Il a suffi d’une seule personne : le patient zéro qui, le premier, a contracté le virus de la COVID-19 au contact d’un animal infecté, quelque part en Chine. L’étincelle d’une crise qui deviendra brasier et qui fera plus d’un million de morts.
Une seule personne pour mettre le monde à genoux. Combien en faudra-t-il pour qu’il se relève ?
À l’heure où les Québécois doivent s’enfermer de nouveau pour contenir la deuxième vague de la pandémie, la tâche semble herculéenne. Au moment même où le sentiment d’impuissance, la lassitude et la discorde nous gagnent, nous allons devoir nous coordonner dans l’abnégation et la discipline, nous administrer collectivement un grand coup de pied au cul. Comment diable allons-nous y arriver ?
Une personne à la fois. Comme le coronavirus qui s’est propagé à des millions de gens à partir d’une seule infection, nous devons nous faire contagieux. À la transmission incendiaire du funeste pathogène, nous pouvons opposer une contamination d’un autre ordre : celle de la résilience et de la solidarité.
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La pandémie de COVID-19 constitue un laboratoire planétaire pour l’étude de ce phénomène que les scientifiques appellent la « contagion sociale » : la transmission d’émotions, d’attitudes et de comportements d’une personne à l’autre, à la manière des virus.
Des générations de psychologues ont établi à quel point l’être humain est perméable à l’influence d’autrui. C’est plus fort que nous : on imite et on suit plus souvent qu’on invente ou qu’on mène.
Si cet instinct grégaire s’avère parfois nuisible, il peut aussi être déployé au service du bien commun. Ainsi, quand on respecte les mesures de lutte contre la pandémie, on entraîne du même souffle les autres à notre suite. Des chercheurs l’ont constaté au sein d’une cohorte d’étudiants américains lors de l’épidémie de grippe H1N1, en 2009 : le taux de vaccination était une fois et demie plus élevé chez ceux qui avaient au moins un ami vacciné que chez ceux qui n’en avaient aucun. La contagion sociale, disent-ils, a freiné la contagion biologique.
D’ailleurs, des experts conseillent aux autorités de miser sur la contagion des comportements pour renforcer l’efficacité des campagnes de santé publique. En ciblant les gens qui ont beaucoup d’amis et en les incitant à faire savoir à leur réseau qu’ils observent les consignes, on pourrait élargir l’adoption des mesures sanitaires sans augmenter les coûts ou le recours à la contrainte. Vous portez un masque, vous vous tenez loin des autres, vous évitez les partys ? Dites-le ! Vantez-vous !
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Ce qui est remarquable, c’est que notre influence atteindrait non seulement les proches, amis, voisins et collègues avec lesquels nous entretenons directement des rapports, mais aussi les amis de nos amis, et même les amis de nos amis de nos amis. Chacun d’entre nous aurait donc le potentiel d’agir, par ricochet, sur des centaines de personnes, y compris des gens qu’on ne connaît pas et qu’on n’a jamais rencontrés.
Pour arriver à cette formule, Nicholas Christakis, un médecin et sociologue de l’Université Yale, et James Fowler, de l’Université de la Californie à San Diego, ont scruté une gigantesque base de données portant sur plusieurs milliers d’Américains qui ont été sondés à intervalles réguliers, pendant des décennies, sur leur santé, leurs habitudes de vie et leurs relations interpersonnelles.
On s’est ainsi aperçu que la décision d’arrêter de fumer, notamment, est contagieuse. Même chose si on prend du poids, si on augmente ou diminue notre consommation d’alcool, si on devient dépressif ou rongé par la solitude : ces caractéristiques se communiquent d’une personne à l’autre, jusqu’à trois degrés de séparation.
Le bonheur aussi est infectieux. La probabilité qu’on soit heureux augmente de 15 % si on a un ami, un proche ou un voisin heureux; elle s’accroît de 10 % si l’ami d’un ami est heureux, et même de 6 % si l’ami d’un ami d’un ami est heureux.
D’autres travaux ont mis en lumière le même genre de transmission virale pour le manque de sommeil et la consommation de drogue à l’adolescence, la violence par arme à feu, l’installation de panneaux solaires dans un voisinage, l’exercice du droit de vote, la pratique de la course, le divorce, et même la décision de devenir parent.
Bien sûr, nous fréquentons plus volontiers les gens qui partagent nos intérêts, nos humeurs et nos travers : qui se ressemble s’assemble. Mais l’inverse est aussi vrai. Qui s’assemble finit par se ressembler.
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Dans le cadre d’une expérience, James Fowler et Nicholas Christakis ont pu confirmer, dans des conditions contrôlées, l’existence de cet effet d’entraînement. Dans ce jeu (un classique des sciences sociales appelé le « jeu des biens publics »), les participants doivent décider secrètement quelle part de leur butin ils versent dans une caisse commune, qui est ensuite divisée également entre les joueurs. Les règles font en sorte qu’il est plus profitable de donner tout son argent au groupe, mais seulement si tout le monde fait pareil; autrement, c’est plus payant de garder son argent pour soi. L’exercice met donc à l’épreuve notre solidarité et notre confiance les uns dans les autres.
Ça rappelle la situation dans laquelle on se trouve présentement : les mesures sanitaires sont coûteuses et souffrantes, mais on peut tous en sortir gagnants, à condition que tout le monde s’y mette.
Les participants ont pris part à plusieurs rondes, chaque fois avec des coéquipiers différents. Une seule bonne action pouvait en générer plusieurs autres. Quand un joueur mettait des sous dans la cagnotte lors de la première ronde, ses partenaires augmentaient leur contribution lors de la deuxième; leur générosité inspirait alors de nouveaux coéquipiers qui, à leur tour, donnaient davantage aux suivants, et ainsi de suite. En comptabilisant tous les dons engendrés par cette réaction en chaîne, on a calculé que chaque dollar versé en première ronde finissait par se multiplier par trois.
En se changeant soi, on peut, semble-t-il, changer la collectivité.
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Pour être honnête, j’ai longtemps résisté à cette notion, qui me paraissait simpliste, la lubie d’un monde accro à l’individualisme. Une partie de moi continue à se révolter contre l’idée que c’est aux citoyens ordinaires à changer leur société, aux consommateurs à acheter plus vert ou aux opprimés à se prendre en main, alors que le vrai pouvoir est ailleurs. Célébrer les gestes individuels quand les crises que l’on affronte sont monstrueuses et planétaires, il me semble que c’est l’équivalent de brandir un parapluie sous les chutes Niagara. Et que ça sert surtout à dédouaner les gens qui nous gouvernent, à détourner notre attention de leur indolence.
Mais je me rends compte que cette position est tout aussi intenable. Penser que seuls les décideurs – élus, chefs d’entreprise ou directeurs de la santé publique – ont du pouvoir sur notre destinée collective, c’est un passeport pour l’impuissance et le désespoir, peut-être même pour la catastrophe.
J’ai besoin de croire à autre chose. En vous et moi. J’ai besoin de savoir que nos actions, en s’additionnant, en proliférant, peuvent infléchir la marche du monde.
Beaucoup de gens partent de la prémisse qu’il suffît d’une seule personne pour contracter le virus pour finalement contribuer à infecter la planète. Cette thèse qui arrange l’administration américaine pour la rendre justifiable de sanctions contre la Chine, ne revêt pas une certitude absolue.
Plusieurs enquêtes épidémiologiques tendraient à démontrer que le virus était déjà présent en Chine avant la découverte du patient zéro. Pire même, comme on ne peut hors de tout doute déterminer exactement quel animal aurait transmis le virus à un premier humain, il n’est pas impossible que le virus ait été transmis ailleurs puis introduit en Chine par d’autres êtres humains.
Il est concevable que dans le futur, nous saurons mieux comment ce virus s’est propagé aussi rapidement et de quoi est fait son modus operandi. Ce qui devrait en attendant nous obliger à rester prudent sur toutes formes d’affirmations.
Rappelons pour mémoire que la grippe espagnole, n’a d’espagnole que le nom, maintenant encore on ne connaît toujours pas exactement d’où fut la source de l’infection.
Une chose néanmoins est certaine, c’est que la perte des habitats naturels pour toutes sortes d’animaux est devenu un facteur aggravant de toutes sortes de transmissions de maladies vers l’homme. C’est ici probablement que devrait commencer en priorité notre solidarité : avec le monde végétal et les autres espèces animales. En préservant l’intégrité de la planète, nous préservons tout pareillement notre propre intégrité.
Quant à la résilience, on ne peut prétendre être résilient, si nous ne sommes pas capables de gérer le risque quelques soient les situations. Nous sommes parfaitement éloignés de tout cela pour le moment, en sorte que l’invocation de la résilience relève essentiellement de quelques formes rassurantes qui sont propres de l’illusion.
J’aimerais ajouter qu’un des éléments constitutifs de la résilience consiste à ne plus être tributaire des influences d’autrui. Pas si simple d’y arriver !
Enfin cette belle théorie du « bonheur collectif » — dont fait l’apologie Noémi Mercier -, s’est propagée (comme un virus ?) au lendemain de la seconde guerre mondiale. Je ne suis pas certain au point où nous en sommes, que ceci doit être considéré comme un franc succès. Peut-être qu’on pourrait faire mieux.
J’aimerais encore préciser que le principe de la pyramide de Ponzi repose exactement sur les mêmes observations « scientifiques » qui nous sont ici présentées. En somme l’entraînement prend fin, là où s’arrête la capacité de collecter et de redistribuer de celui ou celle qui détient les cordons de la bourse.
Vraiment désolé de devoir contrarier ces grands et généreux desseins qui nous sont si généreusement offerts par Noémi Mercier. N’est-il pas vrai que ce soit l’union qui fasse la force ? Les unions les plus durables ne sont elles pas celles qui sont conduites par l’amour désintéressé en toute universalité ?