Il y a quelque chose de troublant dans la façon dont l’époque utilise l’argument du féminisme pour faire passer des idées douteuses. Ainsi, au nom de la liberté des femmes à disposer d’elles-mêmes, on en arrive à nous faire croire que le niqab est un « vêtement » comme les autres. Plus troublant encore, depuis quelques mois, on a réintroduit au Canada l’idée qu’une femme pourrait être rémunérée pour servir de mère porteuse. Après tout, le droit à l’enfant serait inaliénable, et une femme est libre de disposer de son corps et de gagner de l’argent comme bon lui semble. Faudrait vraiment être antiféministe pour ne pas voir là un progrès !
C’est un peu l’argument utilisé par le député libéral montréalais Anthony Housefather, qui, en vertu du « programme féministe » de son parti et de la liberté des femmes de disposer de leur corps, a proposé un projet de loi visant à lever l’interdiction de rémunérer les mères porteuses au Canada.
Une commission royale d’enquête avait étudié la question et les pratiques de 1989 à 1993. Ses travaux avaient abouti il y a 14 ans à une loi interdisant la rémunération, au nom de la dignité du corps humain. Il y avait eu en amont une réflexion bioéthique solidement étayée. On voyait venir les dérives potentielles liées à la marchandisation du corps humain, notamment celui des femmes. Il faut savoir qu’ailleurs dans le monde, en Asie mais aussi aux États-Unis, on peut payer des femmes afin qu’elles louent leur utérus aux couples infertiles ou aux gais. Les tarifs vont de 4 000 à plusieurs dizaines de milliers de dollars, selon l’origine géographique de la mère porteuse. Les injonctions concernant son hygiène et son mode de vie sont péremptoires. Presque toujours, ces femmes louées ont assimilé la logique marchande du processus. C’est un travail comme un autre qui mérite son salaire…
Profitant du glissement vers le relativisme absolu, on assimile l’idée que le ventre des femmes est un objet monnayable.
Les conséquences de l’interdiction au Canada ont poussé parents infertiles et couples gais à aller chercher un ventre à l’étranger. C’est là que le bien nommé Housefather intervient : « La procréation assistée est le seul domaine de la loi où on criminalise encore le corps des femmes. » Il ajoute : « Les mœurs ont changé, c’étaient des idées d’une autre génération. »
Voyez la conjonction d’impératifs réunis ici. Le féminisme : ce serait de la misogynie que d’empêcher des femmes de disposer de leur utérus ! Le progressisme : les temps ont changé ! La lutte contre l’obscurantisme : la science le permet ! Ces éléments additionnés devraient venir à bout des dernières résistances des Canadiens. Marchons tous vers un avenir radieux derrière des poussettes féministement correctes !
Profitant du glissement vers le relativisme absolu, on assimile l’idée que le ventre des femmes est un objet monnayable. Non pas un don de soi altruiste, mais de la pure marchandisation. Une insidieuse démission devant l’ultralibéralisme qui s’introduit jusque dans l’intimité.
La pente est savonneuse.
On pourrait évoquer l’inquiétante dystopie de Margaret Atwood, La servante écarlate, où le rôle de certaines femmes, dans un avenir tout proche, est la reproduction. On se contentera de souligner qu’il s’agit, dans le cas des mères porteuses rémunérées, d’une chosification de la femme. Elles sont choisies explicitement pour la capacité de leur corps de faire des bébés. J’ai de la difficulté à voir ici l’aspect progressiste de la chose. Ça demeure une transaction d’argent pour des échanges de tissus humains, bien plus qu’une avancée féministe.
Il est plus que légitime de s’inquiéter des dérives d’une médecine toute puissante qui se détache de plus en plus de la morale pour se rapprocher du marché. Il faut aussi s’alarmer de ce relativisme moral tout trudeauesque prôné par les lobbys et par Housefather. Les questions sociales et éthiques qui sous-tendent la loi actuelle sont remises en cause au nom de l’air du temps individualiste. Il faut se demander à qui profitera la décriminalisation d’un acte régi par une loi votée pour protéger les femmes de l’instrumentalisation.
Car ce sont toujours les plus pauvres qui fournissent la matière première biologique, dans un marché légal ou clandestin, à l’échelle mondiale. En ce qui concerne les mères porteuses, certains éthiciens vont jusqu’à dire que cette maternité de substitution est une forme d’esclavage des temps modernes.
Il y a tout lieu de se poser la question de la place de la bioéthique dans une société néolibérale, où la morale tend à se privatiser, à se jouer à la carte. Non, l’éthique n’est pas relativisable. Il faut encore des législateurs éclairés par des experts, des chercheurs, des philosophes, qui voient plus loin que l’air du temps, préoccupés par le bien commun.
Avec ce gouvernement pour lequel tout se vaut, on ouvre ces temps-ci une porte sur une marchandisation inquiétante du corps humain. Le féminisme a le dos large…
Cette chronique a été publiée dans le numéro de juillet 2018 de L’actualité.
Excellent article, merci Mme Bazzo.
Bonjour!
Comme vous avez raison, malheureusement! La première maison de bébé serait à louer! Le ménage a été fait, le loyer payé et passons au locataire suivant! Je fais le parallèle avec la vente d’organes humains, de gre ou de force, avec toutes ces conséquences humaines qui s’ensuivent. Retour certain d’un genre d »esclavage monétaire. Que restera-t-il de sacré? Qui ne sera pas monnayable? Ca m’inquiète!
En effet, la vigilance est de mise. Malheureusement, il semble qu’il y aura toujours des opportunistes qui tenteront de faire annuler des lois mûrement réfléchies et de détourner l’objectif premier du féminisme. Dans toute société qui se respecte, aucune femme ne devrait être acculée au pied du mur de cette façon et son corps ne devrait jamais devenir une marchandise.
Personnellement, je ne vois aucun problème dans le fait qu’une mère porteuse puisse être rémunérée pour sa collaboration. Après tout, il s’agit d’un contrat officiel entre personnes majeures, vaccinées et consentantes non? L’État n’a rien à foutre là-dedans.
Ce n’est parce qu’il y a eu un échange de consentement qu’un contrat est valide. Une des premières leçons que reçoivent les étudiants en droit est un contrat qui est contre la loi et l’ordre public (autrefois, on mentionnait aussi les bonnes mœurs.) est nul.
C’est plus percutant ici, puisque le CCQ l’interdit carrément :
« 541. Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue. »
Que vous aimiez ou pas, légiférer, est un attribut des États.
Entièrement d’accord avec Monsieur Sauvageau. L’État a tout à faire là-dedans. Il doit se porter à la défense des plus vulnérables et des plus démunis, dont de nombreuses femmes qui n’ont pas été suffisamment éduquées ou informées pour comprendre l’ampleur des conséquences d’un tel consentement.
Notre organisation féministe PDF Québec (http://www.pdfquebec.org/) a publié une brochure sur le sujet : L’enfantement pour autrui : esclavage des temps modernes : http://www.pdfquebec.org/documents/Brochure_Meres_porteuses-PDF_Quebec.pdf
J’ai loué mon corps à Postes Canada 35 ans 7 mois et 11 jours pour une rémunération dès plus moyenne pour notre époque.
Suis-je un esclave de l’état? De la société? Ce fut mon choix à tort ou à raison.
LA Femme doit avoir ce CHOIX à tort ou a raison. Dehors l’état de bonnes mœurs.
¨Louer ton corps à Poste Canada¨ comme tu dis n’a rien de comparable à louer le corps d’une femme pour procréer pour les autres. Tu as loué ton corps pour ta propre survie et non celle de Poste Canada, et quand tu as pris ta retraite, plus aucun lien ne te retenait à ton ancien gagne-pain. Ce n’est pas le cas d’une femme qui fait des bébés pour les autres, et, à moins d’être totalement insensible, il y a et y aura TOUJOURS un lien affectif entre l’enfant, désiré ou non de la femme en question, et celle qui lui aura donné le jour. C’est ce qu’amène la marchandisation, la commercialisation des êtres.
On commence à peine à voir les problèmes des enfants qui veulent connaître leur géniteur anonyme d’il y a 20-30 ans passés, alors, essayez de voir plus loin pour les enfants marchandisés, commercialisés, en fait, VENDUS au plus offrant !!!
Quand la LIBERTÉ des uns(unes) fait chavirer la liberté des autres (les futures victimes), non seulement l’état a son mot à dire, mais le peuple entier doit se prononcer, car c’est lui aussi, le peuple qui paiera pour toutes ces frasques et délires illusoires.
Poste Canada vous a-t-elle obligé à manger certaines aliments ou à ne pas boire? Poste Canada a-t-elle mis des conditions à vos relations sexuelles? Sachez que ce genre de conditions sont écrites dans les contrats d’enfantement pour autrui.
Une femme sur Facebook mentionnait une clause d’un contrat d’enfantement pour autrui: en cas de blessures graves ou mortelles la mère porteuse s’engageait à signer afin qu’on la maintienne envie si le foetus avait au moins 25 semaines et ce, jusqu’à ce que des médecins décident du moment de faire une césarienne. Ensuite, et ensuite seulement, la famille pourrait décider ou non de maintenir la femme en vie!!! Quel recul!