S’approcher du gouffre

Il arrive un moment où il faut lâcher prise et se laisser prendre en main. Dire autour de soi que ça ne va pas. Que l’on a besoin d’aide. 

Photo : L'actualité

Je l’ai été, au bord du gouffre. Cet été. Je ne sais pas si j’étais proche de mourir, mais j’étais proche de ne plus vouloir vivre. J’étais proche de ne plus savoir vivre. 

J’ai trois enfants. Je le sais, je dois vivre. Je sais que les mamans qui se rendent si proche du gouffre, celles qui tombent, ne savaient plus vivre. À se dire que leurs petits seraient mieux sans elles. Il faut être rendue loin. Loin dans la maladie, loin dans la détresse. Je ne sais pas où j’en étais, mais je sais que la maladie mentale me rongeait. Les états de panique que je traversais étaient rendus insoutenables. Je ne voyais plus rien, à vrai dire. Je ne voyais plus trop comment ces vagues s’arrêteraient, comment ces vagues ne me noieraient pas. Je voulais presque céder. Je ne voyais pas de quelle manière la tempête s’arrêterait. Il arrive un jour où tu penses que tu es la tempête. 

Les cas de COVID-19 augmentaient, j’étais accablée par tout, tout me semblait trop dur, insurmontable. Les nouvelles m’angoissaient, l’état du monde m’inquiétait, et toujours, ces trois petits que je faisais marcher sur cette Terre. Ce qui a fini par éroder mon cerveau, c’est la peur. C’est la croyance que je n’étais pas assez. Pas assez forte pour faire face, pas assez forte pour faire survivre mes petits dans ce monde qui s’affole. J’étais comme une maman oiseau qui sent que son nid ne protégera plus ses œufs. J’ai pensé partir. Quitter la ville. Déménager. Aller ailleurs. Fuir. J’ai voulu gravir la montagne, voir ce qu’il y avait de l’autre côté. Voir si l’avenir y serait meilleur.

Étais-je en train de priver mes enfants d’une enfance normale ? Une enfance assez bonne ? Est-ce que je devrais leur offrir un jardin avec un vieil arbre et un pneu accroché à ses branches qui se balance au soleil couchant ? Est-ce que l’air est assez pur ? Est-ce que je suis en train d’en faire des poulets élevés sous les néons ? Est-ce que je les soumets au rythme de la ville qui les rendra fous ? 

J’avais peur. J’étais inquiète. Tous les jours. Ça faisait trop longtemps que j’étais inquiète. Trop d’années. J’ai fini par sombrer. J’étais figée. Mon cerveau allait mal. Mon système d’alarme, habitué à sonner, retentissait pour rien. J’étais déjà fragile, mais une pandémie, c’était le clou. J’avais les nerfs à vif, et la panique s’affolait comme un détecteur de fumée qui crie à la moindre toast. J’étais en crise de panique. Tout le temps. 

C’était insupportable. J’avais besoin d’aide. La situation était rendue trop lourde, aussi pour mon mari qui ne pouvait plus être le seul capitaine à bord. J’avais déjà un psychologue, je composais aussi des numéros d’aide psychologique, je téléphonais à des centres de crise, juste pour parler, me sortir de la panique. Mais là, il me fallait un psychiatre et des médicaments. Je ne sais pas pourquoi j’ai attendu si longtemps, j’imagine parce que je pensais qu’avaler un médicament tous les jours avait quelque chose d’inquiétant. Mais j’ai fini par prendre les grands remèdes. Et par chercher de l’aide jusqu’à ce que le problème s’en aille. Pour de bon.

Dans la tempête, il est très difficile, parfois impossible, de trouver de l’espoir. Et si je t’écris ça, c’est parce qu’hier, je regardais ma petite aux cheveux roux tournoyer dans la cuisine pendant que son père faisait des percussions avec une bouteille d’Orangina en plastique et j’étais heureuse de le vivre. J’étais heureuse d’avoir repris goût à la vie. 

On traverse une pandémie, la vie est moins sûre et moins confortable qu’elle ne l’était. Nous avons surmonté des épreuves que nous ne pouvions imaginer vivre et je sais que nous sommes nombreux à nous approcher du gouffre. Ce gouffre, je le connais et il me fait aussi peur à moi qu’à toi. Certains diront que je suis privilégiée, que j’ai trouvé de l’aide, qu’elle n’est pas toujours disponible, surtout quand on n’en a pas les moyens. Je le sais. Mon mari travaille dans un hôpital psychiatrique, ses patients sont tous les oubliés de notre société, ceux qui pourraient finir leur vie dans une toilette chimique. Mais j’ai quand même envie de te dire que l’aide existe. Il arrive des jours, des semaines entières où il fait si sombre que l’on pense que la lumière n’est plus possible. Il y a des retranchements de notre cerveau où l’on s’enferme, et l’on finit par croire qu’on ne trouvera jamais écho à notre souffrance. Mais ce n’est pas vrai. Dans mes moments les plus souffrants, quand les crises de panique s’enchaînaient et que je voyais mes petits avoir peur pour moi, je ne savais tout simplement plus quoi faire. Je voulais disparaître. Mais la médecine existe, gang. Et il faut chercher, et je sais que ce n’est pas facile quand on est malade, mais un jour, on tombe sur le psychologue, le travailleur social, l’infirmière, l’intervenant en soins spirituels, le professionnel qui sait. Qui comprend. Celui qui nous voit. Et on commence à remonter la pente. Il arrive un moment où il faut lâcher prise et se laisser prendre en main. Dire autour de soi que ça ne va pas. Que l’on a besoin d’aide. 

Et chercher jusqu’à ce que l’on retrouve le goût de vivre. 

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Tu as bien fait, Léa! Et je te dis merci pour nous, tes lecteurs, aussi. J’aime tellement tes chroniques!

Bonjour Léa,

Cela me fait tellement de bien de vous lire et particulièrement l’article d’aujourd’hui. J’en ai les yeux embrouillés!
Dès la fin de la vingtaine, je suis allée chercher de l’aide. Et après 40 ans, j’en ai encore besoin. C’est pour moi une question de survie. Et avec l’âge et le lâcher prise j’ai fini par l’accepter. En même tant je me trouve très choyée d’y avoir accès. Un souhait pour 2021! Que les soins en santé mentale soit plus accessibles et abordables. Merci pour votre audace.

Très beau texte, merci de donner accès à ta vulnérabilité. Je suis certaine que plusieurs mamans se reconnaissent.

Un très beau texte, très touchant. J’ai connu aussi par le passé les crises de panique et la proximité du gouffre. Je n’ai jamais été capable d’en parler aussi honnêtement que le fait Léa Stréliski dans ce carnet, sinon des années plus tard. Je peux témoigner cependant qu’il est possible de s’en sortir. Et je suis heureux d’apprendre qu’elle aussi s’en sort.

J’ai l’impression de me lire ce matin. Oui, je suis aller chercher de l’aide mais les effets ne se font sentir que très lentement. Merci pour ce témoignage, ça me réconforte de savoir que je ne suis pas la seule, donc je ne suis pas folle.

Nenon 27% des adultes consultent actuellement et 40% en détresse chez les moins de 18 ans.Et beaucoup de psy en burn-out.Cest énorme .Alors soyez pas gêné.Ma femme est chinoise et la bas la dépression est mal vue et /ou inexistante. Les Chinois doivent vivre et travailler ou crever.Alors ils sont très resilients a ce sujet et ne se plaignent jamais.Alors profitez de tous ces beaux services offerts par notre société.

Content mais surpris de lire tes propos. En te regardant, en regardant ta photo, (et aussi en te lisant à chaque semaine) JAMAIS je n’aurais pensé que TU puisses te retrouver dans un tel état. Un mari qui a un boulot, en mesure de comprendre « ce que tu vis » (avec son métier … je suppose), toi, journaliste, brillante, 3 magnifiques (je suppose … ils doivent un peu te ressembler, non?), … MAIS, SUPER que tu l’aies écrit pour celles et ceux qui vivent de pareils moment dans cette bizarre de période. Note bien, qu’on peut chacun se retrouver dans « une bizarre de période » sans la Covid, pour bien d’autres raisons. Je me rappelle en avoir vécu un « solide », … il y 40 ans, et avoir mis beaucoup de temps à ne plus en sentir les blessures. Et je ne suis certain de ne pas en sentir parfois encore les effets. Mais, le plus rapidement que je le peux, je chasse ces mauvais souvenirs. Et je viens de me demander si tu n’as pas, en te servant de ton talent, « créé » ce moment « litéraire » pour aider les gens … Non. Ça me semble trop près d’un vécu pour que tu ne l’ais pas ressenti. Est-ce la pandémie qui a été le déclencheur ou si c’était déjà ressenti avant? Dans mon cas, surplus de travail, de pression, sentiment d’abandon (de ma part … manque de temps) de mes jeunes enfants … de leur mère, épreuves, … Et je ne ressentais rien : fort comme un roc, costaud, résistent. Ouf. Quand ça planté, tout a cassé et j’ai « planté du nez » pas à peu près! La « débarque » a été terrible.

J’aime beaucoup vous lire…Votre sensibilité et lucidité m’interpelle a chaque fois. Je vous souhaite le Meilleur de la Vie…

Je lis chacune de tes chroniques, merci d’être là. Je t’adore, sans réellement te connaître!
Et cette fois-ci, WOW, tu te dépasses. En chance qu’on t’a!

Merci Léa,
C’est plate mais ça fait du bien quand on pense être folle.
Je viens juste de commencer ma médication alors reste à voir si mes crises de paniques vont s’estomper. Merci encore

Bien sûr les médicaments ça fonctionne,je suis passé par là aussi.Lachez pas,vous êtes pas folle,juste malade…

Bravo pour ce texte incroyablement humain et touchant. Votre témoignage à la radio fut tout aussi remarquable. Vous avez démystifié simplement la réalité des problèmes de santé mentale et avez ouvert la porte pour plusieurs d’entre nous à ne pas craindre de demander de l’aide. C’est juste humain… Merci encore.

Oui ,j,avais noté ton désespoir lors de ton dernier écrit et t,avais recommandé d,appeler immédiatement ton psychologue si elle n,était pas déjà en burn-out tout comme les infirmières,les préposées,les danseuses, les mamans,les syndiquées,les profs,les policières,les prostituées,les ambulancières,les politiciennes,les artistes,les divorcées,les fonctionnaires,les agentes d, assurance,les célibataires,les serveuses de bar et de resto,les gyms,les coiffeurs,les étudiantes,les chanteuses,les commerçantes etc.
Il faut pas hésiter a demander de l, aide

Et les psys qui les aident. Ils reçoivent de gros paquets difficiles à avaler. Il ne faudrait pas qu’ils craquent comme cette jeune urgentologue.

Merci ca ressemble pas mal a ce que je vis depuis oufff 2012 mais depuis 2018 c est vraiment dur … mes ptites neuronnes sont pas mal fatiguées … une chance j ai ma psy… qui est super

encore merci et prenez soin de vous et votre famille

C’est intéressant que vous souleviez l’envie de la campagne par rapport à votre vie urbaine. J’ai eu cet épisode de découragement il y a longtemps et pour moi le remède a été de quitter la ville avec tout ce que cela implique. Mais, depuis je ne suis plus capable de vivre en ville tellement la vie dans la nature a changé… ma vie. Pour moi mes médicaments furent la forêt, la montagne, la mer, l’espace, les tempêtes, le bruit du vent dans les arbres, les mésanges bicolores dans nos mangeoires (elles sont tellement jolies), les crocus au printemps et tellement d’autres choses.

Je ne suis pas surpris que tellement de gens aient décidé de fuir la ville avec la covid car c’est justement la rupture avec la nature qui rend les pandémies plus virulentes. Bien des gens redécouvrent la nature et s’en trouvent mieux. J’imagine que c’est à chacun de trouver ses médicaments!

Merci Léa.
Je me suis reconnue dans tes mots, moi, il y a 28 ans.
Me sentant coupable d’aller appaiser mon angoisse dans la lecture d’une histoire à mes enfants. Ayant peur de les étouffer de ma présence car ne pouvant me supporter moi-même.
Crier à l’aide lorsque le besoin est là. Ça change toute la vie, pour le meilleur, je peux en témoigner.

Bonjour Léa.
C’est ça. Exactement. Mon hospitalisation remonte à il y a 5 ans. Ma fille était âgé de 6 ans. J’étais dans un état psychotique.
Et mes amies m’ont rendu la main. J’ai eu peur. Terriblement. Ça a été difficile.
Au retour à la maison, j’ai été en dépression majeure pendant plus de 6 mois. Alitée. À crier à l’aide. À ne pas savoir comment supporter et surmonter les secondes.

Je me rappelle d’une question que m’a posé ma psychiatre au tout début du suivi : » tu aimes quoi « … Et je ne savais pas quoi répondre. Ce fut un grand choc.

Et c’est autour de cette question qui paraît si simple, que j’ai commencé à me reconstruire.
Parce que je me suis souvenue et j’ai vraiment ressentie que j’aimais ma fille.
J’ai réalisé que j’étais capable de lire et que j’aimais la poésie.
J’ai recommencé à aimer le café.

Ça fait 5 ans. Et ça fait 5 ans et demi que je ne consomme plus.
Je suis sobre. Je marche tranquilement.

Merci pour ton texte et ta présence dans les médias. Tu prends la parole et tu engagés la réflexion pour nous. Tous et toutes.

Je sais ce que c’est d’avoir peur. Je suis passée par là. Et même aujourd’hui, il a des moments où j’ai la frousse.

Mon métier est celui de travailleuse sociale. Je sais comment il peut être difficile de demander de l’aide. Je sais aussi à quel point les soignants offrent leur accompagnement le coeur grand ouvert.