Un idiot relativement utile

Quand un politicien fait des déclarations ridicules, vaut-il mieux dénoncer sa bêtise haut et fort ou passer ça sous silence pour éviter de lui faire de la publicité ? se demande Olivier Niquet. 

Paul Ducharme / montage : L’actualité

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.

Mon style d’humour préféré est l’humour involontaire. Je ne parle pas ici de Drôle de vidéo, cette émission où on rigole bien en regardant mononcle Roger se péter la fiole sur ses skis nautiques tirés par une motoneige sur le gazon (il aurait dû y penser, Roger). Je parle plutôt des propos tellement ridicules ou outranciers qu’ils en sont comiques.

Je suis assez bien servi en la matière lorsque j’observe ce qui se produit dans le genre aux États-Unis. Récemment, Marjorie Taylor Greene, élue à la Chambre des représentants du Congrès, a expliqué dans une vidéo que le gouvernement avait l’intention de « zapper » le for intérieur du corps des citoyens qui mangeraient de vrais cheeseburgers plutôt que ceux cuisinés avec la viande que fait pousser Bill Gates en laboratoire. Le candidat Herschel Walker a quant à lui déclaré que ça ne servait à rien de réduire la pollution aux États-Unis, parce que le « bon air » qu’ils produiraient déplacerait le « mauvais air » qui flotte sur la Chine. La pollution reviendrait ensuite au-dessus des États-Unis, qui auraient cessé de polluer pour rien, au final.

Même si ça devrait me décourager, tout ça me fait plutôt rire. OK, oui, ça me décourage aussi, surtout parce que ce sont des élus (ou des candidats qui ont des chances de l’être) et que plus ils sont nombreux dans le genre, plus les États-Unis risquent d’envahir le Canada. En tout cas, c’est ce qu’une autre de ces humoristes qui s’ignorent, la représentante Lauren Boebert, proposait en février : envoyer l’armée pour libérer le Canada.

Il en va de même pour les politiciens d’ici. Ce qui m’intéresse chez Pierre Poilievre, ce n’est pas nécessairement le fait qu’il s’est pris « précocement d’une passion dévorante pour la politique et le conservatisme » (quoique ce soit quand même fascinant comme découverte), mais plutôt sa fierté de pouvoir acheter un shawarma avec des bitcoins, et qu’il préconise une telle stratégie pour éviter l’inflation. Quant à Maxime Bernier, il est presque impossible de trouver une déclaration de sa part qui ne soit pas tellement déconnectée qu’elle vous fait rire à voix haute (le fameux lol, comme on dit dans le jargon de la rigolade).

J’aime faire découvrir ces gens au grand public. D’abord pour faire rire, mais aussi parce que je me dis qu’il est préférable que tout le monde sache qu’ils existent pour ne pas être surpris quand le bitcoin deviendra la monnaie officielle du Canada ou quand les chars d’assaut américains se pointeront. Mais ce faisant, je me demande toujours si je ne suis pas en train de leur faire de la publicité.

C’est le genre de questionnement qu’ont les médias à l’orée d’une campagne électorale qui mettra en scène certains candidats aux propos clownesques. Dans le cas du Parti conservateur du Québec (PCQ), avec chaque annonce de candidat vient une série de captures d’écran de déclarations risibles ou de preuves d’adhésion à toutes sortes de théories douteuses. Il faudrait les exposer sur la place publique, mais elles sont si nombreuses que les médias ne s’y attardent que très peu. Il y a à peine quelques années, on avait fait tout un plat d’un candidat de la CAQ qui s’était pris en photo sur un siège de toilette. Ça nous semble presque banal en comparaison avec les frasques des candidats du PCQ.

Ne pas en parler laisse le champ libre au chef, qui ne pâtit pas des élucubrations de son équipe et qui peut séduire une partie de la population avec ses positions plus modérées. À l’inverse, en parler joue aussi son jeu. Dans une enquête de Radio-Canada sur Québec Fier, une chercheuse de l’UQAM, Michelle Stewart, explique que cette organisation qui épaule la campagne d’Éric Duhaime utilise la même stratégie que l’ineffable Steve Bannon, directeur général de la campagne de Donald Trump en 2016. C’est la stratégie « anchor left, pivot right » (ancrer à gauche et pivoter à droite). On veut ici faire en sorte que les idées du parti soient reprises dans les médias traditionnels, peu importe le traitement qu’on en fait. Même si c’est pour dénoncer ces idées ou la manière de les défendre, le fait d’avoir l’attention d’un média grand public permet de légitimer le parti. « Regardez, ils parlent de nous dans L’actualité ! »

C’est pourquoi j’ai parfois l’impression d’être une sorte d’idiot utile. Une expression qui, selon Wiktionnaire, « qualifiait à l’origine les Occidentaux sympathisants du communisme qui reprenaient et répandaient, sans grand sens critique, la propagande de l’Union soviétique », mais qui est aussi évoquée lorsqu’il est question de gens qui font de la publicité sans s’en rendre compte aux idées qu’ils réprouvent. Même si exposer les bouffons a des vertus, il est difficile de juger à quel point cela les sert en même temps. 

Surtout que c’est payant en « capital social » de le faire. Sur 10 tweets que je peux faire sur des sujets variés comme ma recette de salade de patates, mon opinion sur Juraj Slafkovsky ou l’étalement urbain, celui qui aura la plus grande répercussion et m’attirera le plus de nouveaux abonnés est assurément celui où je me moquerai (poliment) d’une déclaration d’une personnalité politique. Je pourrais faire 100 % de mes tweets là-dessus et devenir riche (en « capital social »), mais je m’abstiens. Je suis quand même un idiot relativement utile.

Dans son essai La collision des récits, Philippe de Grosbois rappelle que c’est la quête de profit (pas en « capital social » cette fois) qui a participé à l’élection de Trump : « Les mouvances d’extrême droite et conspirationnistes sont particulièrement habiles, parce que leurs idées délirantes et leur violence permettent à tout le monde de cartonner. » Comme le dit le dicton en anglais, “If it bleeds, it leads” (ce qui saigne fait la une). Au début de l’année 2016, le président de CBS déclarait en rigolant que le “cirque” de Donald Trump durant les primaires républicaines “n’est peut-être pas bon pour les États-Unis, mais fichtrement bon pour CBS” : “l’argent coulait à flots” en raison des cotes d’écoute qui attirent les publicitaires. C’est pareil ici. Il suffit que quelqu’un dise quelque chose de complètement sauté de la calotte pour que tout le monde lui accorde de l’attention.

Il n’y a pas vraiment de solution à tout ça. Il faut couvrir ces personnes qui ont beaucoup d’influence. Selon un sondage du New York Times, seulement 1 % des Américains estiment que les changements climatiques sont le pire problème auquel les États-Unis font face. C’est aussi le discours de bien de leurs politiciens, et ne pas exposer leurs dérives revient à leur laisser le champ libre. On ne peut pas arrêter de dénoncer les coquins sous prétexte qu’ils s’en serviront pour se présenter en victimes. Même si les médias décidaient de ne leur accorder aucune attention, il y aurait toujours quelqu’un pour noter les frasques des politiciens ou des personnalités publiques. Le faire avec humour amènera peut-être ceux qui ne sont pas boulimiques d’information à s’intéresser à des facettes plus sombres de ces personnages qu’ils ne connaissaient qu’en surface.

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On a vraiment besoin des journalistes qui passent de la nouvelle (plus « publicitaire » dans le sens de votre texte) à l’analyse. Pas seulement répéter ce que le politicien a dit, mais toute de suite expliquer pourquoi c’est une imbécilité ou un mensonge. Et pourtant, cet effort trouverait fort probablement un public qui « scanne » les nouvelles (au lieu de les lire), plus gourmand des nouvelles sensationnelles que des analyses approfondies. On pourrait blâmer l’école, ou plutôt les gouvernements qui ont coupé dans le financement de l’éducation pendant des années. On devrait blâmer aussi certains politiciens qui ont alimenté la méfiance des citoyens avec leur discours creux et promesses brisées.

Vous mettez le doigt sur un point sensible, l’éducation. En fait, les gouvernements ont tout à perdre avec une meilleure éducation, plus répandue avec l’université pour tous. Il est démontré que l’âge mental d’une foule est d’environ 7 ans et que la majorité des Québécois ne sont pas fonctionnels en français, presque illettrés malgré qu’ils sachent lire: ils ne comprennent pas nécessairement ce qu’ils lisent. C’est un terreau fertile pour la désinformation de toute sorte et c’est là où il y a un risque d’aider cette désinformation si les médias sérieux et objectifs ne font que le mentionner.

L’avènement des médias sociaux accessibles à tous rend aussi cette désinformation beaucoup plus efficace. Autrefois, il fallait qu’un journal ou une revue ou encore un pamphlet énonce ces élucubrations pour que le public en soit informé. Aujourd’hui n’importe qui peut publier n’importe quoi n’importe où. La majorité des gens sont incapables de faire la différence entre la presse et les médias indépendants et crédibles et la désinformation qu’on leur lance à tort et à travers de tous côtés sur la toile (à preuve les attaques de désinformation de la Russie, entre autres, pour influencer les élections) .

Donc, si on en parle il ne faut pas croire que les gens vont faire la part des choses et vont en rire, c’est trop présumer. Il faut au contraire prendre ces élucubrations au sérieux et démontrer clairement qu’elles sont fausses comme si on s’adressait à un enfant de sorte que nous ayons des chances que le message soit compris par le plus grand nombre. Seulement en rire risque de donner de la crédibilité à ces folies! Autrement dit, ce n’est pas parce que c’est drôle qu’on rit…

Vous écrivez qu’il suffit que quelqu’un dise quelque chose de complètement « sauté de la calotte » pour que ce soit repris dans les médias. C’est vrai et ce n’est rien de nouveau. Ce qui a changé, c’est qu’il y a 50 ans, un journal pouvait renverser un président. Les médias avaient le pouvoir que leur conférait leur autonomie et rôle critique face aux pouvoirs publics. Ils pouvaient encore prétendre être le quatrième pilier de la démocratie quand leurs revenus venaient d’une foule d’acheteurs de publicités et d’abonnés.

Leur autonomie s’est érodée avec la perte des revenus publicitaires au profit des géants FB et Google et leur dépendance grandissante envers le financement et les interventions du gouvernement. Depuis 2017, le gouvernement fédéral a financé les médias canadiens qu’il a désignés à hauteur de 600 $ millions. En 2022-23, le Fonds des médias du Canada (CRTC et Patrimoine Canada) versera 366 $ millions à l’industrie canadienne de la télévision et des médias numériques.

Les effets pervers de cette dépendance se font de plus en plus sentir. Les médias dénoncent la désinformation et se réservent le rôle de décider ce qui en est et ce qui n’en est pas. Tout le monde aura compris que la désinformation c’est à peu près tout ce qui met en doute le discours officiel. Dans la même semaine et sous le même titre, les grands quotidiens publient un article élogieux sur Trudeau au Calgary stampede (ça, c’est de l’information) mais l’article de Philippe Pronovost sur les effets de la Covid au Québec est censuré (ça, c’est de la désinformation).

J’ai suggéré à deux des grands quotidiens québécois de publier un article sur l’évolution du financement et du rôle des médias au cours des 20 dernières années car je suis persuadée que le sujet intéresserait beaucoup leurs lecteurs. On ne m’a jamais répondu.

La désaffection du public face aux grands médias est un enjeu important. On ne peut pas prétendre à des débats et à des élections informés si tous les médias les plus influents dépendent du gouvernement en place. Les médias traditionnels gagneraient peut-être à faire un travail plus critique et à accueillir une plus grandes diversité d’opinions.

Votre exemple de Philippe Pronovost pour prouver votre point est bien peu judicieux. Déjà, il ne s’agissait pas d’un article mais d’une lettre d’opinion. La lettre contenait tant de désinformations que le quotidien n’a eu d’autre choix que de la retirer. Il faut dire que ce professeur n’en était pas à ses premières tentatives de désinformation puisqu’il fait partie du groupe Réinfo-Covid qui va à l’encontre des consensus scientifiques à l’aide d’analyses douteuses dénoncées par tout le milieu scientifique.

Au fait, on parle ici de Patrick Pronovost et non de Philippe Pronovost. Les médias n’ont pas à faire de la place à des agents de désinformation, leurs opinions n’étant pas basées sur les faits observables. Au même titre que les médias n’ont pas à demander l’opinion de climato-négationnistes sitôt que l’on parle de changements climatiques. La science ne se décide pas sur des combats de coqs ni sur des débats d’opinions. Votre proposition est donc à rejeter.

Il faut bien sûr en rire, parce que ça fait du bien, parce que le rire est indissociable de l’expérience humaine. Mais la moquerie reste un couteau à double tranchant. Certains croient, par exemple, que c’est parce que Barack Obama a ri de lui au dîner des correspondants de la Maison-Blanche de 2011 que Donald Trump s’est lancé dans la course à la présidence. Je doute que ce soit sa seule motivation, mais je pense que ça lui a sans doute donné un peu plus de carburant pour faire campagne. Toujours à propos de Trump, sa descente de l’escalier roulant de Trump Tower a lancé toute une florissante industrie du rire à son égard… ce qui ne l’a pas empêché de se renforcer sans cesse depuis. Bref, rions, mais ne nous attendons pas à ce que l’humour suffise à briser nos adversaires politiques et à décrédibiliser leurs idées.

Les Américains n’arrivent pas à se libérer de leurs vieux démons racistes. Beaucoup de documentaires éclairants sont diffusés sur les chaines télé. La semaine dernière il était question du Ku Klux Klan, mouvance suprémaciste blanche. ces racistes qui ont connu une nouvelle visibilité suite à l’élection de Barack Obama. Il leur était viscéralement insupportable de voir un « noir » installé à la Maison Blanche. Cette élection de Barack Obama, célébrée au tout début comme symbole de la vitalité de la démocratie américaine, a plutôt contribué à réveiller la bête raciste toujours présente dans le tissu social américain. La convention de Genève, signée en renforcement à la démocratie suite à la guerre 1945, est de plus en plus bafouée alors que l’Occident, une fois de plus, se laisse entrainer dans les mêmes dérives nationalistes. L’Histoire se répète » » et ni le Canada, ni le Québec ne sont à l’abri. Le temps pour les occidentaux se conjugue à la solidarité.. l’Union Européeenne, l’Otan.. et pendant ce temps la société distincte souffle sur les braises d’un nationalisme identitaire réactionnaire, comme si, un Québec hors du Canada, serait mieux outillé en cette période de turbulence qui menace la démocratie occidentale!! Le populisme est un cancer pour la société. Les médias, qui tablent sur les instincts les plus primitifs de l’être humain en juxtaposant des chroniques d’idéologues engagés à d’autres articles mélangeant Sang/ Sexe/Sport, devraient aussi être tenus responsables de la dégradation de la réputation des journalistes. C’est désolant de voir la cette profession ainsi entachée par des analystes de tout acabit qui n’ont de compte à rendre à aucun ordre professionnel. Quand le quatrième pouvoir, socle de la démocratie, est ainsi dévoyé, il y a lieu d’ëtre inquiet pour la suite des choses.

Peu importe ce que les journalistes peuvent en dire, analyser, commenter … ces propos idiots seront toujours courrus par ceux qui s’en abreuvent pour nourrir leurs pensées, leurs propos « anti tout ». Les autres, le reste de la population voit clair et ne votera pas pour ces idiots. Le seul risque est d’alimenter ceux qui sont dans leur cercle d’influence, d’agrandir ce cercle, de miner le vote, de miner le climat social. Rien à faire : j’ai essayé de faire entendre raison à une parente convaincue d’un coup monté avec la Covid, qui attendait de voir pleuvoir les poursuites contre Legault par des regroupements de médecins venant de partout dans le monde … Il ou elle n’a réussi qu’à s’isoler, à perdre ses contacts avec famille et amis. Un peu triste quant à moi, une victime. Mais, quand ça prend de l’ampleur, quand les idiots on réussi à atteindre le pouvoir, comme en Russie avec la campagne de Poutine, ça devient un véritable drame. Les leçons de l’histoire (Hitler et la 2e guerre mondiale) ne sont pas « diffusées » partout de la même manière … voilà pourquoi ça recommence.

Je partage totalement le point de vue de Carole. C’est vraiment navrant que nous sommes si peu à le faire.

Lutter contre les changements climatiques est d’une URGENCE URGENTE. Il en va de même pour la lutte à la désinformation. Il faudrait trouver une bonne définition de la liberté d’expression. Il ne suffit pas d’évoquer cette liberté pour énoncer n’importe quelle sottise ou n’importe quel mensonge.
Pour poursuivre avec humour, on pourrait peut-être accoler à une sottise ou un mensonge cités brièvement (avec explication et information la suite de la citation) un petit pictogramme qui attire l’œil et qui inciterait peut-être le lecteur à lire l’article jusqu’au bout.
(Bonhomme sourire) Devant des propos risibles.
(Caca) Devant des aberrations épouvantables, des propos dangereux; M. Trump nous en fournit dès qu’il ouvre la bouche.
(Bonhomme en pleurs) Devant de propos désolants : avortement, armes à feu.
(X) Devant une erreur importante, des faussetés (avec rectificatif).
Je ne sais pas s’il serait éthique de le faire mais, chose certaine, il faut prôner la rigueur (la vraie rigueur) intellectuelle et le sens de l’éthique. Il me semble qu’il y a un monde entre la liberté d’expression et la désinformation.