
C’est un fait qu’on tend aujourd’hui à oublier, mais l’édition 2013-2014 du Canadien n’était pas un club dominant, loin de là. L’équipe a souvent tenu le coup grâce au brio de ses gardiens de but, dont les taux d’arrêts ont largement dépassé les moyennes de la ligue à forces égales et sur les unités spéciales. De même, les tireurs du CH ont été opportunistes tant à forces égales (8,4% de taux de réussite contre une moyenne de 8,2 % pour la ligue), que sur les unités spéciales (13,2 % contre 12,1 %).
Le portrait en ce début de saison 2014-2015 change quelque peu, alors que les gardiens de but du CH ont jusqu’ici réussi à compenser pour le manque de discipline du club et ses difficultés à créer des chances de marquer lors d’avantages numériques.
Pour illustrer les tendances, on utilisera trois indicateurs :
- Les tirs vers le filet (parmi lesquels on compte les tirs au but, les tirs bloqués et les tirs hors cible) donnent une idée de la capacité du club à garder l’avantage du jeu face à ses adversaires.
- Les chances de marquer sont des tirs au but ou encore des tirs manqués obtenus depuis une zone ayant la forme d’un marbre au baseball, partant du but, remontant vers les points de mises en jeu puis au sommet des cercles de mises en jeu.
- Les entrées de zone en possession de rondelle sont inspirées de nombreux projets du genre menés par des groupes d’amateurs sur internet. On y a découvert que l’essentiel de l’offensive à forces égales se construit en zone neutre et s’identifie par le truchement des entrées en possession de rondelle, par opposition aux simples rejets en fond de zone. Toutes les équipes génèrent un nombre similaire de tirs au but une fois entrés en zone adverse en possession de la rondelle ; ce qui distingue les meilleurs, c’est plutôt leur capacité à entrer plus souvent en contrôle de la rondelle. Ainsi, un joueur au talent limité comme Zac Rinaldo transporte le disque en zone adverse 45% du temps, alors qu’une bête de possession de rondelle comme Jaromir Jagr le fait près de 70% du temps.
Au cours des 10 premiers matchs de la saison, le Canadien a passé 11% de son temps en désavantage numérique contre 7% en avantage, alors que ces deux situations représentaient 8% du temps de glace la saison dernière. Le désavantage numérique continue à offrir des performances similaires lorsqu’on le sollicite, accordant toujours 37 chances à l’heure, alors que le club ne génère plus que 28 chances à l’heure en avantage numérique. C’est là un score proprement pitoyable ; sous Jacques Martin, on a souvent le CH générer entre 35 et 40 chances de marquer par heures jouées en avantage.

Les gardiens sont plus que jamais les grands responsables du succès en désavantage numérique, avec un taux d’arrêt de 0,930. Il est illusoire de croire que, dans un environnement où les chances de marquer sont forcément plus fréquentes, les gardiens maintiennent un taux d’arrêt similaire à celui des meilleurs à forces égales. Carey Price a beau être au sommet de son art, il n’en est pas moins humain. L’équipe devra donc jouer de manière plus disciplinée, sans quoi l’inévitable retour du balancier dans les performances des gardiens pourrait avoir des conséquences franchement douloureuses.
Autre élément à méditer lorsqu’on observe la fiche de huit victoires et deux défaites du CH : trois de ces victoires sont survenues en fusillade. Cette situation a souvent été étudiée au cours des dernières saisons et il semble désormais clair qu’aucune équipe n’a de véritable talent en matière de fusillade. Autrement dit, les résultats des matchs décidés de cette façon seraient l’équivalent d’un spectaculaire tirage à pile ou face ! Une équipe passe généralement de 9 à 12 fois en fusillade lors d’une saison, avec quelques exceptions tournant autour de 20 passages. Avec trois fusillades en 10 matchs, une part importante de la fiche ronflante du CH est donc passée par un processus quelque peu aléatoire. Les points sont en banque, mais il n’y a pas de quoi pavoiser, l’équipe pourrait avoir joué exactement de la même façon et avoir une fiche de 5-5 et 13 points plutôt que 16 au classement.
Au plan offensif, le Canadien connait tout de même une nette amélioration par rapport à l’an dernier lorsqu’il joue à forces égales. Pour mieux comprendre d’où vient ce progrès, on doit segmenter les performances du club en fonction du pointage. Dans les tableaux ci-dessous, on découpe les situations comme suit :
- lorsque le pointage est serré (1 but d’écart ou égal en 1ère et 2e période, égalité en 3e) ;
- lorsque le Canadien détient une avance (2 buts d’avance 1ère et 2e, 1 but d’avance en 3e) ;
- lorsqu’il accuse un retard (2 buts de retard 1ère et 2e, 1 but de retard en 3e).
On l’a souligné à l’envi, l’équipe a souvent traîné de la patte en 2014-2015, ce qui se confirme ici, avec seulement 15 % de ses matchs disputés avec une avance (contre 22 % l’an dernier). De manière générale, les proportions restent les mêmes, mais l’équipe actuelle semble plus pingre; si on tire moins souvent (et on obtient donc moins de chances), on a baissé dans les mêmes proportions le nombre de tirs et de chances accordées à l’adversaire. Dans un contexte où on cherche à défendre une avance, donc à ne pas accorder de buts, c’est là un développement positif!
Avec le score serré, le club a significativement augmenté son débit offensif, mais sans pour autant diminuer ce qu’il accorde en défensive. On passe donc d’un déficit de six tirs à l’heure à un seul tir à l’heure, alors que l’on accorde une chance de plus tout en en générant deux de plus. Si l’équipe peut resserrer sa défensive sans trop enquiquiner l’attaque, les choses pourraient s’améliorer rapidement dans cette situation. Mais ne soyons pas chiches, le progrès est déjà réel. Fait à noter, on entre désormais beaucoup plus souvent en zone adverse en contrôlant la rondelle. Il ne faut pas tant y voir un choix tactique que le résultat de la présence de deux bons trios offensifs.

Lorsque le club tire de l’arrière, l’amélioration a jusqu’ici été proprement spectaculaire. Alors que l’an dernier on surclassait à peine l’adversaire aux tirs et qu’on accumulait un déficit horrible aux chances en ouvrant le jeu, l’équipe actuelle est d’une efficacité redoutable. On tire beaucoup plus souvent, on génère presque six chances supplémentaires tout en coupant de quatre le nombre de chances accordées à l’adversaire.

On a souvent associé les retards pris en début de match au fait de jouer avec le feu, voir d’un manque de préparation. Dans les faits, l’équipe actuelle, parce qu’elle laisse beaucoup de chances à l’adversaire lorsque le score est serré, s’expose à ce genre de situations. Mais les remontées spectaculaires du club ne sont pas, à regarder ces chiffres, un simple effet de la chance : lorsque l’adversaire se replie, la pression déployée par les hommes de Michel Therrien devient tout simplement foudroyante !
Pour la suite des choses, donc, le club doit travailler sur deux aspects précis : la discipline et un travail plus serré en défensive. Si on réussit à faire bouger l’aiguille du bon côté sur ces deux facettes du jeu, les dividendes sont susceptibles de propulser l’équipe parmi les meilleures de la ligue. Mais pour l’instant, on n’y est pas encore.