Un droit constitutionnel pour un gros Noël ?

On conspue depuis des années sa joie qui sonne faux, ses cartes de crédit remplies, et voilà que cette année, Noël devient une affaire nationale !

Photo : Daphné Caron

Celle-là, on ne l’avait pas vue venir. Aux nouvelles fractures sociales, qui s’organisent dorénavant autour des axes Montréal-régions, gauche-droite, diversitaires-identitaires, il faut maintenant ajouter l’axe Noël all in-Noël austère. Nous sommes rendus là. On travaille fort depuis 40 ans pour un Québec laïque, Noël est depuis plusieurs années raillé, discrédité, jugé hyperconsumériste, on conspue sa joie qui sonne faux, ses cartes de crédit remplies, et voilà que boum ! le combat autour de la survie de Noël en temps de COVID devient une affaire nationale. La politique s’en mêle, tricotée serré avec les arguments de la santé publique. Le premier ministre a proposé jeudi un contrat moral. Noël contre jour de l’An. Fermeture des écoles le 17, quatre jours de fête, puis une quarantaine aux restes de dinde.

Je n’aurais pas voulu être à la place de François Legault, de son équipe, et avoir cette décision stratégique à prendre : faut-il faire passer la santé publique avant la fête ou la santé psychologique avant l’école ? A-t-on fait tous ces sacrifices de liens sociaux et d’économie pour finalement tout envoyer valser ? Pour accueillir matante, le buffet pis le bol de sangria ? Alors que l’espoir d’un vaccin est en vue, ce Noël si critiqué, si dénigré, est-il devenu « le boutte de toute » ?

Rappelons-nous nos sentiments quant à Noël jusqu’à l’an dernier. Cette fête laisse toujours une petite amertume, même chez ses inconditionnels. Plusieurs sacrent leur camp dans le Sud pour ne pas avoir à affronter un cinquième repas familial, certains s’accrochent un sourire forcé dans la face, sans compter les grincheux, les radins, les rabat-joie, toujours démasqués dans le temps des Fêtes. Il y a aussi les tristes, les solitaires, les éprouvés, les malades, les pauvres. Les coincés par les conventions, les ensevelis sous des traditions trop pesantes, les endeuillés, les mal à l’aise. Ça fait beaucoup de monde face aux légions de fanatiques des partys de bureau. Et là, d’un coup, Noël deviendrait la fête la plus désirable du calendrier ? Soudainement, tous les grands-parents voudraient embrasser leurs petits-enfants ? Les grands-parents ne forment pas une cohorte homogène. Certains aînés sont négligés par leur famille 364 jours par année ou considérés comme des gardiens commodes quand on a besoin d’être dépanné. D’autres trouvent les liens familiaux bien lourds. Et c’est l’image intergénérationnelle idéalisée qu’on nous fourgue mur à mur pour sauver Noël…

Bien sûr, nous voulons tous respirer, nous coller sur nos proches, nos amis. Nous en avons besoin pour notre santé mentale. Ce n’est pas une vie que d’être enfermés. Enfermés dans nos têtes, nos maisons, nos régions, notre pays. L’univers renfrogné est dur sur le moral. Nous avons envie de lumière, à défaut de billets d’avion… mais privilégier Noël et la santé mentale, c’est aussi ouvrir la porte à une troisième vague en janvier. On ne s’en sort pas.

J’aime Noël. J’écoute Mariah Carey et Charlie Brown depuis 10 jours, j’ai décoré le balcon hier, je monte le sapin de la terrasse demain. J’aime mes amis et m’ennuie terriblement d’eux, de nos soupers festifs, le socle de ma socialisation. Toutefois, j’adhérerai à ces fêtes modestes. Un couple à table, choisi avec soin. Mais nous savons bien qu’au fond chacun fera selon sa conscience, et c’est bien là le drame. Beaucoup seront encore plus précautionneux que ce que demande l’édit gouvernemental. Certains « ratoureux » respecteront la norme des 10 convives, mais deux fois par jour, pendant quatre jours ! Il y aura de gros partys de sous-sol, avec les voitures stationnées à deux rues pour ne pas alerter les voisins.

Rendus où nous en sommes, avec l’espoir prochain d’un vaccin, c’est la conscience sociale qui est en jeu. Individualisme ou sens du bien commun. Le premier ministre peut bien brandir son contrat moral, on sait bien que la police du punch n’existe pas, ni l’escouade antitourtière. C’est chacun pour soi. Les élans de solidarité de la première vague vont-ils mourir lamentablement au pied du sapin ? Existe-t-il un droit constitutionnel pour un gros Noël ? #teamparty l’emportera-t-il sur #teamArruda ?

La bataille de janvier se joue actuellement, dans les invitations qu’on lance ce week-end pour les quatre jours de Noël.

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Bonjour madame Bazzo,

Votre texte a provoqué chez-moi plusieurs sourires ce matin. Vous avez décrit la réalité, rien de moins.

Belle journée à vous.

Michel Gignac

Je réponds à l’article de Marie-France Bazeau sur la décision stratégique pour la fête de Noel. Elle dit en introduction que ce débat se fait dans un contexte où, par ailleurs, on vante la laicité. Si le Québec est vraiment laic, que fait le gouvernement à gérer une fête hautement religieuse. Et que fait-il ou dit-il des autres fêtes religieuses? J’aurais aimé qu’on poursuive sur ce filon

La décision est en lien avec la santé publique. Depuis très longtemps Noël a perdu son caractère religieux. Cette fête est liée depuis des siècles au retour de la lumière. Si la fête religieuse avait pris peu à peu la place de différentes fêtes liées au solstice d’hiver, on peut dire que depuis le début du XX siècle la tradition du père Noël a transformé la fête chrétienne en fête laïque des enfants, des familles et des cadeaux. C’est une fête de famille et toutes ces décorations comblent la lumière des jours qui reprend autour de cette fête. On peut croire ou non au Père Noël, moi j’ai hâte que la lumière revienne!

Il s’adonne que la période de Noël coïncide avec le ras-le-bol de la COVID. Après neuf mois d’isolement, les gens ont besoin de changer d’air. Avec ou sans cadeaux et tourtières.

Les directives des autorités sanitaires et gouvernementales relèvent du gros bon sens : permettre aux gens de se rencontrer en minimisant les risques de contagion.

Qu’auriez-vous voulu que le gouvernement fasse d’autre ?

Plusieurs commentaires notent avec raison que Noël n’est pas nécessairement une fête chrétienne et encore moins catholique. Sauf que l’Église québécoise en a fait une fête religieuse sans l’ombre d’un doute, avec ses 3 messes dont celle de minuit. Je le sais, j’ai servi les 3 messes à quelques reprises.

Autrefois, au Québec la vraie fête était le Jour de l’An, pas Noël et c’était justement une fête laïque. C’est surtout l’influence anglo-américaine qui a transféré la fête chez les Québécois du Jour de l’An à Noël, surtout que Noël arrivait une semaine avant et que les petits anglais avaient leurs cadeaux avant nous…

C’est donc profondément ironique, malgré l’histoire païenne de Noël, que justement le Québec laïque ait choisi Noël au lieu du Jour de l’An et ça jette un doute important sur le sérieux du concept de laïcité du gouvernement Legault.

Mais la vraie question est surtout l’inepsie de ce gouvernement à faire face à la pandémie. On a entendu ad nauseam le refrain que les Québécois étaient dociles… S’ils l’étaient on ne ferait pas face à une telle deuxième vague. Pour qui reste dans des lieux touristiques en zone orange ou jaune, malgré les directives très claires de la santé publique de ne pas sortir de la zone, on a vu les hordes de touristes de Montréal et des zones rouges nous envahir parce que les restaurants étaient ouverts… Est arrivé ce qui devait arrivé, nous avons rejoint les zones rouges. Il n’y a pas de génération spontanée de covid, c’est une pandémie et elle se répand par transmission, pas spontanément.

Notre gouvernement est tellement innocent qu’il demande à ceux qui voyagent de se mettre en quarantaine… volontaire. Évidemment, nos chers snowbirds dociles se sont quand même retrouvés ce printemps avec leurs VR dans les stationnements des grandes surfaces et des épiceries.

Le gouvernement Legault a tellement peur de déplaire, politique oblige, qu’il n’hésite pas à sacrifier des vies et des éclosions de covid à des fins politiques, les élections s’en venant dans deux ans. Noël ou pas, ce laxisme est une bien mauvaise idée et il est fort probable qu’il va arriver ce qui est arrivé dans les derniers mois, c’est-à-dire plus de gens seront infectés, les services de santé seront débordés et les plus vulnérables y risquent leur vie. Quand la politique s’occupe de santé, c’est un désastre appréhendé !

Riche réflexion, voisine.

Rarement se sera-t-il avéré si ardu de départager qui aurait le plus raison et pourquoi.

Par contre est-il possible d’apercevoir certaines faiblesses eu égard à des aspects particuliers de la chose. Par exemple, alors qu’a été dit que celle-ci aurait été pensée ou conçue en fonction de ou pour de plus âgé.e.s ou esseulé.e.s; doit-on faire ressortir que les seul.e.s sont pratiquement les… seul.e.s bénéficiant déjà, et en tout temps, de prérogative de visites; et que s’il est vrai que des aîné.e.s célébreront leur dernier Noël cette année, leur nombre pourrait s’en voir accru ‘grâce à’ cet élan d’amour collectif manifesté en prime à Noël – prépondéramment à leur endroit censément.

Secondement, qu’il semble im pos si ble, inenvisageable, de « sauter » UN Noël, quoique sachant l’antidote à la porte, annonçant perspective quasi assurée de Noël immédiatement subséquent autrement moins problématique; ça, il se pourrait que ce soit éloquent, révélateur. De? Devinez.

T k, constatant ce qu’on constate, on ne peut ne pas s’entendre rappeler intestinement de profondes sentences, telle celle dostoïveskienne — (« Ce que les gens appréhendent le plus? Ce qui les tire de leur habitudes »); ou cette autre, qohéletienne, éminemment mieux connue — (« Rien de nouveau sous le soleil»). Rejoignant l’Éternel retour du même nietzschéen, la compulsion de répétition freudienne ou, tiens donc, la… Reproduction.

En effet, à écouter les conférences de presse à propos de la COVID, on croirait que les partys sont la priorité de tous les Québécois ! Qu’avant l’épidémie, tout le monde avait des partys chaque semaine.

Et pourtant! En mars dernier, ce qui s’annonçait relevait de l’incertitude face à l’inconnu.. Qu’on se soit, ou bien réfugiés dans le déni, ou bien encore dans le fatalisme pouvaient se comprendre. Huit mois plus tard, force est de constater que, bien que les conséquences de cette pause soient bien réelles, la situation aurait pu être tellement pire n’eut été du soutien de nos gouvernements.
Maintenant que la lumière apparait enfin au bout du tunnel (les deux virus la Covid et Trump seront vraisemblablement vaincus en même temps) , le gouvernement n’aura pas eu le courage d’inviter les Québécois à consentir à un ultime sacrifice (Noël) .. avant la reprise du retour graduel à la normale qui s’annonce! La gestion infantilisante de la pandémie aura été privilégiée jusqu’à la fin! Papa Legault risque de s’ennuyer de son ancienne vie .. alors qu’il aura à gérer, en plus du redressement des finances publiques, les « crises de bacon » dont sa gestion trop molle de la pandémie aura attesté de l’efficacité.

Comme à l’habitude, Mme Bazzo, vous savez très bien souligner nos contradictions. C’est un choix cornélien pour le gouvernement Legault et, peu importe la décision, il y a des inconvénients. Ils se sont sans doute résolus à lâcher un peu de corde, de crainte que la tension sociale ne monte d’un cran. En témoigne cette drôle d’idée de quarantaine avant et après les 24-27. Comme s’il fallait nous punir pour contrebalancer cette « permission ». De toute façon, on sait qu’on nous blâmera après. Car l’alcool et les contacts aidant, les consignes seront contournées par la porte d’en arrière. Littéralement.

Oui … drôle de phénomène que ce besoin si pressant de rencontres sociales. C’est possiblement l’attrait de l’interdit – ce qui nous est interdit devient soudainement encore plus attrayant.

Je ne comprend pas les « snowbirds » qui insistent devoir se rendre en Floride … et qui se sentent à l’abri avec leur assurance-Covid limitée à 100 000 $, un montant vite dépassé après deux jours seulement aux soins intensifs dans un hôpital US. Et ils/elles vont lancer des cris de coeur quand nos gouvernements ne pourront libérer les moyens nécessaires pour les ramener au bercail lorsque le malheur va frapper. Car c’est certain … au nombre qu’ils/elles sont, le malheur va être à la rencontre.

En attendant … restons civils, restons gentils … car nous sommes tous humains. Faut-il se le rappeler.

Par contre, je maintiens que

Sait-on jamais. Au printemps, le gouvernement québécois avait été pas mal seul à oser. À oser rouvrir des écoles. L’Ontario avait dit trouver cela très risqué et son PM avait souhaité « Bonne chance! » au Québec. Or, ç’avait été un fort bon coup cette réouverture-là. Ç’avait marché. Rondement.

Qui sait, donc, si, à nouveau, ce gouvernement n’aurait flairé le moins mauvais vent.

On ne saura qu’après. Anyway, rien n’assure en ce moment que ça pourra effectivement avoir lieu.

On observe seulement qu’il y a des points de vue aux antipodes les uns des autres. Et ce y compris au sein de mêmes groupes d’âge. Comme aujourd’hui, un media (francophone) faisait entendre le commentaire suivant d’une dame âgée :
« I think it’s just a Christmas to forget this year ».

toujours aussi pertinente, et très juste dans vos réflexions. J’ai vraiment apprécié votre passage à YAMM
0n ne vous voit pas souvent et vous nous manquez. J’écoutais votre émission à Télé QC ou l’on voyait et appréciait Pierre Thibault décédé le 13 novembre à 55 ans. grande tristesse.