Chacun pour soi

Ils ont grandi avec les mots « austérité » et « terrorisme » martelés dans les médias. Ils ont construit leur vision de l’État dans une période où la méfiance à l’égard des institutions domine, où certaines voix très audibles professent qu’il faut s’en passer. Avec quelle notion du collectif les Z entrent-ils dans l’âge adulte ? 

Illustration: Sébastien Thibault

Dans son livre Trees on Mars (Seven Stories Press, 1995), l’essayiste canadien Hal Niedzviecki raconte une rencontre avec des jeunes de la génération Y à Toronto, à qui il a demandé de décrire leur vision de l’avenir. Optimiste, il s’attendait à une litanie de possibles et de science-fiction.

Les réponses l’ont laissé plutôt interdit.

« Mariage, enfants, avoir un bon emploi et aimer ce que je fais », écrit une jeune diplômée en théâtre. « La stabilité avant tout, une carrière stable », dit un diplômé de relations publiques. « Un emploi stable, qui me rapporte suffisamment d’argent pour voyager, puis pour avoir des enfants », tente une autre. « Une carrière, des avantages sociaux, une sécurité d’emploi et un salaire enviable », affirme un diplômé en arts de 26 ans.

Ces gens ne veulent-ils pas perturber quoi que ce soit ? se demande Niedzviecki. Selon lui, une imagination asphyxiée par la pensée individualiste pousse ces jeunes à projeter des rêves d’un conventionnel consommé, épousant les contours des attentes sociales les plus ordinaires. La génération suivante pourra-t-elle rêver mieux ?

La question taraude aussi Mathieu Bélisle, qui a publié Bienvenue au pays de la vie ordinaire (Leméac), un essai où il se penche sur l’affection des Québécois pour l’habitude et le bien-être matériel, et le peu d’intérêt pour une vie intellectuelle qui transcende le quotidien.

Il enseigne au collégial, où ses étudiants sont nés au tournant du siècle. « J’ai l’impression que la génération qui pousse est plus conservatrice, dit-il. Elle a connu un monde où on ne cesse de marteler les mots “changement”,“mobilité”,“accélération”. Et par quête d’équilibre, ces jeunes sont portés à se rabattre sur les quelques éléments fondamentaux qui leur permettront d’assurer leur traversée : une bonne relation, un bon emploi, de bons amis. »

Ses étudiants s’identifient aisément à leur famille, leur école ou leur orientation sexuelle, mais très rarement à une communauté politique. La faute, selon lui, à une sectorisation des discours, où chacun lutte pour ses petites causes, jusqu’à en être obsédé, sans projet d’ensemble.

« C’est un recul du collectif, croit-il. Tout ce qui a fédéré dans les dernières années au Québec, c’est l’austérité ou des revendications libertaires. On se fédère pour un idéal qui nous mène… à nous défédérer ! C’est l’idéal de l’individu qui s’émancipe, qui choisit ses affiliations et qui, idéalement, choisirait de payer ou pas ses impôts. Et le seul autre discours qui règne, c’est celui de la revendication de droits individuels pour des groupes très pointus. »

Les quelques révoltés, dit-il, prendront encore la rue pour protester. Les moins politisés se replieront simplement en faisant « leurs petites affaires », avec le moins de contacts possible avec l’État, parce qu’ils ont intégré l’idée qu’on ne peut compter que sur soi.

Pour l’essayiste Aurélie Lanctôt, la génération Z est en présence depuis son enfance d’un discours de discrédit des institutions. « Moi-même, née en 1992, mes premiers souvenirs, c’est Lucien Bouchard sur le déficit zéro, puis la réingénierie de l’État sous Jean Charest, la crise économique de 2008 et la grève étudiante de 2012. C’est une escalade constante du discours selon lequel l’État est une machine à dégraisser qui ne sert à rien, et dont les fonctionnaires sont paresseux. »

La polarisation des courants de pensée pousse ce discours autant à gauche qu’à droite. Au fil de ses études, Aurélie Lanctôt a senti un fort rejet de l’État comme institution légitime auprès de la gauche politisée, parce qu’il est considéré, à tort ou à raison, comme intrinsèquement raciste, sexiste et à la solde du capitalisme. Paradoxalement, ce discours postmoderne s’arrime avec celui, néolibéral, qui discrédite l’État comme acteur légitime favorisant le bien commun.

Dans notre sondage Léger-L’état du QuébecL’actualité publié le mois dernier, les 18-34 ans plaçaient la famille et leur employeur comme les institutions les plus importantes à leurs yeux.

Les mots du réalisateur Xavier Dolan étaient révélateurs, dans son entrevue à L’actualité publiée en octobre : « J’ai de la difficulté à croire au groupe, aux collectivités, à la société. Mais je crois en l’individu et en l’humain. »

Le Parlement, la Constitution, les chartes des droits, les tribunaux, les partis politiques, les médias ou les syndicats résonnent-ils avec autant de pertinence ? La génération qui cogne aux portes des urnes pourra-t-elle devenir celle de citoyens exigeants, qui demandent des comptes à leur État, si elle voit les institutions comme des anachronismes ?

« C’est difficile de mesurer cet effet maintenant, estime Geneviève Nootens, professeure de science politique à l’Université du Québec à Chicoutimi. Mais il y a le risque d’une crise de confiance envers les institutions qui permettent d’améliorer la vie quotidienne des gens. »

Les 15-24 ans trouvent des emplois précaires, sont moins syndiqués et profitent aussi deux fois moins de l’assurance-emploi qu’il y a 40 ans. Ils constatent que le privé est bien installé en santé. Autant de signaux pour l’individu qu’il doit davantage compter sur lui-même.

« L’autre phénomène, c’est qu’un petit groupe a les moyens financiers de se créer un monde parallèle, avec ses propres écoles, son propre système de santé, son propre système de protection. Si on ne partage plus le même monde, les institutions perdent de leur pertinence aux yeux de gens qui devraient les soutenir », ajoute Geneviève Nootens.

L’espoir, selon Aurélie Lanctôt, c’est que les Z viennent s’ajouter à la génération du millénaire pour occuper un poids électoral presque aussi important que celui des baby-boomers. « Puisqu’ils commencent à investir les espaces démocratiques, peut-être que ça contribuera à ce qu’ils voient les institutions comme quelque chose de moins vieux jeu. »

J’AURAI 18 ANS EN 2018 <<<

Alex Bouchard / Saint-Jean-de-la-Lande / Techniques policières / Cégep de Rimouski / Métier rêvé : policier à la Sûreté du Québec ou enquêteur aux crimes majeurs

« Mon père n’a pas terminé son secondaire. Il a réussi à bien s’en sortir, mais je le trouve chanceux. Ce n’est pas tout le monde qui est chanceux. Ça prend une bonne éducation accessible à tous. »

« Présentement, je fais de l’aide aux devoirs auprès de jeunes en difficulté au primaire. Je veux les motiver. Couper dans l’éducation, c’est une erreur. Il faut des classes adaptées. Et ça prend des enseignants disponibles pour répondre aux besoins des élèves. »

« J’ai eu un cours de droit civil et ça m’a enlevé le goût de me marier, à cause de toutes les conséquences d’un divorce. »

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Je nous pose la question:
Est-ce qu’on s’attarde a etre PATRIOTE assez parce que le groupe auquel on se doit s’identifier part de la famille a la société et automatiquement à la patrie mais ce que je constate elle ne s apprend pas jeune assez je crois même à l ‘ecole.