Trois mots pour décrire l’été

Anxiété, angoisse, anxiogène, ont répondu les abonnés Twitter de Marie-France Bazzo. Et v’lan dans le décor, les photos de belles plages apaisantes de la Gaspésie sur les réseaux sociaux !

Photo : Daphné Caron

Dimanche, j’ai demandé à mes abonnés Twitter de décrire leur été 2020 en trois mots, pressentant que ces vacances étranges dans une année inouïe seraient particulières. Je m’attendais à des mots comme « décrochage » (abandon ou lâcher-prise inconscient), « masque » (tout le débat sur les considérations de santé publique) et « Gaspésie » (l’exploration contre notre gré du territoire québécois mal connu). Sur des centaines de réponses, il y a bien eu quelques abonnés heureux qui parlaient « soleil », « amour », « sexe », « blanc et rosé », « résilience », « CH en 4 », mais la plupart des réponses — dont un très éloquent « *stie, c*lice, tabarn** » — alignaient les mots « désolation », « ennui », « déboussolant », « inquiétude », « stress », « névrose », « masque », « zizanie », « complots », « anxiété », « angoisse », « anxiogène », avec une palme pour la récurrence des trois derniers.

J’avoue avoir été saisie. Derrière leurs belles photos Instagram de Baie-Saint-Paul et de Chandler, les familles angoissaient. Sous le Beach Club sauvage de Rawdon ; l’anxiété. Il se dégageait de cet été suspendu une impression d’insatisfaction, d’attente. Que feront les enfants ? L’école va reprendre, mais jusqu’à quand ? Mon couple survivra-t-il à l’automne, à l’hiver ? Que sera le travail ? Comment allons-nous faire à quatre dans cet appartement ? Ça nous travaille, ça nous ronge en dedans. Les couples éclatent. Les Montréalais lorgnent la banlieue, les banlieusards envient les régions. Le masque, c’est pour longtemps encore ? L’État a-t-il raison ?

Parlant de masques, samedi il y a eu cette manifestation de quelques centaines d’antimasques et de « complotistes crinqués », avec leur égérie Lucie Laurier et leur chef officieux Alexis Cossette-Trudel. Lundi, ça discutait fort dans les médias : fallait-il leur donner la parole, montrer leur manif ? Je refuse de traiter ce phénomène par-dessus la jambe, de manière anecdotique, ou de fermer les yeux, de les traiter de folles et de gourous. N’en déplaise aux bien-pensants, ils représentent quelque chose, comme les légions pro-Trump en 2016 aux États ou les Gilets jaunes en France en 2018, que ni les médias ni les élites n’ont vu venir et ont ridiculisé et minimisé. Ils sont les fâchés, les anti-establishment, les anti-État. Dans notre cas local, ça part d’une défiance par rapport au masque et d’une adhésion aux théories du complot. Un sondage CROP récent indiquait que 14 % des Québécois, plus nombreux à Québec et dans la cohorte des 18-34 ans, sont contre le masque. Une étude réalisée par l’INSPQ en juin révèle qu’« un Québécois sur quatre » croit que la COVID a été créée en laboratoire. Tout ça parle d’une méfiance rampante, d’un échec éducatif. Ils sont une minorité bruyante et importante, probablement anti-vaccins, anti-État, favorable à Trump. Au-delà de tous les schismes et des fractures sociales, cette part non négligeable de « nous » en a ras le bol, elle l’exprime tout croche, mais sa colère n’est plus contenue.

J’évoquais les Gilets jaunes français : certaines de leurs revendications étaient plus ancrées dans l’économie, plus solides que le refus du couvre-visage. Les électeurs de Trump étaient des déclassés économiques. Mais tous ces atypiques ont en commun une rage anti-élites qui ne peut plus être remise dans le tube de dentifrice. Entre 14 et 25 % d’une population, ça en fait des insatisfaits qui refusent le consensus social. C’est « insécurisant » pour les partis qui ne les endiguent pas, pour les institutions dont ils se méfient. Je ne dis pas qu’ils ont raison, peu s’en faut. Je dis qu’ils comptent, et que désormais le Québec a « son » mouvement. Ils sont nos voisins, nos familles. Un sur cinq.

Cet été, nous sommes entrés dans un drôle de monde. Ici comme ailleurs, le contexte est extraordinaire. On se hurle dessus, on se regarde avec suspicion. Devant, le chemin n’est pas balisé. Cossette-Trudel, le chef informel, a répondu à mon message Twitter en trois mots : « Coup d’État manqué ». Les temps sont incertains…

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J’ai remarqué en lisant les commentaires dans divers forum pendant la saison estivale que les citadins semblent beaucoup plus angoissés que les ruraux quant à la pandémie. L’effet du nombre combiné à la distanciation sociale restreignant l’accès aux espaces verts, se pourrait-il que les Montréalais par exemple, se sentent à l’étroit ?

Il n’y a pas à ma connaissance quelque sujet de société qui ne compte 14 à 25% de gens qui soient contre. Alors, il n’est pas surprenant que des gens soient contre le port du masque. Est-ce que les gens qui sont contre quoi que ce soit, représentent une force sur laquelle il faut compter et avec laquelle il faut compter ?

Ma foi, j’sais pas !

Force est de constater que malgré le volume d’informations qui circulent où que ce soit comme jamais. Il reste encore au moins 14 à 25% de personnes qui sont mal informées, de personnes qui ne veulent rien voir, rien entendre, rien comprendre. Ou encore 14 à 25% qui cultivent le culte de leur propre personnalité, qui se complaisent dans leur autosatisfaction et qui ne voient dans l’autre que leur propre reflet idéalisé.

Devrions-nous considérer qu’il faut remettre le pouvoir à tous ces gens-là sous prétexte qu’ils existent ?

Par ma barbe… j’sais pas !

Le grand malheur de l’humanité, c’est que ce sont les pertes qui nous font prendre conscience de la chance que nous avions de posséder quoique ce soit. Lorsque plus d’uns oublient que ce qui surpasse la liberté, c’est le civisme ; lorsque c’est la bienveillance envers autrui qui surclasse quelque clivage de société que ce soit.

Devrions-nous choisir nos combats ? Disons que descendre dans la rue contre le port du couvre-visage, cela n’a pas beaucoup de classe selon moi. Et je suis prêt à parier un « quat’e sou » qu’il y a au moins 14 à 25% de gens qui sont contre ces manifestations-là !