Simon Jolin-Barrette à l’Académie française : un rendez-vous raté

Le nouveau ministre de la Langue française du Québec aurait pu signaler aux « immortels » que la langue évolue. Mais non, il a préféré leur parler de sa conception juridique et politique du français, un sujet qui ne les concerne guère.

Jacques Boissinot / La Presse Canadienne / Wikimedia Commons / Jacques Boissinot / La Presse Canadienne / Wikimedia Commons / montage : L’actualité

J’ai lu deux fois l’étrange discours que le ministre de la Justice et ministre de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, est allé prononcer à Paris, à l’invitation de la secrétaire perpétuelle de l’Académie française, devant 150 invités, dont 12 académiciens qui s’étaient dérangés sur les 39 « immortels » vivants.

Son dithyrambe contient juste le bon mélange de flagornerie, d’obséquiosité, d’hyperbole et de demi-vérités qui ne peuvent que plaire à la « vieille dame du quai Conti », ainsi que l’on surnomme cette institution vermoulue à défaut d’être réellement vénérable.

On ne redira jamais assez l’influence de l’Académie française, dont la valeur symbolique dépasse très, très largement sa très mince œuvre linguistique. Et c’est pourquoi celui qui se présente comme le descendant du meunier Jean Jolin a commis une erreur en ne profitant pas de cette tribune pour rappeler la vieille dame à l’ordre et lui demander d’actualiser sa conception de la langue et d’agir vraiment pour la sortir du XIXe siècle.

Sur cette étrange rencontre, Jean de La Fontaine aurait certainement écrit une fable intitulée « La Vieille Dame et le Fils du meunier ». On imagine aisément une variation sur le thème du Corbeau et du Renard, où Maître Renard par l’odeur alléché est tellement à ses flatteries qu’il en oublie le fromage, que Maître Corbeau grignote sur sa branche tout en ne se sentant plus de joie.

Le grand rendez-vous raté

L’aspect le plus saisissant du discours de Simon Jolin-Barrette vient au début quand il se drape dans son titre de ministre de la Langue française. Mais c’est une idée qu’il laisse en plan. Il est évident à le lire qu’il a manifestement peu parlé aux linguistes de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui sont parfaitement informés de tous les manquements de l’Académie française. Sa conception de la langue est strictement juridique.

La vacuité du propos linguistique sidère. Devant une Académie dont le seul et unique pouvoir est d’agir sur la langue par son dictionnaire et sa grammaire, ce dont elle s’acquitte très mal depuis deux siècles, l’orateur ne demande rien. Son discours ne fait aucune espèce d’allusion aux enjeux liés à l’immobilisme académique.

Un vrai ministre de la Langue française se serait permis de faire l’espiègle avec un petit rappel de la féminisation du lexique, notamment pour les titres et fonctions, la grande œuvre de l’OQLF. Une réforme que l’Académie française a brutalement critiquée pendant 40 ans avec tout l’arsenal d’arguments misogynes et de mauvaise foi à sa disposition. En 2019, l’Académie française a retourné sa veste pour reconnaître cette évolution du bout des lèvres, sans un seul mot d’excuse pour quatre décennies de posture fallacieuse.

Il aurait surtout été important que le ministre souligne à gros trait la nécessité que l’Académie française utilise son immense prestige pour faire un réel travail de modernisation de la langue et surtout de ses normes, comme elle avait su le faire à une certaine époque, de 1694 à 1835. Rien.

Et il n’a guère plus formulé de demandes pour que l’Académie française hâte et professionnalise son travail. Alors que la langue française compte de très grands lexicographes et grammairiens, elle n’en a invité aucun en son sein. Elle planche depuis 1935 sur la neuvième édition de son dictionnaire, qui en est à la lettre « s ». Fâchée avec la linguistique pendant tout le XXe siècle, elle n’a élu une linguiste, Barbara Cassin, qu’en 2018 — soit 137 ans après la mort du lexicographe Émile Littré (entré à l’Académie en 1871) et 115 ans après celle du philologue Gaston Paris (élu en 1896).

Nostalgie et contrevérités

Il se dégage du propos du ministre une forte nostalgie de la grandeur passée du français, un sentiment qu’il partage avec l’Académie qui, comme lui, regarde le monde dans le rétroviseur. Le thème de la défense revient souvent dans son discours : tous deux ont l’obsession de la défense, jusqu’à l’enfermement. Or, je l’ai maintes fois écrit, la langue française est menacée tout autant de l’intérieur que de l’extérieur, et le principal danger qui la guette n’est ni l’anglais ni les anglicismes — en France comme au Québec —, mais sa momification par de mauvais avocats qui étouffent la cause qu’ils cherchent à défendre.

Le ministre s’est fendu d’un discours de 6 000 mots sur la dimension épique de la survie du français en Amérique, situant pendant de longues pages sa réforme de la loi 101 dans le contexte de ce combat (ce en quoi il n’a pas tort). Il appelle de ses vœux un projet commun qui n’est nulle part défini, et qui ne peut pas l’être puisque l’Académie n’a d’autre tâche que le travail sur la langue, sujet qu’il ignore totalement. C’est la rencontre des cordonniers mal chaussés.

Fidèle à la forme académique, le ministre cite abondamment des auteurs, mais en s’abstenant de nommer l’illustre Voltaire, élu à l’Académie en 1746 à 51 ans et qui y a siégé 32 ans, jusqu’à sa mort. Or, Voltaire a été le grand pourfendeur de la colonie de la Nouvelle-France, qu’il a fortement dénigrée dans son œuvre et surtout sa correspondance. Petit rappel historique ici : si le Canada est devenu anglais en 1763, ce n’est pas parce que la France a perdu la bataille des Plaines d’Abraham, mais parce que la France, mise devant l’obligation de choisir l’une des deux principales colonies et d’abandonner l’autre, a préféré les « îles à sucre », dont la prépondérante était Haïti. Or, Voltaire a fait cabale toute sa vie contre le Canada, auquel il ne trouvait aucune utilité. Cela va très au-delà de la petite ligne sur les arpents de neige inutiles de Candide. Et ils étaient assez nombreux, et influents, à Paris à partager ses idées.

C’est d’ailleurs le seul point où le ministre s’est permis un petit rappel historique indirect en citant la visite du général de Gaulle à Québec en 1967, et surtout celle de Malraux en 1963, qui aurait dit à un ministre québécois : « La vérité, c’est que nous vous avons totalement oubliés. »

À plusieurs endroits dans son discours, le ministre tente de faire un rapprochement oiseux entre les lois linguistiques québécoises (et la réforme qu’il vient de piloter) et l’ordonnance de Villers-Cotterêts, ce grand mythe « fondateur » de l’histoire de la langue française. On touche ici à l’indécence, car les deux n’ont rien en commun. D’abord parce que cette ordonnance de 1539 de François 1er portait sur l’administration de la justice en France, pas sur la langue.

Ce document est souvent présenté comme l’acte fondateur du français en tant que langue institutionnelle de la France, mais il faut rappeler ici deux faits importants. Le premier but de cette ordonnance qui comporte 192 articles visait à imposer la justice royale à tous les sujets. Seulement deux articles, 110 et 111, mentionnent que cette justice doit être rendue en « langage maternel françois et non aultrement ».

Soulignons aussi que cette ordonnance n’a eu aucun effet sur la diffusion du français en France. Le pays est demeuré très majoritairement non francophone pendant encore trois bons siècles — le français était une langue minoritaire en France jusqu’au XIXe siècle ; il était certes la langue de l’administration, mais les trois quarts de la population n’avaient pas le français comme langue maternelle.

Comme de bonne, le discours ministériel de Simon Jolin-Barrette reproche au gouvernement fédéral son attaque constante contre la Charte de la langue française au nom de la défense des droits individuels. Sur ce point, il a bien raison.

Mais il a tort d’utiliser cet argument pour justifier son rapprochement avec les Français. Après tout, le véritable équivalent français de la loi 101 n’est pas l’ordonnance de Villers-Cotterêts, mais la loi Toubon de 1994 (inspirée de la loi 101). Or, cette loi Toubon a été considérablement affaiblie par le Conseil constitutionnel au nom de la liberté individuelle de s’exprimer !

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Ce ne serait pas la première fois que le ministre Barrette, Simon et non pas Christian cette fois, passe à côté de son objectif. Il a déjà eu à refaire ses devoirs à au moins deux reprises. Souvenons-nous simplement de l’histoire du cours d’économie familiale, une vraie farce.

Voilà une analyse biaisé , il n’est pas du role ni du ministre ni du gouvernement d’aller confronter les hôtes du ministre. Vous confrontez vos frustrations avec le devoir de réserve en diplomatie

Tout à fait biaisé, un belle exemple de la baisse de qualité du journalisme ou l’auteur se transforme en militant. C’est le message que lui aimerait passer à l’académie française.

Une attaque biaisée et sans nuance contre un gouvernement que vous n’aimez pas. Jolin-Barrette n’est pas un grammairien, il est le ministre de la justice qui essaie de protéger notre langue contre les attaques répétées du gouvernement fédéral. Il est normal qu’il ait profité de cette tribune pour envoyer un message politique. Et ce n’était pas certes à propos de tancer la France à propos de Voltaire et de son abandon du Canada. Un article raté.

Bravo pour votre article qui nous questionne sur l’à propos de cette invitation à L’Académie Française et du discours pour le moins curieux et creux du ministre Jolin-Barette passé maître dans des lois qui ignorent les Chartes québécoise et canadienne des droits et liberté . Quel être talentueux et remarquable pour L’Académie !

J’ai beaucoup de misère à suivre le chroniqueur Nadeau dans ce qui semble être ses frustrations face à notre langue . Quelque chose le ronge , lui fait admonester tout ce qui n’est pas conforme à son désir quasi de réformes . Il est devenu redondant !

On s’ennuie de politiciens de la stature des Pierre Elliott Trudeau, René Lévesque, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard dont la grande culture nous faisait honneur à l’étranger. On ne peut en dire autant de ceux qui nous représentent en ce moment, au Canada et au Québec. Ce gouvernement d’hommes d’affaires se démarque par un manque évident de culture générale quand il s’agit de se mesurer à l’élite intellectuelle française. « Ce que l’on conçoit bien s’exprime clairement et les mots pour le dire nous viennent aisément ». Simon Jolin Barrette ne
possédait pas sa matière et il a coulé son examen. Il n’est
pas à la hauteur pour faire la promotion de la langue
française. Malheureusement, il est le choix d’un chef qui aime s’entourer de ceux qui pensent comme lui !

Et dire que Pierre-Elliott Trudeau, René Lévesque, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard furent tous éduqués pendant ‘la grande noirceur’…

Excellent article. À l’évidence M Jolin-Barette ne connait pas son sujet. Il maitrise et/ou obéit très bien à la ligne de son parti. C’est tout. Au départ de ne vois vraiment pas pourquoi il était là; sa campagne électoral il doit la faire au Québec. Mais toujours flatteur d¨être sous les « ors » monarchiques qui hantent toujours cette France qui se veut républicaine… Tant qu’à « L’Académie », bon c’est une autre histoire . Bravo M Nadeau.

Je m’explique mal votre prise de position, Monsieur Nadeau. Simon Jolin-Barrette est ministre, pas linguiste. En ce sens, il a fait ce qu’on attend de lui : s’efforcer de raffermir les rapprochements entre la France et le Québec dans l’espoir d’assurer la pérennité du français, cinquième langue en importance à l’échelle mondiale et l’une des rares langues parlées sur tous les continents.

Cette fois, vous avez tort, Monsieur Nadeau. Simon Jolin-Barrette n’est pas linguiste, et son travail de ministre de la Langue française ne consiste pas à s’occuper de l’évolution de la langue, mais de faire en sorte que le plus de Québécois possible adoptent le français comme langue d’usage. Son mandat est politique, et non linguistique. Et c’est à ce titre qu’il représente le Québec à l’étranger.