Stérilisation forcée de femmes autochtones : un cas d’eugénisme ?

Une action collective intentée en Saskatchewan dévoile au grand jour des pratiques médicales troublantes, explique le chroniqueur Julien David-Pelletier. En cause : une vieille mentalité qui n’a probablement pas épargné le Québec. 

cyano66 / Getty images

Alors que le Canada dénonce à juste titre la stérilisation des femmes ouïgoures par le régime communiste chinois dans la province du Xinjiang, il ne faudrait pas oublier que des gouvernements provinciaux, le système médical et l’État fédéral ont, jusqu’à très récemment, stérilisé contre leur gré des femmes autochtones. 

La Loi sur la stérilisation sexuelle de l’Alberta a ainsi permis à des médecins, jusqu’à son abrogation en 1972, de forcer la stérilisation de personnes décrites comme « inaptes ». Cette pratique a particulièrement visé des femmes des Premières Nations, et surtout, elle s’est poursuivie jusqu’en… 2018, selon les allégations de deux actions collectives intentées en Alberta et en Saskatchewan en 2019.

Me Alisa Lombard dirige l’action collective engagée en Saskatchewan, où cette pratique avait lieu même sans loi-cadre. Elle la décrit comme troublante et l’attribue à un manque d’imputabilité dans le système médical canadien et, par le fait même, au racisme institutionnel envers les Autochtones.

La pratique précise qui est dénoncée dans cette action, mais qui ressort aussi du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), publié en 2017, est la ligature des trompes chez les femmes autochtones, tout juste après l’accouchement. Là où le bât blesse, c’est qu’il y a lieu de croire que le consentement de ces femmes n’était pas libre et éclairé au moment de l’opération.

« Au cours du péri-partum et du post-partum, les femmes, particulièrement les femmes autochtones, subissent un stress énorme. […] On ne peut pas s’attendre à un consentement libre et éclairé lors de cette période », fait valoir Me Lombard. Elle ajoute qu’une telle stérilisation n’est pas une procédure « urgente » comme une césarienne, auquel cas il serait justifiable de passer outre au consentement de la patiente. La ligature des trompes est une mesure non nécessaire et, surtout, permanente.

Me Lombard a intenté cette action après qu’une femme qui se disait victime de stérilisation eut communiqué avec elle : « Comme femmes, on ne raconte pas nécessairement nos histoires d’accouchement à tout le monde. C’est vraiment grâce à cette première femme qui m’a contactée […] qu’on a vu qu’il y avait manifestement un traitement non conforme au droit concernant l’autonomie corporelle et l’autodétermination. »

Dans le cadre de cette action collective, ce sont plus de 60 femmes qui, à ce jour, allèguent avoir subi une stérilisation forcée aux mains de médecins lors d’un accouchement ou d’une autre opération médicale. Les faits soulevés se seraient produits aussi récemment qu’en 2018, soit 26 ans après l’abrogation de la loi. Les femmes avaient entre 14 et 40 ans au moment des faits.

Une manifestation de l’eugénisme

Comment expliquer que de telles pratiques aient pu avoir cours il y a si peu de temps au Canada ?

Le rapport final de l’ENFFADA attribue entre autres à la philosophie eugéniste la justification des mesures de stérilisation à l’endroit des femmes autochtones.

Ce courant de pensée né à la fin du XIXe siècle prône la reproduction sélective et étiquette certaines personnes ou catégories de personnes comme étant « faibles d’esprit », « mentalement déficientes » ou encore « indésirables ». Selon le rapport de l’ENFFADA, quelque 4 785 dossiers ont été ouverts entre 1928 et 1972, en Alberta seulement, pour recommander la stérilisation de personnes qui répondaient à ces « critères ». Plus de 99 % de ces recommandations ont été approuvées par la Commission eugénique de l’Alberta, l’organisme créé pour prendre en charge l’application de la Loi sur la stérilisation sexuelle.

Malgré l’abrogation de la loi albertaine en 1972, tout porte à croire que cette pratique s’est poursuivie en cachette, en Alberta comme en Saskatchewan.  

Alisa Lombard croit que la philosophie de l’eugénisme est encore présente dans le système de santé canadien. « Cette pratique est-elle nommée ? Non. Y a-t-il une politique qui enjoint de stériliser les femmes autochtones ? Bien sûr que non. Est-ce que cette pratique a touché de manière disproportionnée les femmes autochtones ? Absolument. »

Bien qu’elle admette que la grande majorité des médecins se conforment à la loi, elle déplore qu’une telle philosophie existe toujours.

Au Québec également ?

Ce phénomène aurait aussi eu cours au Québec. Les résultats d’une étude sur la question, à laquelle participe la professeure Suzy Basile de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et d’autres intervenants, devraient être dévoilés sous peu.

Or, dans son livre Plus aucun enfant autochtone arraché : Pour en finir avec le colonialisme médical canadien, le Dr Samir Shaheen-Hussain, pédiatre urgentologue et professeur adjoint à la Faculté de médecine de l’Université McGill, est formel : « Ce n’est qu’une question de temps avant que ne soient révélées des stérilisations forcées de femmes et de filles autochtones au Québec, les circonstances dans lesquelles celles-ci ont eu lieu et leur ampleur. Comme ailleurs au Canada, la question n’est pas de savoir si cette pratique a eu cours, mais à quel point on l’a maintenue. »


Me Julien David-Pelletier est juriste et chroniqueur indépendant. Il a été directeur général de Novum Légal et conseiller spécial – accès à la justice au Barreau du Québec. Il est aussi cofondateur de l’organisme juridique Juripop.

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« « Ce n’est qu’une question de temps avant que ne soient révélées des stérilisations forcées de femmes et de filles autochtones au Québec, les circonstances dans lesquelles celles-ci ont eu lieu et leur ampleur. Comme ailleurs au Canada, la question n’est pas de savoir si cette pratique a eu cours, mais à quel point on l’a maintenue. » » Dr Samir Shaheen-Hussain

Qu’est-ce qu’il en sait? Il a déjà une idée toute faite. Il est biaisé. Comment pourrait-on lui faire confiance.

Euh, il est pédiatre urgentologue et professeur adjoint à la Faculté de médecine de l’Université McGill… Avez-vous au moins lu son livre ? Franchement, quand on en vient à la question autochtone, il semblerait que la complicité des Québécois avec le colonialisme canadian a fait que nous souffrons collectivement d’aveuglement volontaire et de tartufferie! Pour ma part j’ai hâte de lire l’étude du professeur Basile pour en savoir plus.

Ici, on tire des conclusions à partir de témoignages de femmes autochtones qui ont porté plainte. On n’a aucune idée du nombre de cas ni de ce qui s’est réellement produit lors de l’accouchement ou après.

De plus, on remet en cause les cas où plusieurs de ces femmes ont pu donner leur accord pour une ligature des trompes, en soutenant que ce n’était pas un accord « éclairé ». Ceci pose la question de savoir quand un accord va être considéré comme « éclairé » lorsqu’on a affaire à une personne « faible d’esprit » ou « mentalement déficiente ». Et combien de femmes ligaturées ont pu regretter leur propre décision, éclairée et prise longtemps à l’avance, et en vouloir au médecin qui a procédé à cette ligature ?

Il faut finalement considérer que certaines femmes autochtones qui accouchent dans les grands hôpitaux vivent souvent très loin de ces hôpitaux et qu’elles y sont transportées par avion. Doit-on les retourner chez elles et les faire revenir plus tard si elles veulent une ligature des trompes, ceci dans le but d’éviter une décision « influencée par le stress post-partum » ?

C’est facile de mettre en lumière des problèmes théoriques avec les premières nations. On n’a pas ici l’ombre d’une enquête auprès de ceux qui ont donné les soins médicaux et infirmiers pour savoir qu’elle était la nature des accords liés aux ligatures des trompes.

Cette pratique qui a eu lieu jusqu’à récemment constitue un acte de génocide en vertu de la Convetion internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide entrée en vigueur le 12 janvier 1951 et qui stipule ceci:
Article II

Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

Des quatre autres actions qui constituent le crime de génocide, le Canada en a commis trois et c’est ce qui a amené l’ex juge en chef du Canada de parler de génocide ainsi que la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées.

En reconnaissant notre colonialisme et ses aspects génocidaires, on pourrait alors passer à la prochaine phase, la décolonisation et la réconciliation; ce serait plus productif pour le pays et pour chacun d’entre nous.

Un acte de génocide? Un tel gonflement hystérique n’a que pour effet d’alimenter le moulin de la désinformation et à maintenir les perceptions erronées.

Peut-on parler de génocide quand la population autochtone augmente plus que celle du reste du Québec? Depuis 1951, le taux d’accroissement moyen de la population autochtone dépasse 3% par an.
DOI: https://doi.org/10.7202/600606ar

« …la population autochtone augmente désormais à un taux plus rapide que le reste de la population canadienne. Entre 1996 et 2006, elle augmente de 45 pour cent, contre seulement 8 pour cent pour la population non autochtone. Entre 2006 et 2011, les Autochtones continuent à se faire plus nombreux, portant leur nombre à 232 385, soit une augmentation de 20,1 pour cent. En comparaison, la population non autochtone ne hausse que de 5,2 pour cent durant la même période. »
https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/demographie-des-autochtones