
Le début de saison a encore une fois été des plus fructueux pour le Canadien de Montréal. La série de neuf matchs sans défaite en temps réglementaire a, comme par le passé, été largement le fruit du travail des gardiens de l’équipe. Ce qui nous rappelle que Carey Price demeure le pilier de cette équipe, celui sans qui le CH a trop souvent constitué une formation bien ordinaire.
L’immense contribution du meilleur gardien au monde
On connaît depuis longtemps le talent de Carey Price, mais c’est après avoir longuement travaillé son style de jeu qu’il a pu tirer pleinement profit de ses considérables atouts. À partir de la saison écourtée de 2013, il apporte une série de correctifs destinés à le rendre plus combatif (Sean Gordon, du Globe and Mail, a expliqué l’affaire en détail) et s’installe au sommet de sa profession. Depuis le début de la campagne 2013-2014, seul Henrik Lundqvist obtient des performances similaires aux siennes.
On dispose aujourd’hui d’indicateurs plus perfectionnés nous permettant de mesurer les performances des gardiens de but. Le site Corsica.hockey propose une de ces méthodes, en pondérant chaque tir obtenu par une équipe en fonction de ses caractéristiques: distance, angle, temps le séparant d’un autre tir, et ainsi de suite.
Ces opérations permettent de comparer chacun des cerbères à l’ensemble de ses confrères. En nous donnant une idée de la possibilité qu’un tir tenté par un joueur soit converti en but contre un gardien moyen, on nous permet de savoir si tel ou tel gardien offre une prime ou impose une taxe à ses coéquipiers par sa présence devant le filet.
Pour situer Price parmi ses pairs, j’ai sélectionné les gardiens ayant, de 2013 à 2016, participé à plus de 60 matchs, et obtenu un groupe de 52 joueurs. Voici les 10 plus performants de la bande.

Ce que ce graphique nous indique, c’est que Carey Price affiche un taux d’arrêt de 1,5 % supérieur à celui de la LNH. Ça peut sembler minuscule, mais sur une saison de 60 matchs, c’est une différence de près de 30 buts!
Perdre un tel atout et se retrouver soudainement avec des gardiens dans la grosse moyenne porte donc nécessairement un coup aux performances d’une équipe. Mais il y a pire: remplacer le meilleur gardien au monde par des gardiens franchement inférieurs à la moyenne. C’est ce qui est arrivé l’an dernier.
Le tableau ci-dessous nous montre qu’en 12 matchs l’an dernier, Carey Price est égal à lui-même, offrant à son équipe une prime de 1,6 % sur le taux d’arrêt attendu. Mais les autres gardiens se sont effondrés.

Il faut bien mettre ce chiffre de -17,5 en perspective. Il s’agit du déficit de buts accumulé par rapport à un hypothétique gardien moyen. Al Montoya, nouvel adjoint de Carey Price, est depuis 2013 ce gardien moyen, affichant une prime à l’arrêt de 0,2 % en 73 parties jouées. Si Price joue 60 matchs et Montoya prend le reste à son niveau habituel, le CH élimine 48 buts en accordant simplement le même nombre de tirs que l’an dernier. De 236 buts accordés, 10e parmi les pires scores de la saison dernière, on passerait à 188, soit 4 de moins que la meilleure équipe défensive de l’an dernier, les Ducks d’Anaheim.
Juste ça. Bref, pour peu que Carey Price reste en santé, tout baigne et le Canadien est en route pour la Coupe Stanley, n’est-ce pas? Pas tout à fait, non.
Un avantage qui fond au printemps
L’ennui dans tout ça, c’est que l’avantage que Price donne à son équipe existe dans la mesure où il se projette sur une saison jouée contre l’ensemble de la LNH. Celle-ci compte son lot de mauvaises équipes qui ne dirigent pas beaucoup de bons tirs au filet et de gardiens plus ou moins bons. En séries, c’est une autre histoire.
Le Canadien obtient depuis le début de la présente saison 49 % des tirs vers le filet à chaque rencontre. Si on applique la prime à l’arrêt de Carey Price sur les tirs reçus et qu’on applique aux tirs obtenus le taux de conversion de l’équipe lors des trois dernières saisons, tout ça permet d’obtenir 54 % des buts.
Si on reproduit ce calcul pour chacune des équipes de l’Association de l’Est avec leur gardien numéro 1, on voit bien que l’avantage que donne Price s’amenuise rapidement en séries.

Ces cinq gardiens que vous voyez au-dessus de Price? Ce sont eux qui peuvent se dresser sur la route du Canadien lors des prochaines séries éliminatoires. J’ai un doute pour Steve Mason, mais j’en ai pas mal moins pour les autres et je ne donnerais pas Andersen et les Maple Leafs pour battus tout de suite.
Le point à retenir, ici, est le suivant: une équipe capable d’avoir un bon différentiel de tirs avec un gardien solide a toutes les chances d’avoir le dessus sur une équipe avec un gardien légendaire qui fait jeu égal aux tirs. Pourquoi? Parce que l’équipe qui fait jeu égal contre la ligue à l’échelle d’une saison risque de faire plus piètre figure contre une seule équipe plus forte. Price peut voler une série, peut-être deux, mais il en faut quatre pour gagner la coupe.
Il est encore tôt. L’an dernier, les Penguins ont passé deux mois à la traîne avant de congédier leur entraîneur, pour ensuite partir sur une lancée qui les a menés jusqu’à la coupe Stanley.
Si on se penche sur le groupe de joueurs actuels du CH, je rappelle qu’entre novembre 2015 et février 2016, le CH a obtenu près de 55 % des tirs vers le filet, toutes situations confondues, au deuxième rang des meilleurs scores de la LNH. Personne ne s’en souvient, parce que leurs gardiens leur ont coûté 18 buts, gracieuseté d’une taxe de -1,2 % sur les arrêts. Mais le noyau de joueurs est similaire aujourd’hui.
Bilan d’octobre: ça ne suffira pas
Il faut s’améliorer et, plus précisément, il faut trouver le moyen de prendre un avantage plus définitif quant aux tirs obtenus, c’est aussi simple que ça. Price donne du temps à Bergevin, mais ce dernier n’est pas dupe des succès récents de l’équipe, ce qui est rassurant.
La saison est jeune et le club a des ressources. En défensive, Nathan Beaulieu va prendre du mieux; à l’attaque, Artturi Lehkonen fait ses classes et Alex Radulov, libéré des tâches défensives assignées aux ailiers de Plekanec, va certainement faire parler la poudre de plus en plus souvent. Ajoutons à cela que Bergevin a bien géré sa masse salariale. Sa marge de manœuvre grandit donc alors que la saison avance.
Les autres clubs de pointe ne resteront pas les bras croisés (Toronto et Tampa Bay, notamment, n’ont pas encore vraiment décollé), mais il y a pire situation qu’être en tête du classement avec un jeu de possession dans la moyenne, appuyé par le meilleur gardien au monde. On est encore très loin de la parade, mais les outils sont sur la table. Le vrai travail commence.