Un moratoire à la DPJ pour ceux qui auront 18 ans cet été ?

Alors que des provinces et territoires ont annoncé le prolongement des services de la DPJ aux jeunes qui atteindront 18 ans pendant la pandémie, Québec ne bouge pas. Une universitaire joint sa voix à celles des jeunes.

Photo : iStockPhoto

Au Québec, les jeunes placés dans le système de protection de l’enfance (DPJ) doivent faire une transition abrupte vers la vie adulte dès leur majorité, à 18 ans. Déjà difficile en temps normal, cette étape se vit dans des circonstances plus que désastreuses avec la pandémie.

Un rapport intitulé La pandémie de la COVID-19 et les besoins des jeunes sortant de placement, publié le 11 mai par l’Étude sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France (ÉDJEP), met en évidence l’intensification des obstacles et des défis auxquels sont confrontés ces jeunes : difficultés d’accès au logement, aux services sociaux et en santé mentale, aux études postsecondaires et à l’emploi.

Une étude canadienne effectuée en 2016 par l’Observatoire canadien sur l’itinérance avait par ailleurs démontré que les jeunes placés sont près de 200 fois plus à risque de devenir sans-abri une fois qu’ils ont quitté le système que ceux de la population générale.

En tant que doctorante en travail social à McGill, j’axe mes recherches sur les réseaux de soutien social de ces jeunes placés qui font la transition à la vie adulte. Ma recherche doctorale démontre qu’ils se sentent très isolés après avoir quitté le système de protection de l’enfance, et ont peu ou pas de soutien relationnel. Cet isolement et ce manque de support se sont certainement intensifiés en ces temps de pandémie.

Une étude américaine effectuée ces dernières semaines illustre ces besoins intensifiés : 43 % des jeunes indiquent que la crise sanitaire a eu un impact négatif sur leur situation de logement, et plus de la moitié (55 %) vivent une insécurité alimentaire. Les résultats démontrent aussi un taux très élevé de dépression et d’anxiété (56 %). Et plus d’un tiers (33 %) souhaitent recevoir davantage d’aides de personnes significatives.

La réalité au Québec

Selon l’étude ÉDJEP, environ 2 000 jeunes doivent quitter le système de protection de l’enfance du Québec chaque année en raison de la limite d’âge pour les soutiens et les services. La majorité quitte la DPJ en juin ou juillet. Les chercheurs estiment que près de 1 180 jeunes seront ainsi forcés à le faire dans les prochaines semaines, alors que la première vague de la pandémie n’est pas terminée.

Cette situation est dénoncée au pays depuis la mi-mars. Un appel à l’action a été publié par communiqué à la fin mars par la Ligue pour le bien-être de l’enfance du Canada, en collaboration avec des défenseurs des jeunes pris en charge de partout au pays.

Jusqu’à maintenant, la plupart des juridictions provinciales et territoriales ont répondu à cet appel en émettant des moratoires sur les coupes des services de protection de l’enfance en fonction de l’âge. Toutefois, le gouvernement du Québec refuse d’émettre un moratoire officiel, déclarant qu’un article de la Loi sur la protection de la jeunesse (article 64.1) permet aux jeunes de se loger sur place au besoin, et que cette clause est suffisante en ce temps de crise.

Le statu quo n’est pas suffisant

Mais est-ce vraiment suffisant ? Non, insistent des experts au Québec et ailleurs au pays — incluant des anciens placés. Dans un article publié dans le journal Métro le 24 mars en collaboration avec la Ligue, j’ai mis l’accent sur l’importance de suspendre « immédiatement et indéfiniment » la coupe des services à l’âge de la majorité. À la mi-avril, l’ancien défenseur de la jeunesse de l’Ontario Elwin Irman a publié une lettre ouverte au premier ministre François Legault afin de l’implorer de cesser la sortie des jeunes de la DPJ dès leurs 18 ans pendant la pandémie.

Un mois plus tard, le chercheur Martin Goyette indiquait dans une entrevue au quotidien La Presse que cet article 64.1 de la loi n’est toujours pas suffisant, et ne se concrétise pas en pratique. En conséquence, les organismes communautaires qui viennent en aide aux jeunes de la rue voient leurs demandes pour le logement temporaire augmenter pendant la pandémie. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a aussi sonné l’alarme sur cette crise et demande des actions concrètes et immédiates. Mais le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, revient inlassablement à la clause dans la Loi sur la protection de la jeunesse.

Trois demandes à Québec

Pourquoi le Québec reste-t-il à l’écart de la conversation et du mouvement national ? Leur réticence en dit long : ce n’est pas une priorité.

Le simple fait de reporter une clause de la loi ne suffit pas. Cela crée une autre barrière bureaucratique pour les jeunes placés, et permet de la latitude pour déterminer quand et pour qui cette clause sera appliquée.

J’ai eu le privilège d’entendre la voix des anciens jeunes placés et de travailler avec eux sur cette question. En me joignant à leurs voix, je présente les trois demandes suivantes à l’attention du gouvernement du Québec :

1) Décréter sans attendre un moratoire officiel sur la couupe des services de protection de l’enfance à l’âge de la majorité afin de s’assurer d’une application uniforme de cette directive ;

2) Travailler avec les groupes et réseaux pour les jeunes placés du Québec (par ex : CARE Jeunesse, SOS enfants placés Québec, l’Association étudiante des anciens placés de Montréal, Comité des jeunes EDJEP) sans délai pour établir un plan d’action concret pour la durée de la pandémie et après afin de s’assurer que les jeunes placés sont soutenus sans discrimination ;

3) S’engager immédiatement à fournir des services en santé mentale et des liens avec la famille, la culture et la communauté pendant la pandémie et après pour tous les jeunes pris en charge et ceux qui ont récemment quitté le système, comme souligné dans la note d’orientation publiée par la Ligue.

Le gouvernement du Québec doit relever le défi et assumer pleinement son rôle de tuteur légal des jeunes dont il a la garde. Ces derniers ont besoin d’être rassurés sur le fait que le système les soutiendra sans condition pendant cette pandémie et que des mesures concrètes sont prises pour soutenir ces engagements.La Conversation

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

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Ayant été en centre d’accueil jusqu’à mes 18 ans, je sais que certains jeunes ont des difficultés une fois « dehors » mais personnellement, j’aurais paniqué et j’aurais été enragée si on m’avait forcée à rester plus longtemps. Alors si ça se fait, j’ose espérer que ce sera de manière volontaire seulement et non imposée. Si des jeunes en ressentent le besoin, qu’ils puissent avoir encore accès aux services, mais s’ils veulent la paix, qu’ils puissent l’avoir aussi. Car dans mon cas, la DPJ a failli causer ma perte alors… Non merci. 10 ans plus tard, je vis avec un SSPT en lien avec eux. Je ne souhaite ça à personne.