Un tunnel rempli de mousse

Les figures médiatiques qui ont monté en épingle le projet de troisième lien pour faire mousser leurs cotes d’écoute attribuent aujourd’hui son recul aux « médias montréalais » pour… faire mousser leurs cotes d’écoute, écrit notre collaborateur Olivier Niquet.

Paul Ducharme / montage : L’actualité

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.

J’ai un attachement particulier pour le dossier du troisième lien à Québec. 

D’abord parce que j’ai étudié en urbanisme et que je trouve qu’il s’agit du parfait exemple de la difficulté de bien communiquer les tenants et aboutissants d’enjeux urbains. Les questions d’aménagement défient parfois le réflexe des citoyens. Dans ce cas précis, notre première impression est que construire de nouvelles routes ou ajouter des voies autoroutières aidera à diminuer la congestion automobile. Or, les cas réels ont maintes fois démontré que ça n’allait pas de soi.

Le paradoxe de Braess « énonce que l’ajout d’une nouvelle route dans un réseau routier peut réduire la performance globale, lorsque les entités se déplaçant choisissent leur route individuellement ». C’est une affaire de mathématiques plutôt complexe que des gens plus intelligents que moi ont calculée. La construction d’un troisième lien routier aurait à court terme diminué le trafic, mais l’aurait amplifié à long terme en vertu de cette circulation induite par les choix individuels des usagers. Ce n’est pas tout à fait intuitif et ce n’est donc pas simple à expliquer.

De plus, un aménagement comme celui-ci participerait à l’étalement urbain, qui a des impacts négatifs sur l’environnement et sur la santé des gens. Ce lien entre nos milieux de vie et notre santé est un facteur très souvent ignoré dans l’analyse de ce genre de projets. On se dit que les effets sur la logistique de notre vie seront positifs, mais on oublie que ladite vie pourrait être plus courte. On oublie aussi que nos choix ont des répercussions sur la vie des autres. J’ai entendu cette semaine un préfet de MRC déçu du nouveau plan de la CAQ parce que ce tunnel autoroutier lui aurait permis de se rendre plus vite à la campagne respirer de l’air pur. Tant pis pour le surplus d’air impur laissé en chemin.

Au-delà de cette prémisse urbanistique, je m’intéresse depuis longtemps aux médias qui, justement, misent sur la réflexion à courte vue de la population pour titiller ses désirs urgents. Le troisième lien était ici un projet parfait.

Après avoir mené une campagne couronnée de succès pour la construction d’un amphithéâtre capable d’accueillir une équipe de la LNH (on l’attend toujours), les influenceurs médiatiques de Québec ont trouvé dans l’idée de relancer un projet de tunnel une panacée. Comme dans le cas des Nordiques, ils ont bien évalué que de crier dans ce tunnel allait générer beaucoup d’écho. En 2016, on a même organisé une campagne de distribution d’autocollants en soutien au troisième lien. En 2017, Jean-François Gosselin, candidat à la mairie d’un parti imaginé entre autres par un penseur affilié aux radios de Québec (un penseur qui est aussi derrière la prise de contrôle d’Éric Duhaime au PCQ), a obtenu 27 % des voix aux élections municipales. 

L’ironie de la chose, c’est que ces tenants du libre marché tous azimuts ont fait la promotion d’un projet complètement disproportionné en matière d’offre et de demande en se basant sur les émotions de ceux qui, au quotidien, vivaient le drame d’être pris dans le trafic. Pourtant, seulement quelques milliers de personnes auraient bénéficié d’une réduction de leur temps de déplacement de quelques minutes. Ça revenait cher la minute, mais peu importe.

Des politiciens ont quand même surfé sur cette vague médiatique. Difficile de dire qui croyait sincèrement en la réalisation du projet. Même ceux qui étaient contre, comme Régis Labeaume, ont dû mettre de l’eau dans leur vin. À LCN la semaine dernière, l’ex-maire de Québec a déclaré : « Je disais à peu près n’importe quoi et j’étais sur le bord du mensonge, pour être honnête avec vous là, sinon le mensonge. » C’était une condition, selon lui, pour garder vivant le projet de tramway qui lui tenait à cœur. Le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, qui estimait en 2011 que rien ne justifiait un tunnel, semble quant à lui avoir par la suite opté pour l’aveuglement volontaire

Les mêmes figures médiatiques qui ont monté en épingle ce projet pour faire mousser leurs cotes d’écoute attribuent aujourd’hui son recul aux « médias montréalais ». Perdre est donc gagnant-gagnant pour ces animateurs. Ils y voient encore une occasion de susciter la grogne pour… faire mousser les cotes d’écoute. Ça fait beaucoup de mousse à la fin.

Il semblerait donc que ce n’est pas de l’affaire des Montréalais si les différents paliers de gouvernement engouffrent des milliards dans un projet injustifié et destructeur. Ceux qui sont si prompts à se plaindre de la mauvaise utilisation de leurs « taxes » estiment donc que les Montréalais ne devraient pas avoir d’opinion sur celle de leurs impôts. Les experts, qu’ils soient de Montréal, Québec ou Drummondville, qu’ils soient urbanistes, politologues ou comptables, s’entendaient pourtant pour dire que le projet ne tenait pas la route (sous-fluviale).

Les projets en urbanisme ont tellement de ramifications, de facteurs externes dont il faut tenir compte, de conséquences positives ou négatives à évaluer qu’ils sont des occasions parfaites pour prendre des vessies pour des lanternes. Au final, les vessies ont éclaté, et le vide qu’elles contenaient depuis le début s’est échappé. La seule trace qu’elles laissent est une nouvelle horde de gens en beau maudit. Parions que cette fois ne sera pas la dernière.

Laisser un commentaire

Les commentaires sont modérés par l’équipe de L’actualité et approuvés seulement s’ils respectent les règles de la nétiquette en vigueur. Veuillez nous allouer du temps pour vérifier la validité de votre commentaire.

Parlons « d’aveuglement involontaire », si vous voulez bien. Devant la horde hurlante de tous les faiseurs d’opinion qui se déchaînent, depuis 2 jours, au sujet de « l’abandon du fameux troisième lien »… je me demande quand donc ces vociférateurs commenceront enfin à réfléchir. Régis Labeaume, pour un, est dans le champ, à ce sujet… et depuis pas mal longtemps. Quand je l’ai entendu dire, il y a quelques années : « Un 3ème lien? Jamais, à moins qu’il soit vers l’ouest! » Jusqu’à Montréal, peut-être? En effet, la « métropole » manque tellement de ponts et de tunnels, à ce moment-ci… comment pourrait-elle attirer de nouveaux habitants, comment pourrait-elle se développer, pour rejoindre enfin « le reste du Québec »?
Déblatérez, si cela vous chante, contre l’idée de Jean-François Gosselin, de privilégier un 3ème lien à l’est de Québec… Si j’avais jadis appuyé la candidature de Labeaume, à la Mairie de Québec… lors du renouvellement de son mandat, j’ai été bien moins enthousiaste, quand je l’ai entendu avouer publiquement que les fameux « avis des experts » ne valaient pas grand-chose, puisqu’ils ne faisaient que « constater » les effets néfastes de choix malheureux du passé ( la construction d’un second pont, juste à côté du premier ).

Les « mesures de circulation actuelles », dont se réclame aujourd’hui le Chef de la CAQ, ne valent pas beaucoup mieux. Un simple instantané, sans aucune vision sur l’avenir… Comme si les voitures électriques de l’avenir pouvaient bientôt se ranger dans le coffre à gants du futur tramway… A-t-on prévu ce qui pourrait bientôt se produire, de ce côté des déplacements de personnes? On oublie vraiment trop vite que le Pont de Québec, en 1916, n’était dédié qu’au passage des trains ( 2 voies ferrées ). Il est vrai que, cette année-là, le Québec ne comptait pas encore 200 voitures automobiles… On s’est vite rendu compte que les « études scientifiques » avaient échoué, ou étaient inexistantes… Une chaussée pour automobiles a été rapidement ajoutée, à la place d’une des voix ferrées.

Dans le « plusse nouveau » projet de la CAQ, a-t-on seulement vérifié si le trafic centre-ville à centre-ville était si intense qu’on avait dû déjà ajouter un 4ème traversier, entre Québec et Lévis, en raison du blocage de ce moyen de transbordement actuel entre les 2 rives? Rien du tout, de ce côté, tout comme du côté du fameux projet de tramway, d’ailleurs… Est-ce que les parcours d’autobus actuels sont si encombrés que la solution d’un tramway pourra améliorer quelque chose ( plutôt que d’encombrer ce qui fonctionne déjà )?

La solution d’une traversée du Fleuve, à l’est de Québec, serait bien plus logique et « porteuse de développement », pour tout l’est du Québec… d’autant plus que le Pont de l’île d’Orléans devra être remplacé bientôt. Celui qui vient de Montmagny, pour se rendre à Baie-St-Paul ou au Saguenay… n’a aucun intérêt à se payer un détour inutile jusqu’au Pont Laporte — en s’engluant en plus dans le trafic de la Ville de Québec. Les voies de ceinture, de contournement, sont faites exactement pour ça. Qui ne comprend pas cela?

Et, pour finir, qu’est-ce que l’étalement urbain? C’est le refus d’habiter en plein centre-ville, au 17ème étage d’une tour, avec des voisins pénibles et des restrictions qui nous sont difficiles à supporter… Cela fait que la banlieue se développe et s’étend, pour occuper un territoire plus étendu… Étalement urbain, oui, habitation du territoire… Ça se passe partout dans le monde… Pourquoi pas à Québec? Ce n’est pas ( uniquement ) la disponibilité d’une route qui amène les citoyens à préférer la vie en banlieue. S’il était aussi facile, à Québec, de se déplacer à la grandeur de la Ville ( en comparaison avec Montréal ), les choix des familles seraient sans doute différents. Abandonner sa voiture, pour continuer avec le transport en commun, c’est commode si le service est efficace, à l’autre bout… Et, à long terme, la géographie du lieu pèse fortement sur les choix individuels… Lorsque je vais à Montréal, j’y vais en auto… car je suis loin d’avoir confiance à mes connaissances des parcours d’autobus… Le Métro, c’est autre chose : on le connaît bien, et l’on a abondamment publicisé ses lignes principales… Les autobus? Jamais entendu parler ! Jamais utilisé, non plus…

Répondre

Pour quelqu’un qui est pris dans le trafic, c’est pourtant le gros bon sens qui conclue à la nécessité d’ajouter des voies pour alléger la congestion. Et pourtant les références mentionnées dans cet article indique le contraire.
Ça en dit beaucoup sur le «gros bon sens». Ce n’est trop souvent qu’un tissu de préjugés et de mauvaise information. Plus souvent qu’on ne croit, une étude plus poussée va invalider le «gros bon sens» initial.
Pour ma part, invoquer le «gros bon sens» allume toujours un feu rouge. En preuve, le soleil ne tourne pas autour de la terre, malgré les apparences.

Répondre

Tunnel rempli de mousse ou tunnel fantasmé aux bulles de champagne.
En effet, le bien-fondé de ce méga-tunnel virtuel est très superficiel, à date en tout cas!

Par ailleurs, vous y allez d’une prémisse sur l’étalement urbain, nouvel ennemi au Québec: l’«étalement urbain» a un impact négatif sur l’environnement et la santé des gens.
À mon avis, on pourrait prétendre, de façon tout aussi simpliste, la même chose pour la «densification».

Les espaces verts en banlieues et en périphérie de Montréal font davantage partie intégrante du milieu de vie de leurs habitants que dans les quartiers très densifiés de certaines villes.
Aussi, que fait-on de l’augmentation de la population? On les empile les uns par dessus les autres.

Depuis 1971, (il y a 50 ans), la population du QC est passée de 6,1 M à 8,6 M en 2021 (augmentation de 40%). Il y a donc 2,5 M de personnes additionnelles qui y vivent et, on doit le constater, qui s’y établissent surtout en périphérie des principales villes, dans des villes de taille moyenne et mais pas mal moins dans les régions.
La densification est moins populaire, on la veut mais pas chez nous, ailleurs svp!

Par exemple, la population de la RMR de Montréal est passée de 3,627 K en 2001 à 4,340 K en 2021. Une augmentation de 713,0 K personnes en 20 ans.
Pour la même période, si on prend seulement la population de la MRC Montréal, elles est passée de 1,850 K à 2,024 K . Une augmentation de 174 ,0 K personnes en 20 ans.
C’est donc dire qu’il y a 539,0 K personnes ( 713 – 174) qui se sont installées en périphérie de Montréal, dans les villes de Laval, Longueuil, Terrebonne, Repentigny, Vaudreuil, Mirabel, St-Jean-sur-Richelieu, «etc.»
L’étalement urbain était-il un luxe ou une nécessité? En tout cas, aujourd’hui c’est une réalité qu’on ne peut effacer ou rayer de la carte.

Les besoins en logement au Québec pour les 10 prochaines années se chiffrent à des centaines de milliers; çà va se construire où? Çà a l’air bien compliqué à Montréal.
Oui, on doit mieux gérer l’occupation du territoire mais entre Los Angeles et Séoul, on peut choisir un aménagement équilibré pour tous.
On note déjà une rationalisation de l’occupation du territoire si on considère la proportion de plus en plus des nouvelles constructions de maisons unifamiliales vs les autres types d’habitations.

Répondre

J’aurais aimé (ici et dans les médias en général) qu’on tente de faire la différence entre les « gens de Québec » et les « gens de la banlieue de Québec ». Il n’y a pas eu de référendum sur la question. D’ailleurs ça aurait été compliqué: à qui aurait-on donné le droit de vote? Seulement aux « gens de Québec » ou aussi aux gens de la rive sud? Parce que je pense que ce sont surtout eux, gens qui travaillent à Québec mais ne veulent pas y vivre, qui ont besoin du « lien » supplémentaire. Pour gagner quelques minutes, etc.
C’est d’ailleurs ce qu’en gros la carte nous montre, les deux circonscriptions les plus « centre-ville » ayant fait élire QS. D’ailleurs nulle part dans la région (ou presque, à vérifier) la CAQ n’a-t-elle obtenu 50%, même pas à Lévis. C’était pourtant leur projet phare, leur projet panacée.

Répondre