Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.
J’ai toujours aimé les campagnes électorales. En tout cas, au moins depuis le début de mon cégep, tout juste après le référendum de 1995. Disons que c’était une période propice à s’intéresser à la politique.
Mon attention s’est vite portée sur le spectacle de la politique. C’est peut-être ce spectacle qui a contribué à éveiller le soupçon de cynisme qui m’empêche d’être très engagé. Un cynisme relatif, puisque je suis impressionné par les gens qui se lancent dans l’arène et que je m’intéresse à leurs idées. Mais ce que j’aime le plus, c’est observer ce que la politique fait faire aux gens : les contorsions (pour être poli), les simagrées et le rétropédalage.
Je me souviens d’avoir été marqué par l’arrivée de Stockwell Day en Jet Ski lors du lancement de la campagne électorale fédérale de 2000. Un tournant dans ma carrière de politologue de salon. J’avais trouvé l’entrée du chef de l’Alliance canadienne plutôt risible et cette image avait amplifié mon intérêt pour le côté surréaliste de ces mises en scène politiques. De l’épluchette de blé d’Inde au souper spaghetti, je voyais quelque chose de psychotronique (même lorsque je regardais RDI à jeun) derrière ces activités publiques et leurs militants galvanisés.
Les médias accordent une grande place aux campagnes et déploient beaucoup de moyens pour analyser (et suranalyser, si ça se dit) des aspects relativement banals comme les affiches électorales ou les autocars des chefs. Tout panel qui se respecte s’est prononcé sur les slogans de chaque parti, et comme lorsque les experts sportifs discutent beaucoup trop longtemps d’un joueur de cinquième trio, j’ai raffolé de ces débats nichés. Les journalistes et chroniqueurs sont toujours bien excités par les campagnes.
Je me demande par contre à quel point tout ça intéresse les citoyens qui regardent moins les nouvelles, lisent moins les journaux, mais qui s’informent sur Instagram, YouTube ou TikTok. Au Royaume-Uni, une étude a révélé que cette dernière plateforme était la source d’information qui présentait la plus grande croissance actuellement. Les jeunes de nos jours s’informent (ou se désinforment) sur TikTok. Ils ne risquent donc pas de tomber sur le panel de l’émission La joute ou celui de Mordus de politique, où il est question du choix de la police de caractères des pancartes de chaque parti. Selon d’autres données révélées par Google, les membres de la génération Z mettent de plus en plus les moteurs de recherche de côté et se rendent sur Instagram ou TikTok pour faire leurs recherches. Si les résultats de leurs requêtes ou leur fil d’information ne disent rien sur la politique, ils passeront peut-être à côté de la campagne.
C’est d’ailleurs pourquoi je ne suis pas totalement contre l’affichage électoral, malgré la pollution visuelle qu’il impose. Cette pollution a au moins le mérite de faire prendre conscience à la population que nous sommes dans une période spéciale. Ça attire l’attention, ça rend la politique inévitable, contrairement au reste de la couverture que l’on peut facilement contourner si on ne fréquente pas les médias traditionnels.
L’indignation, réelle ou feinte, des politiciens devant les incartades souvent inoffensives de leurs adversaires m’inquiète aussi. Au contact de la colère des candidats, la motivation des militants risque de prendre une tournure négative, surtout en cette ère où il fait bon frapper fort sur nos claviers. L’augmentation de la protection policière autour des candidats est sans doute liée à cette nouvelle atmosphère.
La politique ne doit pas se résumer à un cycle incessant de prétendants qui disent quelque chose de plus ou moins compromettant et d’adversaires qui répondent en interprétant ces propos de façon à pouvoir déchirer leur chemise. Mais le déchirage de chemise est ce qui risque d’attirer le citoyen moderne (je m’inclus là-dedans). C’est ce qui l’empêchera de passer à la vidéo suivante, probablement celle d’un homme qui se fait encorner par un taureau, ou celle d’un candidat d’Occupation double qui cuisine des carbonara « façon italienne ».
Les médias sociaux tendent donc à changer la nature du débat. Dans une récente chronique pour le New York Times, le journaliste Ezra Klein concède que Marshall McLuhan avait raison lorsqu’il disait que « le message, c’est le médium ». Il rappelle qu’un autre auteur, Neil Postman, a beaucoup réfléchi à ces gens qui étaient des politiciens à l’époque des médias écrits, mais qui n’auraient jamais pu faire de politique à son époque puisqu’ils ne passaient pas bien à l’écran.
Il fut un temps où les politiciens ne devaient pas obligatoirement être flamboyants. Avec l’avènement de la radio, ils ont dû devenir éloquents. Avec celui de la télé, ils ont dû bien se présenter. Internet fait qu’ils doivent aussi faire réagir rapidement et fortement. Le format influence la substance. Les politiciens qui veulent capter l’attention sur ces plateformes nouvelles devront peut-être s’acheter une motomarine ou affronter un taureau.
Si mon désabusement a commencé à 20 ans en regardant Stockwell Day en Jet Ski à RDI, je m’inquiète un peu pour ceux qui ont 20 ans en ce moment. Ils ne seront peut-être jamais exposés à ces manœuvres politiques et n’auront même pas l’occasion de devenir cyniques. Ou peut-être qu’au contraire, ils ne verront que le côté extrême de la politique et se radicaliseront. L’effet n’est pas encore énorme (du moins chez nous), mais il pourrait prendre de l’ampleur si les médias n’investissent pas les plateformes qu’utilisent les citoyens pour mettre en perspective les idées, les mensonges ou les polices de caractères des pancartes.
Les élections m’intéressent et j’essaie de voter de façon informée mais je ne trouve nulle part dans les médias un compte rendu complet et impartial des prises de position et des intentions des partis sur les enjeux qui m’intéressent (gouvernance, finances, santé, démocratie, etc.) Je me tourne donc vers les médias sociaux pour entendre ce que les candidats ont à dire, mais évidemment, ça ne vaut pas un travail de recherche approfondi du genre que publient trop rarement certains journalistes. Pour ma part, c’est parce que les médias ont cessé de questionner et de critiquer les pouvoirs publics que je m’y intéresse moins et qu’ils soient à la radio ou sur Tik Tok n’y change rien.
«…les médias ont cessé de questionner et de critiquer les pouvoirs publics» me paraît être une affirmation un tantinet gratuite. Comme si «les médias» étaient une agglutination informe de bénis oui-oui qui gobent tout ce que les politiciens leur disent. Comme si Radio X et Le Devoir, Fox News et The Atlantic, Al Jazeera et CNN, c’était bonnet blanc et blanc bonnet. À mon avis, vous devriez chercher ailleurs la cause de votre désintérêt pour les médias conventionnels.
La boussole électorale est un outil intéressant. Pas nécessairement critique, mais ça a le mérite de simplifier et présenter les positions de chaque parti. https://boussole.radio-canada.ca/quebec2022
La surenchère de publicité, surtout celle de la CAQ, qui exploitait à fond le culte de la personnalité pendant les mois précédant le lancement de la campagne, ajouté à cela la couverture médiatique complètement exagérée de dimanche dernier, ont eu raison de mon intérêt. Trop de « prétendus » experts au biais partisan font obstacle au développement d’un véritable sens critique.. D’ailleurs, les questions dans les sondages procèdent de la même intention d’orientation. Aussi, les dés sont jetés! Le 3 octobre prochain la CAQ se retrouvera avec entre les mains un pouvoir presqu’absolu. QS et son étoile montante Gabriel Nadeau Dubois formera l’opposition officielle et les autres partis se disputeront les grenailles. Vivement le 3 octobre prochain! et qu’on passe à autre chose..
Du haut de mes 75 ans, je trouve votre article rafraîchissant et il me donne de l’optimisme pour l’intelligence et la conscience des générations qui me suivent.
Oui, pas le choix que les politiciens descendent de leurs piédestal et s’insèrent dans les plates formes des jeunes.