
L’embauche de Claude Julien a jusqu’ici fait bien paraître Marc Bergevin. Le Canadien, qui semblait à la dérive depuis le début de l’année, a obtenu huit victoires en 11 matchs sous les ordres du nouvel entraineur. À regarder l’équipe jouer, on pourrait croire que des changements tactiques expliquent cette poussée soudaine. Mais les tendances de fond nous indiquent qu’il y a encore beaucoup de travail à faire et que les succès récents de l’équipe sont, encore une fois, le fait de performances exceptionnelles de Carey Price.
Le hockey est un sport chaotique. C’est ce qui le rend si grisant à regarder. Un match est une véritable boite à surprises, et celui de dimanche dernier nous l’a montré une fois de plus: une séquence à l’attaque peut se terminer par un but de l’adversaire (celui de Milan Lucic), tandis qu’une équipe qui se bute à un gardien implacable peut soudainement marquer deux buts en moins de deux minutes et se sauver avec la victoire.
C’est pour mieux comprendre les tendances lourdes qui orientent le destin des équipes au fil d’une saison qu’on a recours aux données. Dans ce domaine, on vogue d’innovation en innovation depuis que la LNH, en 2006-07, s’est mise à publier des données détaillées sur chaque partie disputée. Un de mes indicateurs favoris? Une drôle de bestiole, qu’on appelle les «buts attendus» (traduction personnelle du terme «expected goals»). J’utiliserai dans ce billet la formule développée par Emmanuel Perry sur le site Corsica.hockey
Le principe est simple: on attribue à chaque tir tenté une importance relative à la probabilité qu’il se retrouve dans le filet adverse. En utilisant cet indicateur, on peut jumeler la capacité d’une équipe à effectuer plus de tirs que son adversaire, et sa capacité d’obtenir des tirs de qualité.
On peut aussi, en isolant les buts accordés attendus, mesurer plus nettement l’impact des gardiens de but. Carey Price est l’un des gardiens les plus dominants de la LNH, comme je l’évoquais sur ce blogue l’automne dernier. Sa contribution a eu un impact majeur sur les destinées de l’équipe depuis le début de la saison, et surtout, de ses entraineurs. Après un début de saison canon, Price a connu, en janvier et février, un passage à vide important (surtout en désavantage numérique). Depuis l’arrivée de Claude Julien, il a abattu un travail titanesque.

Price a joué 27 matchs entre octobre et décembre, 16 sous Therrien en janvier et février, puis 9 sous Claude Julien (je m’arrête au match de dimanche dernier). Je me permets une emphase typographique:
Carey Price a sauvé un but par match depuis l’arrivée de Claude Julien à la barre du club.
C’est énorme. Price a connu sa meilleure saison en 2014-15, alors qu’il a sauvé 37 buts en 66 matchs, un peu plus d’un but aux deux matchs. La meilleure saison enregistrée sur Corsica.hockey est celle d’Henrik Lundqvist, en 2009-10, alors qu’il a sauvé 52 buts en 73 matchs. Oui, Claude Julien apporte ce que mes collègues aiment bien appeler «un vent de fraicheur», mais entendons-nous bien: Michel Therrien n’aurait pas nécessairement fait pire.
Reste que Therrien n’a pas été remplacé par pur caprice. À 5 contre 5, l’équipe prenait une mauvaise tangente, surtout depuis le retour des blessés au début du mois de janvier. Claude Julien a eu à vivre avec une série de blessures difficiles à encaisser, ce qui force à prendre les données suivantes avec un grain de sel, mais le redressement tant attendu ne s’est pas encore manifesté. On est encore loin du club dominant à forces égales de la première moitié de saison.

Carey Price, en connaissant une séquence du tonnerre, donne du temps à son entraineur, qui a tout un problème sur les bras: sa brigade défensive, habituellement le point fort de son équipe, connaît de sérieuses difficultés.
On peut soupçonner que les changements tactiques demandés par l’entraineur y sont pour quelque chose. Julien a répondu en détail à une question posée par le journaliste Arpon Basu.
Claude Julien explains Habs defensive zone adjustments without worrying one bit about openly discussing tactics. Imagine that. pic.twitter.com/2YmFp9sT0U
— Аrpon Basu (@ArponBasu) 3 mars 2017
On demande maintenant aux défenseurs d’être plus agressifs lorsqu’ils poursuivent la rondelle et, une fois celle-ci arrachée à l’adversaire, d’être plus patients avant de la faire bouger. Cette double inversion semble particulièrement difficile à vivre pour les trois principaux défenseurs du club.
Alexei Emelin et Shea Weber, ainsi que Jeff Petry et Andrei Markov, ont formé, depuis le début de la saison, un quatuor défensif fort efficace. Pourtant, Claude Julien a rapidement remanié ce quatuor, ce qui a eu un impact pour le moins délétère sur les performances de trois d’entre eux. Andrei Markov se débrouille fort bien dans le nouveau système, mais les trois autres ont connu des baisses marquées de performances.

C’est un peu pourquoi on parle beaucoup des performances d’Alexei Emelin, ces derniers temps. Son passage à la gauche de Jeff Petry a coïncidé avec une baisse marquée de performances de ce dernier, alors que Weber semble retrouver ses marques depuis qu’on l’a associé à Markov.

Le gros Russe a beaucoup joué avec Petry l’an dernier, on peut donc s’attendre à ce que ces deux-là prennent du mieux d’ici la fin de la saison. Julien soulignait que, malgré ses airs de cône orange sur le but de Lucic, Emelin avait somme toute joué un bon match dimanche soir. On semble donc vouloir être patient avec lui. Reste que son passage sur la galerie de presse, lors du match contre Vancouver, était un avertissement. S’il ne s’améliore pas, d’autres options existent.
On annonce, au moment d’écrire ces lignes, que Nathan Beaulieu sautera son tour contre les Blackhawks de Chicago. Beaulieu n’est pas un modèle de constance en défensive, mais les tableaux ci-dessus nous rappellent qu’il est, de toute la brigade défensive, celui qui semble avoir le plus bénéficié de l’arrivée de Julien.
Il n’y a là rien de bien étonnant. Julien demande plus d’agressivité en poursuite de l’adversaire, plus de patience en possession de rondelle. Beaulieu, justement, a les qualités de ses défauts: s’il fait beaucoup d’erreurs, c’est parce qu’il est un joueur mobile, agressif et habile avec la rondelle. Ce changement de philosophie lui va comme un gant et les données le confirment.
Claude Julien a besoin de temps. Même s’il cherche à en minimiser l’importance, les changements qu’il apporte aux tactiques défensives du club sont majeurs et la transition est particulièrement pénible pour ceux qui sont plus lents et moins habiles. Carey Price lui donne de la marge de manœuvre, mais on ne peut attendre de lui qu’il continue à performer ainsi. Des passages à vide sont donc encore à prévoir. L’essentiel est d’être prêt pour les séries éliminatoires.