Toutes les vies comptent, ou l’art de détourner le sujet

Peut-on blâmer la communauté noire d’affirmer que la vie de ses membres a de la valeur?

Des manifestants lors d'un rassemblement du mouvement Black Lives Matter, le 10 juillet, à Cincinnati. (Photo: John Minchillo/AP)
Des manifestants lors d’un rassemblement du mouvement Black Lives Matter, le 10 juillet, à Cincinnati. (Photo: John Minchillo / AP)

Auriez-vous aimé naître noir, aux États-Unis? Probablement pas. Surtout si, comme moi, vous êtes si blanc qu’on dirait que vous n’avez pas vu le soleil depuis janvier dernier. «Aimerais-tu mieux être riche et en santé, ou pauvre et malade?» pour paraphraser Deschamps.

Pourquoi aller se compliquer la vie quand on peut naître du bon bord et vivre tranquille, sans s’inquiéter de se faire arrêter sept fois dans une année juste parce qu’on conduit une trop belle automobile pour notre couleur de peau?

Dans une altercation avec la police, un Afro-Américain a 25 % plus de chances de se faire poivrer qu’un Blanc, 24 % plus de chances d’avoir une arme pointée sur lui et, conséquemment, 40 % plus de chances d’avoir envie d’appeler sa mère en pleurant quand tout est fini.

S’ajoute à cela l’impression que chaque fois qu’une vidéo arrive sur Internet, elle montre soit un chat qui joue du piano, soit un jeune Noir abattu par la police dans des circonstances pas claires.


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Dans ce contexte, la communauté noire finit par se demander si la vie de ses membres a de la valeur aux yeux des autorités. Comment les blâmer? Ma mère s’inquiète de ce que je ne l’aime plus pour bien moins que ça.

Et c’est de là que naît le mouvement et le slogan Black Lives Matter. La vie des Noirs compte.

Mais là, avant de sortir votre grand humaniste intérieur et de vous prendre pour un chanteur d’opéra cheapette en affirmant qu’«ALL Lives Matter!» (toutes les vies comptent), pensez-y deux secondes.

Imaginez la discussion entre deux amies:

– Mon mari me bat.
– Le mien ne baisse jamais le siège des toilettes. On a tous nos problèmes.

Clamer «All Lives Matter», c’est un peu ça. C’est interrompre quelqu’un qui parle d’un problème systémique incrusté dans le tissu de la société pour lui dire: «Oui, mais moiiiiiiiii aussi j’existe. Moi moi moi.»

Rien n’illustre mieux l’absurdité de All Lives Matter que cette bande dessinée de Kris Straub qui fait actuellement le tour du Web:

«On devrait se soucier de tout également, tout le temps. Toutes les maisons sont importantes.»

D’autres, dans un désir d’être plus précis ou parce que ce sont des schtroumpfophiles confus, ont tenu à affirmer haut et fort que «Blue Lives Matter», le bleu faisant ici référence à l’uniforme des policiers. Mais qui, vraiment, se demande si la vie des policiers est valorisée? On leur donne des armes. Et de l’équipement de plus en plus militaire. Et des pouvoirs que personne d’autre n’a. Et des funérailles spéciales quand ils meurent en service.

«Blue Lives Matter»… aussi bien se promener avec des pancartes «Ice Is Cold» si on est pour énoncer des évidences.

Si votre médecin vous dit: «Mangez des légumes verts, c’est important», vous n’allez pas jeter vos Corn Flakes aux vidanges pour croquer du brocoli en vous levant le matin. Même chose ici. Toutes les morts sont graves et toutes les vies sont importantes. Personne ne dit le contraire.

Personne n’aime se faire rappeler qu’il participe à un système qui l’avantage aux dépens des autres. Notre premier réflexe est le même que lorsqu’un magicien cherche un volontaire: dire «Hey, woh, non, pas moi!» Et pendant qu’on accuse l’autre de ne pas penser à nous, on n’a pas à penser à lui.

Les États-Unis ou le Canada ont-ils un problème racial? On en parlera après avoir clairement statué que moi aussi je compte. Est-ce normal que tu aies peur que tes enfants se fassent tirer par un policier? On en parlera quand je t’aurai expliqué pourquoi ton slogan me blesse.

Pourtant, nul besoin de se lancer dans une version solo de Fifty Shades of Grey, de se fouetter en criant à travers ses pleurs que l’on a mal agi ou de se punir en mangeant un repas d’hôpital. Il suffit… d’écouter ceux qui racontent leur expérience.

C’est pénible de se regarder dans le miroir si c’est pour constater qu’on a un bouquet de persil entre les dents depuis des heures. Mais à long terme, on sera tous contents d’avoir eu l’occasion de l’enlever.

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A Ottawa, des policiers auraient »massacré » un Somalien qui repose à l »hôpital entre « la mort et la vie ». Quelle idée! L’individu est amené à plat ventre et pendant qu’on lui passe les menottes, un des AGENTS DE LA PAIX se met à fracasser sans répit la tête du malheureux contre le pavé.

Vous avez là une des tares de la démocratie bourgeoise qui consiste à exploiter les revendications des groupes opprimés. Pour emprunter le terme de l’auteur, on détourne la vérité.

Excellente démonstration d’insouciance, de ridicule et de manque d’empathie et certes d’un manque le plus totale de conscience sociale. Tout à fait révoltant !!! L’insignifiance atteint son paroxysme avec de tels propos.

L’article, tout comme les commentaires, me rappelle que l’harmonie dans nos communautés est toujours fragile et qu’il n’est pas futile que je tisse des liens diversifiés dans mon entourage et que j’en prennes soin au quotidien. Je crois vraiment à la participation locale. La paix de nos quartiers ne devrait pas être seulement l’affaire de la police, non? Que pensez-vous que la gouvernance des forces de l’ordre permettrait la participation citoyenne? Pourquoi pas un conseil de citoyens, un peu sur le model de conseil d’établissement pour une école, ou conseil d’administration pour une entreprise? Peut-être que ça existe et que je l’ignore… Merci de partager l’info.