Snober TikTok mènera à notre perte

Pour que la culture québécoise survive, dit Olivier Niquet, elle n’aura d’autre choix que d’aller là où sont les jeunes. 

Paul Ducharme / montage : L’actualité

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.

Comme plusieurs autres, j’ai été interpellé par le texte de Louis Morissette qui s’inquiète pour la culture québécoise. En observant le comportement de ses enfants, il se demande : « Dans quel état sera la culture populaire québécoise quand nous, la génération Petite Vie, ne deviendrons plus intéressants pour les annonceurs et que nos enfants ou petits-enfants seront la génération des citoyens du monde, branchés sur le Web et son offre infinie ? » Ayant moi aussi de jeunes ados, je vis les mêmes émotions lorsque je regarde au-dessus de leurs épaules pour avoir une vue du ciel de leur consommation culturelle.

Bien sûr, nous écoutons des séries, des films et de la musique québécoise en famille. Ce n’est pas un fardeau pour mes enfants, au contraire. Ils se reconnaissent encore dans cette culture. C’est juste qu’une fois que c’est fait, ils ne se tournent pas souvent vers ces contenus locaux. Comme tous leurs amis, ils s’abandonnent au défilement des vidéos sur les réseaux sociaux de la même façon que les générations précédentes zappaient devant la télé en revenant de l’école. Les algorithmes ne leur offrent pas nécessairement des contenus d’ici. Ce n’est pas que ces contenus n’existent pas, c’est qu’ils ne se rendent pas à eux.

À peine quelques jours après la publication du texte de Louis Morissette, une étude nous apprenait que les étudiants de l’École supérieure en Art et technologie des médias, du cégep de Jonquière, ne suivaient pas beaucoup… les médias. En tout cas, pas pour se divertir. Parmi eux, 48 % disent n’écouter que des séries ou films en anglais. Seulement 22,7 % consomment des séries télé québécoises. Seulement 3,5 % regardent la télé en direct. Mais 92,5 % visionnent quotidiennement du contenu vidéo sur TikTok, Instagram, Snapchat ou Facebook.

Les futurs employés de nos médias ne s’intéressent pas à notre production culturelle. Ce sera plutôt difficile, dans ce cas, de perpétuer la culture québécoise. Peut-être que la prochaine génération de francophones aura autant de difficulté à répondre aux vox pop de Guy Nantel que les anglophones du Collège Dawson en ont. Je n’aime pas le concept de vox pop en général, mais je pense que, dans le cas de celui-ci, on est assez près de la réalité. Et pas juste chez les Anglo-Québécois. J’ai posé les questions de Guy Nantel à mes enfants. À part le fait qu’ils ont confondu Robert Bourassa et René Lévesque (ouf !), ils ont quand même répondu correctement à la plupart d’entre elles. Comme mes enfants sont extraordinairement intelligents, beaux et fins, ce n’est peut-être pas un bon exemple.

Reste que je ne suis pas fataliste. Je combats cette idée que les jeunes de nos jours sont pires que les générations qui les ont précédés. Une idée qui ne date pas d’hier, par ailleurs. On peut lire sur une tablette (en argile, pas en silicium) babylonienne datant d’il y a plus de 3 000 ans : « La jeunesse d’aujourd’hui est pourrie jusqu’aux tréfonds, mauvaise, irréligieuse et paresseuse. Elle ne sera jamais comme la jeunesse du passé et sera incapable de préserver notre civilisation. »

Je ne pense pas que les jeunes d’aujourd’hui causeront la fin de notre civilisation. Ils sont en fait probablement plus allumés que nous. En matière de culture, ils vivent toutefois dans un monde technologique que nous leur avons imposé et dans lequel ils sont totalement immergés, au contraire de nous. Nous qui continuons de consommer nos médias et notre culture sommes de l’autre côté du fossé technologique.

Je crois qu’un jour, l’équilibre sera retrouvé, mais il faudra que tout le monde prenne d’assaut ces nouvelles plateformes. Comme le disait Guillaume Lemay-Thivierge au gala des Gémeaux (en tout cas, le bout que j’ai compris), les artistes sont des influenceurs. Mais ils doivent cesser de n’influencer le public qu’à la télé et à la radio, et adopter les codes de TikTok et consorts. Déjà, si les « vrais » influenceurs étaient plus sensibles à la culture d’ici (OD ne compte pas pour la culture d’ici), l’espoir serait plus grand.

J’entendais, dans un bulletin de nouvelles de Radio-Canada en marge des élections, une jeune électrice qui disait : « Je suis tous les partis sur Instagram pour m’aider à faire un choix. » Les politiciens ont peut-être mieux harnaché les médias sociaux que les personnalités culturelles des générations anciennes. On se fout de l’endroit où les jeunes s’informent, pourvu qu’ils suivent la politique d’ici, qu’ils regardent des vidéos d’ici ou qu’ils écoutent de la musique d’ici. Mais ça n’arrivera jamais si notre culture, parce que nous snobons les outils qu’utilisent les jeunes, n’est pas accessible de la façon la plus simple et dans les « lieux » qu’ils fréquentent. Suivez-moi sur TikTok pour plus de détails.

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