
C’est un aréna de quartier comme un autre, un bâtiment gris anonyme, niché dans un secteur résidentiel de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal. Suspendues au-dessus de la patinoire, des banderoles multicolores honorent les équipes novices, bantams ou midgets du coin. Rien, pas une affiche, pas un drapeau, ne laisse soupçonner que sur cette glace s’élancent chaque semaine les meilleures joueuses de hockey du monde.
De multiples médaillées d’or olympiques jouent ici, celles-là mêmes qui ont tenu des millions de téléspectateurs en haleine pendant le tournoi olympique de Sotchi, en 2014: la gardienne de but Charline Labonté, la capitaine Caroline Ouellette et la prodigieuse attaquante Marie-Philip Poulin, auteure du but égalisateur à moins d’une minute de la fin du match décisif contre les États-Unis, et du but gagnant en prolongation.
Ces athlètes glorieuses jouent désormais dans l’ombre au Centre Étienne-Desmarteau, au sein des Canadiennes de Montréal, l’équipe de hockeyeuses professionnelles de la métropole. Quelques centaines de partisans, tout au plus, se rassemblent dans les modestes gradins pour les applaudir.
Née en 2007, la Ligue canadienne de hockey féminin (LCHF) regroupe quatre autres clubs: l’Inferno de Calgary (qui compte dans ses rangs une autre illustre athlète olympique, Hayley Wickenheiser), les Furies de Toronto, le Thunder de Brampton et les Blades de Boston. La formation montréalaise a remporté trois fois la Coupe Clarkson (la Coupe Stanley des femmes), ce qui en fait l’équipe la plus titrée du circuit. Anciennement connue sous le nom de Stars, elle vient d’être rebaptisée les Canadiennes à la faveur d’un partenariat avec son célèbre pendant masculin, l’organisation des Canadiens de Montréal.
Selon la directrice générale, Meg Hewings, la prochaine génération sera plus épatante encore… à condition qu’on lui donne les moyens d’atteindre son plein potentiel. Cette diplômée en études féministes et ex-membre de l’équipe de hockey de l’Université McGill occupe le poste depuis six saisons. «Les futures stars du hockey féminin sont en train de gravir les échelons, dit la gestionnaire de 38 ans. J’ai vu des jeunes incroyablement talentueuses, qui vous laisseront bouche bée. Le prochain grand hockeyeur, le Sidney Crosby de demain, c’est peut-être une fille, qui sait? Mais elle vient peut-être d’un endroit où elle n’a pas accès aux meilleures ressources.»
Dans la minuscule cafétéria de l’aréna, en marge d’un entraînement des Canadiennes, par un soir de novembre, Meg Hewings m’a parlé des espoirs qu’elle caresse pour son sport et des obstacles à franchir pour qu’il prenne véritablement son envol.
Le hockey féminin gagne en popularité à une vitesse fulgurante. Les petites hockeyeuses reçoivent-elles le même soutien que leurs camarades masculins?
Le sport est plus accessible qu’il ne l’a déjà été. Quand j’ai commencé à jouer, dans les années 1980, en Ontario, ce n’était pas un sport que les filles pratiquaient. Elles jouaient à la ringuette ou pas du tout. Il y a davantage d’ouverture aujourd’hui.

Mais les barrières sont encore nombreuses, surtout au Québec. Seulement 6 500 filles y sont inscrites au hockey amateur, alors qu’elles sont plus de 43 000 en Ontario! [NDLR: Chez les garçons, on compte 94 000 joueurs au Québec et plus de 220 000 en Ontario, selon les plus récentes données de Hockey Canada.]
Comment expliquer un fossé aussi gigantesque ?
Au Québec, contrairement à l’Ontario, les filles qui commencent doivent souvent jouer avec des garçons. Les équipes entièrement féminines sont plus rares, ont moins de temps d’accès aux patinoires, moins de poids dans les associations. Ces clubs étant très dispersés sur le territoire, les joueuses doivent parcourir de longues distances pour se rendre aux matchs, ce qui complique encore les choses.
Le Québec doit faire plus d’efforts pour amener les jeunes filles à s’intéresser à ce sport et à s’y investir. Il existe des initiatives isolées, comme First Shift, un programme de six semaines qui initie au hockey 45 filles de 6 à 10 ans de la région de Montréal, équipement fourni. Ou le tournoi organisé par Caroline Ouellette, qui réunit 600 jeunes hockeyeuses de partout au Québec pour une fin de semaine d’entraînement et de compétition, avec des membres des Canadiennes comme instructrices. C’est ce genre de programme qui est nécessaire. Les filles raffolent de ces expériences. Il faut qu’il y ait plus de soutien institutionnel.
En Ontario, l’Association du hockey féminin de la province s’est battue pour que les filles obtiennent du temps d’accès aux patinoires. Le Québec n’a pas d’organisme semblable consacré à cette cause.
Les hockeyeuses doivent-elles absolument jouer entre filles pour s’épanouir?
Les opinions divergent. Avant un certain âge, ç’a du sens que les deux sexes soient intégrés. Mais à partir du niveau midget, vers l’âge de 15 ans, la plupart des filles n’ont plus tellement envie de jouer avec des gars, alors elles désertent le sport. Pas toutes: les membres des Canadiennes ont pour la plupart évolué dans des ligues masculines quand elles étaient jeunes, et c’est entre autres ce qui leur a permis d’exceller. Caroline Ouellette a toujours joué avec des garçons, jusqu’à ce qu’elle entre à l’université; Marie-Philip Poulin a fait la même chose jusqu’à ce qu’elle atteigne le cégep. Mais pour développer le sport par la base, pour créer un vrai bon système d’incubation des talents, le meilleur modèle demeure celui de l’Ontario et son hockey 100 % féminin.
Il n’y a pas de ligue de hockey junior majeur chez les femmes. Que font celles qui veulent progresser au-delà des rangs mineurs?
Elles vont à l’université. C’est la particularité du hockey féminin: toutes les joueuses adultes possèdent un diplôme universitaire, voire deux! Aux États-Unis, les universités ont l’obligation légale d’offrir des infrastructures et des bourses équivalentes aux athlètes des deux sexes. C’est pourquoi il y a autant de bonnes recrues qui sortent du circuit universitaire américain. Aucune exigence de ce genre n’existe au Canada.
Une fois leur carrière universitaire terminée, la ligue professionnelle constitue le sommet de la pyramide. Bien sûr, les filles rêvent toutes de faire partie de l’équipe nationale et de s’illustrer dans les Championnats du monde et les Jeux olympiques, mais les places sont limitées. Par surcroît, les athlètes olympiques aussi ont besoin de nous. Ce sont nos clubs, nos entraîneurs, nos organisations qui soutiennent les athlètes pendant quatre saisons entre les Jeux. Nombre des trios et des jumelages qu’on voit se déployer aux Jeux olympiques se forgent au sein de notre ligue. Quand les Canadiennes de Montréal affrontent les Blades de Boston, on croirait assister à un match Canada–États-Unis!
Étant donné les obstacles à l’éclosion des talents, le hockey féminin est-il encore loin d’avoir atteint son plein potentiel?
Prenez Marie-Philip Poulin: c’est réellement une athlète professionnelle. Elle joue pour les Canadiennes, elle s’entraîne avec Équipe Canada, elle a des commanditaires, elle est sur la glace presque tous les jours, c’est une des rares qui gagnent leur vie grâce à leur sport. Et on voit à quel point elle est performante! Alors je crois qu’on n’a encore rien vu de ce que le hockey féminin peut devenir. The sky is the limit. Les Canadiennes s’entraînent seulement deux fois par semaine, elles ne jouent que 24 matchs par année en saison réglementaire, et elles occupent des emplois à temps plein par-dessus le marché. Nous avons des enseignantes au secondaire dans nos rangs, une conseillère financière, l’une de nos entraîneuses est policière. Imaginez ce que le calibre serait si elles faisaient juste jouer au hockey!
Les joueuses sont-elles payées dans la Ligue canadienne de hockey féminin?
Non. On espère pouvoir leur offrir une allocation d’ici deux ans. Certains membres clés du personnel et moi-même recevons un salaire modeste, mais insuffisant pour gagner notre vie. Je complète en travaillant comme rédactrice à la pige. D’ici à ce que je passe le relais, j’ai confiance que le poste de directrice générale sera rémunéré à temps plein. Mais nos revenus vont devoir augmenter considérablement. Si chaque joueur de la Ligue nationale de hockey versait 1 000 dollars, on pourrait payer les salaires de toutes les joueuses du circuit…

De quoi la LCHF vit-elle?
Principalement de commandites. La ligue est un organisme sans but lucratif; elle est propriétaire des cinq équipes et alloue à chacune un budget égal. En huit ans, son budget total est passé de 50 000 dollars à 1,7 million de dollars, une croissance vertigineuse. Mais c’est encore très peu: c’est moins que le salaire moyen d’un joueur de la LNH, pour entretenir cinq équipes et 125 des meilleures athlètes au monde!
Même sur le plan des subventions publiques, les sports féminins sont désavantagés. Notre ligue y a difficilement accès, parce qu’il ne s’agit ni de hockey amateur ni de hockey mineur, donc on tombe entre les fentes du plancher. Alors qu’au cours des dernières décennies le hockey professionnel masculin a bénéficié de généreux fonds publics, notamment pour la construction de nouveaux arénas, qui lui ont permis de devenir rentable.
Vous avez conclu en 2015 un partenariat avec le Club de hockey Canadien de Montréal. Vous avez à cette occasion changé de nom, de logo et d’uniforme. Qu’est-ce que cette alliance vous apporte?
C’est un atout majeur. Le Canadien nous aide énormément sur le plan du marketing et des commandites, de sorte que nous sommes maintenant en position d’aller chercher d’importantes sources de financement. Nous collaborons aussi dans l’organisation de nos camps et stages de hockey pour les jeunes. Les équipes féminines de Toronto et de Calgary ont conclu des ententes semblables avec le club professionnel de leur ville, les Leafs et les Flames.
Il y a cependant encore beaucoup de travail à faire. Pour moi, c’est une question d’équivalence. Charline Labonté devrait être à l’avant-scène avec Carey Price: elle a remporté quatre médailles d’or olympiques et a été nommée gardienne de l’année dans la LCHF, comme lui l’a été dans la LNH. Ce serait bien de voir ces deux-là faire des apparitions publiques ensemble et être traités sur un pied d’égalité.
Que répondez-vous à ceux qui affirment que le hockey féminin est simplement une version inférieure de son pendant masculin?
Je les invite à venir le constater par eux-mêmes. Au tennis, quand les femmes ont eu droit à des bourses aussi généreuses que celles des hommes, qu’elles ont profité des mêmes infrastructures et du même encadrement, on a vu que leur jeu pouvait être extraordinaire. Le tennis féminin est différent du tennis masculin, et les amateurs en redemandent.
Le hockey féminin est un sport passionnant, rapide, technique. Il y a bien un peu de brasse-camarade ici et là, mais pas de mises en échec ni de bagarres, alors le jeu est plus ouvert, plein de finesse, de dynamisme… et de buts!
Nous avons à Montréal une équipe incroyable, qui possède un fantastique héritage. Si nous nous appelons les Canadiennes, ce n’est pas seulement un clin d’œil à notre club frère. C’est aussi un hommage à la première équipe canadienne-française de femmes, qui portait ce nom dans les années 1930. En fait, le hockey féminin d’aujourd’hui ressemble beaucoup à la LNH d’antan. La grande majorité des membres des Canadiennes sont québécoises, comme autrefois chez le CH, et notre style de jeu a quelque chose de montréalais, axé sur la vitesse et la créativité, dans la tradition des Flying Frenchmen. Les joueuses sont accessibles, elles rencontrent les partisans après les matchs, signent des autographes. Elles sont ici parce qu’elles aiment le sport, pas parce qu’elles gagnent des millions de dollars… même si elles le devraient.
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Pour voir jouer les Canadiennes de Montréal
D’octobre à février, Centre Étienne-Desmarteau : 3430, rue de Bellechasse, Montréal
15 dollars le billet, en ligne ou sur place les jours de match
Et quoi encore ? Je crois que le hockey professionnel est un sport de gars . Il est peut-être temps de calmer
les ardeurs d’un féminisme qui veut tout . À terme , je pense que des espaces spécifiques
pour chacun des sexes est moins malsain que mélange des genres où tout est personne et que personne est
incapable d’avoir des modèles de son sexe . Tant pis si je vous pique . Les féministes radicales me semblent
nier la biologie et donnent l’impression d’être des ou de vraies . L’égalité , j’en suis ;
mais faire fi de la compétence pour satisfaire des quotas illusoires , non . Et si une femme était le prochain
Crosby ? Pouvez toujours fantasmer . . .
On devrait être fier de vous et svp ne lâcher pas.
Ne vous inquiétez pas; c’ est pas demain la vielle!
Nous constatons qu’il y a certains lecteurs « masculinistes » à l’Actualité. Il aurait juste fallu qu’ils lisent l’article,,, lentement, tout simplement, sans appréhension ni manque de confiance en eux, et ils auraient été d’accord avec l’auteure.
Bof! J’ ai lu L’article et elle a droit de rêver!!
Lorsque je regarde un championnat mondial de hockey féminin, c’est comme si je me déplaçait dans un aréna pour aller voir du midget AAA chez les garçons, rien de plus. Il y a du chemin à faire pour avoir une certaine qualité de hockey. Ce n’est pas demain la veille…Et que dire de la commentatrice qui commente la partie et qui est d’au moins 3 secondes de retard sur le jeux!! ouff!!