Dans mon enfance, la scène « carte postale » des vacances était les sempiternelles plages de l’Est américain. Or, en 1990, mes parents décident de faire une exception à la règle. De mémoire, il s’agit d’une question de budget. Le taux de change défavorise le dollar canadien, ce qui nous amène à faire une croix sur Ogunquit. Mes géniteurs choisissent donc de nous trimballer, mes deux frères et moi, jusqu’en Gaspésie. À mon grand désespoir.
J’ai 14 ans. Pour moi, le pays d’Isabelle Boulay rime avec ennui. Le bonheur ne se trouve qu’aux États-Unis, avec leurs promenades de bois, leur bouffe graisseuse et leurs minigolfs. À mon retour, Old Orchard et Wildwood auront perdu à tout jamais de leur lustre.
Contre toute attente, la Gaspésie m’envoûte. La vue depuis le sommet du mont Saint-Pierre. La plage de galets du Cap-Bon-Ami. Le cri des milliers des fous de Bassan de l’île Bonaventure. Je fus loin d’en être rassasié.
En quatre jours et trois nuitées, nous avons fait l’aller-retour entre Laval et Percé, ajoutant 2 000 km à l’odomètre de la voiture. Mes parents dévoraient du bitume. La plupart des paysages gaspésiens, je les ai vus défiler à ma fenêtre pendant une fraction de seconde. Juste assez pour les imprimer dans ma mémoire et éprouver le désir de les revoir un jour. Ce que j’ai fait avec abondance depuis : j’ai visité la Gaspésie une douzaine de fois en 15 ans. Toujours avec bonheur.
Alors, quand des amis ou des connaissances m’annoncent qu’ils feront le tour de la Gaspésie en cinq ou six jours, j’enrage. Je les somme de partir plus longtemps. De prendre leur temps pour faire le tour, ou de se poser quelque part et de rayonner dans les environs. Malgré mes arguments, je les convaincs rarement. Le tour de la Gaspésie est un rituel ancré dans l’imaginaire des Québécois, auquel on consacre une semaine de vacances, guère plus.
Sauf que les vacanciers à la bourre, qui défont et refont leurs valises chaque jour, s’épuisent et ne goûtent pas, à mon avis — leurs commentaires me portent d’ailleurs à croire que j’ai raison —, à la substantifique moelle de la Gaspésie. À force de vouloir tout voir, ils ne voient rien ou, pire encore, ils ne vivent pas la Gaspésie.
« C’est une aberration de parcourir la ceinture gaspésienne en moins d’une semaine. Non seulement c’est polluant, mais en y consacrant si peu de temps, on ne rencontre pas les Gaspésiens. On n’apprend rien sur leur culture », déplore Benoit Trépanier, directeur général du parc régional Petite-Cascapédia, à New Richmond.
Tourisme Gaspésie ne dispose pas de données sur la durée exacte des 500 000 séjours annuels, mais des sondages dans les bureaux d’accueil touristique montrent que la durée du tour varie en moyenne de cinq à sept jours. « Beaucoup font la boucle en trois jours seulement », dit Stéphanie Thibaud, directrice du marketing à Tourisme Gaspésie.
Savourez l’ironie : on alloue le même temps que dans les années 1950 et 1960 à la découverte de la péninsule. Pourtant, le tour n’est plus 550 milles (ou 885 km) de « choses tranquilles », pour paraphraser Félix Leclerc dans Le tour de l’île. « Dans les années 2000, les attraits se sont multipliés par 10 ou 20, mais on aborde la région comme il y a un demi-siècle », se désole Alexander Reford, directeur des Jardins de Métis et passionné d’histoire.
Le marketing touristique a toujours misé sur ce circuit en boucle, devenu le road trip par excellence au Québec. « Jusqu’en 2016, nous vendions surtout la contemplation des paysages. Ce n’est que depuis peu qu’on axe notre marketing sur les activités à faire », admet Stéphanie Thibaud. N’empêche, le tour est encore à l’honneur cette année dans la campagne marketing « Viens faire ton tour ! ». Le site Internet de Tourisme Gaspésie précise d’ailleurs qu’il se fait en sept jours.
« Dans l’esprit des Québécois, notre région demeure économiquement déprimée. Ils passent en coup de vent, pensant que les villages sont désertés et qu’il n’y a rien à faire », explique Kevin Randlett, directeur des opérations d’Avolo plein air, qui offre des excursions guidées en kayak au rocher Percé. Il vante, pendant ses sorties, les multiples attraits de son coin de pays. « Les gens s’enthousiasment, mais ils ne peuvent pas s’attarder, car ils ont déjà réservé leur prochaine nuitée à 500 km de distance », regrette-t-il.
Les vacanciers qui défont et refont leurs valises chaque jour ne goûtent pas à la substantifique moelle de la Gaspésie. Ils ne voient rien ou, pire encore, ils ne vivent pas la Gaspésie.
Les hôteliers ne boudent évidemment pas les visiteurs qui entreprennent le tour, mais souhaiteraient qu’ils étirent leurs séjours. « C’est compliqué de vider et de remplir un hôtel chaque jour, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre », souligne Nathalie Blouin, vice-présidente des ventes et du marketing du Groupe Riôtel, qui possède trois établissements sur la route 132. Ce groupe hôtelier tente depuis des années de convaincre ses clients de rester deux ou trois nuits par établissement, voire une semaine. « Le succès est mitigé », dit Nathalie Blouin.

Déjà fréquentée par l’élite depuis le milieu du XIXe siècle, qui y accédait en train ou en bateau à vapeur, la Gaspésie s’ouvre par la route au tourisme de masse. En 1928, le gouvernement du Québec produit 500 000 cartes postales en couleur, Romantic Quebec : Gaspé Peninsula, et une brochure, destinées aux marchés anglo-canadien et américain. L’engouement ne tarde pas, nourri par des reportages dans les plus grandes publications américaines, dont le National Geographic.
Le « tour de la Gaspésie » est né en 1929, lorsque s’est achevée la construction de la ceinture routière. Elle était alors à des années-lumière de la route goudronnée d’aujourd’hui. Des portions du boulevard Perron — ou route 6, ainsi qu’on désignait jadis ce cordon ombilical — passaient par la grève ! Les conducteurs devaient parfois s’arrêter pour déplacer des roches laissées par des éboulements. Comme le rappelle Alexander Reford, des Jardins de Métis, on roulait à 20 ou 30 km/h sur du gravier. « Il n’y avait aucun attrait touristique en chemin. On y allait pour rencontrer les Gaspésiens et admirer les paysages. »
Jusqu’en 1945, de 20 000 à 50 000 estivants empruntent annuellement la route 6. Dans les années 1950, c’est 80 000 à 100 000 touristes, la majorité venant de l’extérieur du Québec. Sa popularité augmentera constamment, tout en connaissant des périodes de fléchissement, notamment pendant la crise pétrolière des années 1970. Par contre, la manière de découvrir la Gaspésie, le feu au derrière, n’a pas évolué dans le temps. Quelques attraits, éparpillés sur la route, servent d’aimants. Entre ceux-ci, les automobilistes ne ralentissent que pour mettre de l’essence.
« Pendant longtemps, on a trop misé sur nos parcs nationaux [Gaspésie, Forillon et Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé] pour attirer les visiteurs », affirme Guillaume Molaison, fondateur de l’Auberge Chic-Chac, à Murdochville. Les jeunes entreprises qui redynamisent la Gaspésie en concentrant leurs activités sur le plein air ou les produits du terroir, comme les microbrasseries, ont pris du temps à émerger. Mais depuis une décennie, on sent poindre chez les touristes une nouvelle façon d’apprécier la Gaspésie, moins axée sur la consommation rapide des lieux.
Cette tendance a pris naissance en hiver, alors que certains endroits, comme les Chic-Chocs et Murdochville, deviennent des destinations à part entière. « On souhaite que cette manière de voyager se répande à la grandeur de la Gaspésie. Ça bouge dans les sous-régions, qui se développent à la vitesse grand V, dans le but de retenir la clientèle », dit Vincent Landry, directeur général du Mont-Saint-Joseph, de Carleton-sur-Mer, qui travaille à faire du point culminant de la ville un centre de plein air quatre saisons.
Une nouvelle génération d’entrepreneurs veut encourager les visiteurs à faire d’une sous-région leur camp de base, d’où ils pourront rayonner et prendre le temps de savourer pleinement les lieux. Pas pour rien que Jean-François Tapp, propriétaire d’une auberge dans le hameau de Coin-du-Banc, qui fait partie de l’agglomération de Percé, a baptisé son établissement le Camp de base.
« Tu peux passer ici facilement une semaine sans jamais faire la même chose », dit l’entrepreneur de 39 ans. Vélo de montagne, plage, randonnée, planche à pagaie, kayak, spectacles, alouette ! « On ne veut plus que notre succès dépende du taux de change ou du prix de l’essence », affirme Jean-François Tapp.
Pourquoi ne pas faire du slow travel en Gaspésie ? Visiter tranquillement les marchés et les poissonneries, pêcher le bar rayé, marcher dans les montagnes, admirer les couchers de soleil, faire un feu sur la grève… Oui, le tour de la Gaspésie est un classique. Prenez votre temps. La Gaspésie vous le rendra.
« La route ne devrait pas être une destination en soi, mais le prétexte pour découvrir la Gaspésie », résume Alexander Reford.
Ai-je besoin d’en rajouter ?
Cet article a été publié dans le numéro d’août 2019 de L’actualité.
Et en plus lorsque vous délaissez la 132 pour prendre des petits routes vous découvrez des endroits fabuleux comme la marina de St Madelaine de la Rivière Madelaine, la route du quai à Grande Vallée avec son églises au dessus D’un magnifique cap et que dire des coucher de soleil à longue pointe dans le village de petits Vallée toute des choses que vous ne verrez pas si vous rester sur la 132 alors modérée vos transport et prenez le temps de vivre la Belle Gaspésie
Moi, je l’ai pédalée cette Gaspésie! Je l’ai vue, je l’ai sentie, je l’ai suée! C’était merveilleux! Dommage que ceux qui la roulaient à 100 km et plus voulaient nous passer sur le corps! Ce serait beau sur circuit cyclable!!!! Je rêve!