il devenait ainsi la 19e victime de meurtre à Montréal en 2022.
Avec courage et dignité, Ronide Casséus, sa mère, et Roberson Berlus, son beau-père, sont sortis de leur deuil trois semaines après le drame pour convoquer une conférence de presse. Les deux intervenants communautaires voulaient exiger des mesures contre la violence armée et relater ce que vivent les habitants du quartier Saint-Michel et de Montréal-Nord, en particulier les Noirs.
Leur témoignage, à l’émission de Paul Arcand au 98,5 FM et à Tout le monde en parle à Radio-Canada, en pleine campagne électorale, visait aussi à sensibiliser les Québécois à une réalité mal comprise, qui ne reste encore qu’une statistique pour bien des gens.
« Ce qui me choque, c’est le manque de considération », dit Ronide Casséus dans son appartement du quartier Saint-Michel, près du lieu où son fils a été tué. « Pour le meurtre de Thomas Trudel [NDLR : abattu en pleine rue en novembre 2021], l’élite politique au grand complet a témoigné sa sympathie. Pour nous, rien, ou presque. C’est parce que les personnes de couleur ne valent que dalle. »
Jayson Colin habitait chez ses parents et menait une vie rangée. Gérant adjoint dans une pharmacie, il travaillait à la création d’un OSBL pour financer la pratique du hockey chez les jeunes. « Parmi sa bande d’amis, il était celui qui encourageait les autres à finir leur scolarité. Il était tout le temps là pour aider », raconte son beau-père.
Vers 22 h le 10 août, quatre amis discutaient dans un stationnement de Montréal-Nord lorsque deux cagoulards ont marché vers eux et ouvert le feu, faisant un mort et un blessé. Rien ne filtre de l’enquête, les assassins courent toujours.
« Cette histoire a ceci de particulier que les deux parents sont en première ligne auprès des jeunes depuis 20 ans », dit Frantz Benjamin, député de Viau et ami de la famille. Il a d’ailleurs remis à Ronide Casséus en 2021 un certificat de l’Assemblée nationale soulignant l’importance de son œuvre sociale.
La femme de 48 ans a découvert le travail communautaire au début de la vingtaine, en enseignant la danse à des jeunes filles. « Je me destinais à la mode et au design. Je suis tombée en amour avec la jeunesse. » Maintenant consultante en développement personnel, elle a vécu pendant près de 20 ans de petits contrats en service communautaire à 20 000 dollars par an, dépenses comprises. « J’utilise la mode comme moyen d’intervention. Les cours de couture, de posture, de démarche et de maintien, l’organisation de galas, ça passionne les jeunes et c’est une façon d’établir la relation. »
Roberson Berlus, qui travaille depuis 18 ans comme intervenant communautaire au Café-Jeunesse Multiculturel à Montréal-Nord, rappelle que Jayson n’est pas la seule victime de ce crime : l’ami blessé vivra avec une balle dans le corps le reste de ses jours et une autre, sur FaceTime au moment de l’agression, a entendu Jayson s’étrangler dans son sang. « Ronide et moi avons reçu tous ses amis pour les faire parler de ce qu’ils ont vécu et les aider. » Aider, toujours.
Malgré la création d’une escouade vouée à la lutte contre la violence armée, Ronide Casséus demeure sceptique. « Si on veut réellement faire de la prévention, dit-elle, il faudra comprendre que rien ne fonctionne dans la relation entre la police et les jeunes, qui n’ont aucune confiance envers les agents à force de se faire harasser. » En octobre 2022, le juge Michel Yergeau de la Cour supérieure a déclaré inconstitutionnelle la pratique policière des interceptions sans motif, qui touche surtout les hommes noirs et les Autochtones.
Inspirer confiance n’est pas une question d’argent, croit la mère de Jayson. « C’est une question de considération. Avant de devenir des délinquants, ces jeunes-là sont en rupture avec le système et leur famille. L’école, la police les étiquettent comme des moins que rien. Quelle voie de sortie ont-ils ? »
Aux yeux du député de Viau, le déficit d’infrastructures communautaires et sportives de Montréal-Nord et de Saint-Michel est aussi un problème. « Les jeunes, quand on ne s’en occupe pas, ils nous occupent ! »
Roberson Berlus insiste sur la nécessité d’agir en prévention : « Rien ne se réglera tant que les intervenants vont se contenter du service minimum durant les heures normales de bureau. L’intervention communautaire, ça se joue avant 9 h et après 17 h. »
Cet article a été publié dans le numéro de janvier-février 2023 de L’actualité.
Honte, grande honte à nous! Bravo et respect à eux…