
Permission accordée à un étudiant de ne pas faire de travaux d’équipe avec des femmes à l’Université York, en Ontario, demande acceptée de séparer les hommes et les femmes dans une classe à l’Université de Regina, en Saskatchewan… Il n’y a pas qu’au Québec que les accommodements raisonnables font des remous. Paul Grayson, professeur du jeune étudiant à York, estime que les accommodements ont dépassé les limites du raisonnable. L’actualité l’a joint à son bureau.
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Lorsque l’étudiant vous a demandé de ne pas faire équipe avec des femmes, vous avez acheminé sa requête à l’Université plutôt que de lui répondre directement. Pourquoi ?
Je trouvais la demande si énorme que je voulais obtenir un énoncé de principe sur la question de la part des membres de la haute direction. J’ai été estomaqué lorsque j’ai vu qu’ils y avaient acquiescé.
Il a pourtant fini par faire le travail à vos conditions…
L’étudiant lui-même n’a jamais été le problème. C’est comme un enfant qui demande à aller jouer dehors. Vous lui répondez non et il dit d’accord. L’Université York et le Code des droits de la personne de l’Ontario font que si un enfant demande à aller jouer dehors, nous devons le laisser aller jouer dehors. Sinon, nous violons ses droits.
En présence de demandes d’accommodements, trois principes guident votre Université : la croyance religieuse de la personne doit être sincère, l’accommodement ne doit pas brimer les autres, et il ne doit pas menacer la bonne marche du cours. Est-ce la bonne façon de faire ?
Pas du tout. Cela laisse trop de place aux abus. Un étudiant n’a qu’à dire que vos exigences vont à l’encontre de sa foi, et vous devez le croire. Vous ne pouvez pas lui demander quelle est sa religion ni discuter avec lui des préceptes de sa foi. Nous ne savons donc pas si l’étudiant [NDLR : il suit un cours en ligne] qui a demandé cet accommodement est juif, musulman ou chrétien. Même si j’ai ma petite idée. Mais peu importe, sur la base de sa religion, il a demandé à ne pas interagir avec les femmes.
Auriez-vous préféré prendre seul la décision concernant cette demande, ou pensez-vous plutôt qu’un cadre réglementaire soit nécessaire ?
Je crois qu’il est bon d’avoir un cadre qui nous permet de consulter nos collègues. J’ai recommandé à la direction de l’Université que ces questions soient dorénavant examinées et approuvées par un comité de pairs.

Cela nous ramène au Québec et au débat entourant la Charte des valeurs. A-t-elle une utilité ?
Bien entendu. Allez lire le chapitre 5 du projet de loi 60 [sur la Charte]. On y indique très, très clairement qu’aucun accommodement religieux ne devrait être accordé s’il compromet l’égalité entre hommes et femmes. En Ontario, c’est ambigu : les droits religieux ont parfois préséance sur les droits des femmes.
Vous vous êtes pourtant entendu avec votre étudiant, sans passer par un changement législatif ou par l’adoption d’une Charte. Le « gros bon sens » ne suffit-il pas ?
Non. Mon étudiant et moi sommes parvenus à une entente parce qu’il vient d’une culture où l’on respecte l’autorité. Je ne crois pas qu’il ait accepté mon point de vue, mais il a accepté mon autorité.
Le nombre de demandes d’accommodements religieux que vous recevez chaque année augmente-t-il ?
Oui, nettement. Il y a plusieurs années, on n’entendait jamais parler d’accommodements religieux. Soit dit en passant, la plupart de ces demandes — je parle ici de ma propre expérience — viennent de chrétiens, souvent des membres de l’Église adventiste, qui ne peuvent pas travailler le samedi.
Quelles sont les causes de cette augmentation ?
Elles sont nombreuses : le Code des droits de la personne de l’Ontario, qui permet à peu près n’importe quoi ; les bureaucrates des droits de la personne, comme je les appelle, qui adhèrent sans condition aux principes d’un code, même quand ça n’a pas de sens ; l’Université, qui a une approche bureaucratique des problèmes à dimension morale ; et la société en général. Au Canada, désormais, le seul fait de remettre en question certains accommodements est considéré comme du racisme.
Le projet de loi 60 s’attarde aussi au port de signes religieux ostentatoires. Doit-on légiférer sur cette question ?
Je vous répondrai pour le domaine que je connais : le système d’éducation. Le respect du droit des enfants est primordial. Les enfants sont impressionnables et, s’ils fréquentent l’école publique, ils ne devraient pas être mis en présence de symboles religieux. Cela est vrai tant pour les enfants musulmans que chrétiens. Je ne crois pas que les parents d’un élève musulman veuillent que leur enfant soit exposé au crucifix, par exemple. Et c’est tout à fait légitime.