Boycotter les athlètes russes, est-ce que ça ferait plier Poutine ?

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, de plus en plus de voix s’élèvent pour bannir les athlètes russes des compétitions internationales. Cette mesure pourrait même s’étendre jusqu’aux circuits professionnels nord-américains, notamment la Ligue nationale de hockey, dont certaines des plus grandes vedettes sont russes.

sbayram/Getty images, montage : L’actualité

L’invasion de l’Ukraine a mis la Russie au ban des institutions internationales. Et le monde du sport ne fait pas exception. Depuis le début des hostilités, les athlètes russes ont par exemple été exclus des Jeux paralympiques, tandis que le pays s’est vu retirer la finale de la prestigieuse Ligue des champions et la tenue de son Grand Prix de formule 1.

Certains observateurs, dont l’ex-athlète olympique Bruce Kidd, actuellement ombudsman de l’Université de Toronto, proposent que le gouvernement canadien cesse d’accorder des visas aux athlètes russes, amateurs et professionnels, qui souhaitent participer à des compétitions au pays. L’Ukraine a déjà fait une demande en ce sens au gouvernement canadien. Dans le passé, une mesure semblable avait été adoptée pour lutter contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud.

L’affrontement entre la Russie et l’Occident sur la question ukrainienne trouvera-t-il écho jusque dans les arènes sportives, domaine dans lequel Vladimir Poutine a investi massivement depuis son accession au pouvoir ? La quarantaine de joueurs russes qui évoluent dans la Ligue nationale de hockey pourraient-ils en faire les frais ?

L’actualité en a discuté avec Jean Lévesque, professeur d’histoire à l’UQAM et spécialiste de la géopolitique du sport et de la Russie.

De quelle façon Vladimir Poutine s’est-il servi du sport dans sa politique ?

Dans sa politique interne comme à l’international, le régime de Poutine a repris la tradition soviétique d’utiliser le sport comme moyen de renforcer l’image du pays. Mais alors qu’à l’époque de l’Union soviétique, le sport servait à promouvoir un modèle de société différent, aujourd’hui, le sport sous Poutine sert avant tout à afficher la puissance, la vigueur et la vitalité de la Russie. Ça fait partie d’un jeu diplomatique, une forme de soft power pour affirmer la grandeur nationale.

Poutine a reconstruit la machine sportive russe, qui avait décliné dans les années 1990 à la suite de la fin de l’Union soviétique. Avec la reprise économique engendrée par les prix élevés du pétrole dans les années 2000, la Russie a investi massivement dans le sport amateur, à la fois dans la performance de ses athlètes et dans l’accueil de compétitions mondiales. Elle a aussi tissé des liens étroits avec des athlètes professionnels et des dirigeants d’équipes dans les championnats nationaux, comme la Ligue continentale de hockey (KHL), qui se veut le deuxième plus grand circuit de hockey au monde, après la LNH.

L’accueil successif de compétitions d’envergure, comme l’Universiade de 2013, les Jeux olympiques de Sotchi et le Grand Prix de formule 1 en 2014 et la Coupe du monde de soccer en 2018, a marqué le retour de la Russie sur la scène mondiale comme puissance sportive. Ç’a fonctionné à court terme : la Russie a démontré sa capacité à organiser de grands événements, et les performances de ses athlètes olympiques ont été fortes. Mais les scandales de dopage étatique sont venus ternir les résultats. 

Est-ce que faire pression par le sport peut alors devenir un bon moyen d’ébranler Poutine ?

Lorsqu’on exclut les actions militaires, comme le font les Occidentaux en ce moment, les domaines d’intervention pour faire pression sur un pays en guerre restent somme toute limités. Le sport fait partie des leviers qu’on peut actionner, tout comme la culture et l’économie. C’est une façon de se dissocier d’un régime qu’on juge odieux.

Dans le cas de la Russie, c’est aussi un moyen d’atteindre des gens qui sont assez proches de Poutine, comme divers oligarques qui possèdent des équipes sportives en Europe. Par exemple, les avoirs de Roman Abramovich, propriétaire du prestigieux club de Chelsea et ancien gouverneur d’un district de l’extrême-est de la Russie, sont présentement gelés par le gouvernement britannique en raison de ses liens étroits avec Poutine.

Le sport est toujours l’un des premiers secteurs à réagir, parce qu’on peut difficilement concourir avec des gens contre qui on est en guerre, réelle ou diplomatique, et encore moins se rendre dans un pays ennemi pour une compétition. Est-ce qu’une forme de boycottage sportif peut fonctionner seule ? J’en doute. Mais ça fait partie du cocktail de mesures pour isoler un pays sur la scène internationale.

Ce bannissement pourrait-il s’appliquer aux athlètes professionnels qui évoluent à l’extérieur de la Russie, comme les joueurs de tennis professionnels de l’ATP ou de la WTA, ou encore les hockeyeurs de la LNH ?

Je ne serais pas surpris qu’on en arrive là un jour, mais c’est très difficile à prévoir. Le boycottage ou l’exclusion d’athlètes ne sont pas des phénomènes nouveaux, mais on entre ici dans une situation pratiquement inédite, parce qu’il n’y a pas de précédents. Jusqu’ici, de tels boycottages ont surtout touché le mouvement olympique et les équipes nationales. À l’époque des deux guerres mondiales, par exemple, il n’y avait pas d’étrangers, d’Allemands ou de Japonais, qui jouaient au baseball ou au hockey dans les circuits professionnels nord-américains.

L’application d’une telle mesure me semble difficile dans le contexte actuel. Est-ce qu’on vise seulement les athlètes qui ont manifesté leur appui à Poutine ou bien on bannit tous ceux qui ont la citoyenneté russe ? Dans ce cas, qu’est-ce qu’on fait des dissidents du régime ?

Ma position personnelle, c’est que les athlètes, tout comme les artistes, n’ont pas à payer pour le régime. Ce serait injuste de punir des athlètes qui ont toujours adopté un profil bas et qui ont gardé leur opinion pour eux.

C’est plus complexe dans le cas d’athlètes qui se sont affichés ouvertement avec Poutine et qui se sont servis de leur image pour faire la propagande du régime, comme Alexander Ovechkin l’a fait dans le passé. En sanctionnant ces sportifs, on peut argumenter qu’on attaque le régime. Mais est-ce qu’on va vraiment bannir Ovechkin, l’une des plus grandes vedettes de la Ligue nationale de hockey ? Disons que les enjeux sportifs et économiques sont beaucoup plus importants que si c’était un obscur joueur de troisième trio.

On cite parfois le cas l’Afrique du Sud, qui, au moment de l’apartheid, a été touchée par des sanctions semblables. Quelles conséquences avaient eu ces mesures sur le régime ?

L’Afrique du Sud a été frappée par des sanctions économiques et sportives de 1964 jusqu’au début des années 1990. Le pays a par exemple été exclu des Jeux olympiques et des Jeux du Commonwealth. Certains gouvernements particulièrement engagés dans la lutte contre l’apartheid, comme le Canada, ont notamment empêché les athlètes sud-africains de venir s’entraîner ou de compétitionner sur leur territoire. Pire, ils ont même interdit à leurs propres athlètes d’affronter les Sud-Africains dans des compétitions, peu importe le lieu. Ç’a eu pour effet d’empêcher l’élite sportive du pays de compétitionner au plus haut niveau. Certains sportifs ont même changé de nationalité pour pouvoir concourir sur la scène mondiale.

Est-ce que c’est ça qui a fait tomber le régime ? Le poids de cette mesure me semble relatif par rapport à d’autres facteurs comme la fin de la guerre froide et la résistance interne à l’apartheid. Mais ça s’inscrit dans une politique d’isolement d’un gouvernement qu’on considérait comme infréquentable.

Les commentaires sont fermés.

Je ne suis pas d’accord pour bannir les athlètes et artistes russes. C’est comme punir les enfants p.c.q. leur père est déviant. Aussi, c’est un signe d’impuissance devant un tyran qui a bcp de pouvoir. Juste bannir le drapeau et l’hymne national ferait la job comme l’a fait le CIO aux jeux olympiques. Les russes sont comme nous; ils n’ont pas tous une opinion commune, favorable à leur tyran. La seule différence est qu’ils ne peuvent l’exprimer.