Mon fils a perdu une dent. Elle est sous son oreiller. Je peux bien lui mettre un billet de 100 piasses, l’argent papier sert plus à rien. Je ferais mieux de lui mettre un œuf, de la farine et un rouleau de papier de toilette.
Je leur fais l’école à la maison. Mais attention, sans pression. Partez pas en fou là, avec votre idée de la parfaite ménagère à la Gwyneth Paltrow ou à la Ivanka Trump. J’ai toujours trouvé d’ailleurs qu’Ivanka était Gwyneth qu’on aurait trempée dans un baril radioactif. (T’sais quand on était petit, dans les dessins animés, c’était toujours ça qui activait les pouvoirs du monde. Un baril radioactif renversé.) Gwyneth est à la tortue ce que Ivanka est à la tortue ninja.
Je ne suis pas ça. J’ai mes tendances robot-perfectionniste-qui-cherche-du-contrôle-et-veut-qu’on-l’aime, bien sûr, mais je fais l’école à la maison comme je fais beaucoup de choses ces temps-ci, en sachant que je vais mourir. Non. En m’appuyant sur l’essentiel. Je suis pognée en dedans avec les petits. S’ils contrôlent tout l’horaire et tout l’espace, je meurs. Heureusement, avant que tout ça commence, ils étaient déjà un minimum bien élevés — et par ça je veux dire ils étaient habitués à suivre une routine. Et au début, ce qui me faisait capoter (au-delà de la possibilité de l’apocalypse, des tablettes vides à l’épicerie, de la fragilité insupportable de notre être et de mes crises d’angoisse diagnostiquées), c’était qu’on n’avait plus de routine ! Mais comment je suis supposée être capitaine d’un bateau où y’a pas d’ordre ! Comment j’installe une routine si tout change tous les jours ?
Au début, le bateau tanguait fort. Tout foutait le camp. Mon seul souci était de sauver notre peau. Ça l’est encore un peu. Mais, mine de rien, cette semaine, j’ai réussi à installer une petite routine. Ça fait juste quatre jours qu’elle marche, je ne crierai pas victoire — je ne suis pas débile, j’ai eu trois enfants, donc trois bébés, je ne fais aucune courbe de constance aussi rapidement, je ne tombe pas dans le panneau de « ah, il a fait deux bonnes nuits, ça y est, il fait ses nuits, ça sera beaucoup plus tranquille maintenant ». Lol. Ou mes préférés, les nouveaux parents qui pensent qu’ils ont un « dormeur » parce que leur nouveau-né dort tout le temps ! Bonne chance.
Non, je reste sur mes gardes, mais je réserve deux blocs dans la journée où j’impose un horaire. Le matin on fait des exercices d’école que j’ai imprimés. Je prends n’importe quoi de leur niveau, je m’en fous un peu de ce qu’ils apprennent, mon essentiel c’est qu’ils se souviennent comment faire un effort. Suivre un horaire. Écouter les consignes. Tsé, les consignes ? Ces trucs qui ces temps-ci peuvent sauver des vies ? Ouin, c’est en bas âge que ça s’apprend, ça. Savoir réfléchir et écouter les consignes. C’est ça que je veux qu’ils apprennent.
Et l’après-midi, je fais un bloc « activité ». C’est pas sorcier, je copie le service de garde. Généralement, je fais une recette avec eux, comme ça je gagne un bout de la guerre du fameux « qu’est-ce qu’on mange ? » et ils apprennent un truc pratique. Ça vire économie familiale mon affaire, mes gars seront bons à marier ET sauront faire un tablier de cuisine.
Bien sûr, nous vivons des temps très incertains et anxiogènes, mais cette stabilité que l’on m’a dérobée, tout ce que j’ai le sentiment d’avoir perdu, tous les deuils que l’on a dû faire du jour au lendemain, toutes ces cases qui se sont vidées, je les ai remplies d’amour. Je m’en fous. Si la vie se dérobe sous mes pieds, en attendant j’aurai vu ma fille s’endormir dans sa cabane, mon fils rire avec ses amis en FaceTime et mon plus grand me faire un câlin spontané parce que je lui roule des sushis. Je ne suis peut-être pas Gwyneth Paltrow, mais la vie ne m’aura pas tout pris.
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Lorsque l’autrice (comme disent les Français) nous parle de « routine » ; je dois dire qu’au terme d’une méditation de tous les instants qui durât presque 24 heures… j’en suis venu à la conclusion que le mot était peut-être mal choisi. S’agit-il bien d’actions répétitives et quasi immuables telles des actes sacrés témoignages de la coutume ou d’un savoir-faire acquis au fil du temps ?
En cette singulière occurrence, le « bagossage » relèverait d’une certaine noblesse….
Ou bien, sont-ce plutôt des mesures destinées à adapter, gérer la période de confinements à de nouvelles contraintes auxquelles nombre de mamans, de mères de familles méritantes du « Royaume » sont actuellement obligées de se soumettre chaque jour en raisons des circonstances particulières du moment ?
Dans ce cas bagosser n’a rien de routinier.
— Ainsi mon questionnement est-il le suivant :
S’il s’agissait véritablement de routines, il faudrait considérer qu’elles perdureraient bien après la période de confinement telle une façon d’être et de fonctionner désormais. À contrario, est-il possible d’estimer que sitôt un retour à la normale, ces routines ont de bonnes chances d’être mises en quarantaine (on pourrait dire aussi : au rancard) pour un période indéterminée ? Considérant le caractère déterminant de l’adoption de telles routines faut-il considérer que ce sont des routines justement ou plutôt des « dérives » nécessaires, compte-tenu du caractère exceptionnel de la situation ?