Jean Béliveau : le plus grand capitaine de tous les temps

Jean Béliveau était le roc de l’équipe, sa fondation, sa boussole et, bien sûr, son meilleur joueur quand ça comptait le plus.

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Photo: Frank Prazak/Hockey Hall of Fame Images

Jean Béliveau est décédé mardi soir à l’âge de 83 ans. L’article qui suit a originalement paru dans le numéro hors-série Les grands capitaines.

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Blogue_hockey2Jean Béliveau est l’un des plus distingués gentilshommes de l’histoire du hockey. Il est aussi le plus grand capitaine de tous les temps.

Tout d’abord, il y a des faits et des statistiques indiscutables : six nominations au sein de la première équipe d’étoiles de la LNH et quatre au sein de la deuxième, deux trophées Hart à titre de joueur le plus utile de la ligue, un trophée Art Ross en tant que meilleur marqueur du circuit, 507 buts en saison et 79 durant les séries éliminatoires.

Ensuite, il y a son style de jeu : la façon dont il se servait de sa taille et de ses longs bras pour éloigner les défenseurs, son coup de patin qui semblait gruger la glace 10 m à la fois, sa détermination indéfectible. Si vous êtes suffisamment âgé, vous vous en souvenez probablement. Sinon, vous devrez consulter les archives télé sur YouTube.

De nombreux partisans ignorent à quel point Jean Béliveau débordait de talent. Difficile à concevoir, mais au fil des ans, ses résultats impressionnants, ses distinctions, sa puissance et sa grâce sur la patinoire ont été éclipsés par une qualité : son leadership. À cet égard, il représente un cas exceptionnel, peut-être même unique dans l’histoire du hockey.

Jean Beliveau, Montreal 4
Photo: Graphic Artists/Hockey Hall of Fame

Jean Béliveau préférerait qu’on se souvienne de lui comme d’un joueur d’équipe. À ce chapitre, il n’a pas son pareil. Il a remporté 10 fois la Coupe Stanley au cours de sa carrière de 17 ans avec le Tricolore. Lorsqu’il s’est joint aux Canadiens, Butch Bouchard en était le capitaine. Maurice Richard a ensuite hérité du « C », que Doug Harvey a porté pendant une saison après la retraite du « Rocket ». N’importe lequel de ces membres du Temple de la renommée aurait pu être le capitaine emblématique d’une autre formation. Pourtant, il est facile d’oublier leur passage comme leaders officiels des Glorieux sur la patinoire. Jean Béliveau, lui, a fait sien le rôle de capitaine de la plus grande franchise du hockey.

Le « Gros Bill » ne semblait pas avoir le profil idéal pour le poste. Dans l’imaginaire populaire, un capitaine est un leader dont la passion saute aux yeux, qui galvanise ses coéquipiers par ses paroles et ses actions, qui élève l’intensité de la partie à un niveau démesuré. C’était le cas de Maurice Richard, dont la flamme pouvait être trop ardente pour certains. La personnalité de Jean Béliveau contrastait avec celle du Rocket. « Il s’entend bien avec tout le monde et il est le meilleur centre que j’aie vu depuis mes débuts dans la ligue. Il est si modeste qu’il rougit quand quelqu’un le complimente », a souligné Frank Selke en 1956, lorsqu’il était directeur général du Canadien. Fort probable que Maurice Richard n’a jamais rougi de sa vie.

Sans surprise, Jean Béliveau a rougi quand on l’a nommé capitaine de la Sainte-Flanelle. « Ce fut un choc pour moi, une surprise totale, a-t-il confié. Je n’étais même pas capitaine adjoint. Tous les joueurs ont mis un bout de papier dans le chapeau de Toe, et il a compté les votes. Je suis presque tombé du banc quand il a annoncé que j’étais le nouveau capitaine. Plus tard, je me suis rendu compte que c’était mon tempérament et ma façon de faire les choses qui m’avaient valu l’appui de mes coéquipiers. J’ai alors pris conscience que j’avais des attentes à combler. »

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Photo: Bruce Bennett Studio/Getty Images

Le style de jeu de Jean Béliveau correspondait à merveille à son rôle de leader au sein de l’équipe. Mieux, en fait, que celui de Maurice Richard. Le Rocket était obsédé par l’idée de compter des buts. Il fonçait au filet comme un être déchaîné. De son côté, le « Grand Jean » était à la fois un marqueur et un fabricant de jeux. C’était un hockeyeur complet, qui rendait ses coéquipiers meilleurs et qui prêchait par l’exemple. « C’est le joueur rêvé de tout entraîneur, car il étudie et il apprend », a noté Frank Selke au moment où Jean Béliveau en était à sa troisième saison. « Il est constamment en mouvement et en train de planifier le jeu le plus approprié à la situation… Un vrai perfectionniste. »

Les plus grands capitaines de la LNH ont ceci en commun avec les politiciens qui ont du succès : certains sont faits pour le poste alors que d’autres sont faits par le poste. Jean Béliveau a donné ses lettres de noblesse au « C », qui à son tour l’a grandi. Compte tenu de la réussite de l’équipe, tout portait à croire que la machine bleu-blanc-rouge était parfaite en tous points. Dans les coulisses, cependant, on retrouvait des personnalités fortes, même après la retraite de Maurice Richard. Ces joueurs ont peut-être tous accédé au Temple de la renommée du hockey, mais ils avaient leurs particularités : la fragilité de Jacques Plante, la témérité de Doug Harvey, le feu dans les yeux d’Henri Richard (un trait de famille), le tempérament soupe au lait de John Ferguson. Dans tout vestiaire réside un potentiel de conflits, le risque que les choses dérapent. Jean Béliveau était le roc de l’équipe, sa fondation, sa boussole et, bien sûr, son meilleur joueur quand ça comptait le plus.

En fin de compte, les capitaines montrent la voie à suivre par leurs actions, pas par leurs paroles. Jean Béliveau a inscrit nombre de buts importants, mais le plus notable d’entre eux a sans doute été marqué à Boston, en 1969. Un foudroyant tir du poignet qui a battu Gerry Cheevers pour procurer une vic-toire de 2-1 au Canadien dans la deuxième période de prolongation du sixième match. Ce but a permis aux Habs de remporter la finale de l’Est et, en pratique, leur a servi la Coupe Stanley sur un plateau d’argent. L’équipe n’a ensuite fait qu’une bouchée des Blues de St. Louis, qui avaient émergé d’une division de l’Ouest affaiblie par la récente expansion de la ligue. À l’opposé, les Bruins comptaient sur une nouvelle génération d’étoiles, alignant entre autres des Phil Esposito et des Bobby Orr presque à leur apogée. C’était la formation la plus coriace que le CH devait supplanter. Le Gros Bill, alors une vedette vieillissante dans la trentaine avancée, a de nouveau pris la situation en main. Peut-être pour la dernière fois, comme beaucoup le prévoyaient.

Pour presque n’importe quel autre joueur, cela aurait été le point culminant d’une carrière. Mais pas pour Jean Béliveau, qui devait relever un défi encore plus grand.

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Photo: La Presse Canadienne

Les perspectives étaient sombres pour l’équipe montréalaise à l’aube de la saison 1970-1971. Le printemps précédent, elle avait raté les séries éliminatoires pour la première fois depuis une génération. Dans cette atmosphère de transition, des vétérans fatigués cédaient peu à peu la place à de jeunes talents. Jean Béliveau a évoqué la retraite, mais la direction lui a demandé de disputer une dernière saison afin d’aider le Canadien à traverser ces temps difficiles. On l’a prié de fournir un effort ultime, pour le bien de l’équipe, à l’âge de 39 ans.

Jean Béliveau est monté au front une fois de plus, menant la charge de la plus improbable conquête de la Coupe Stanley du Tricolore.

En début de saison, l’équipe était encore plus médiocre que ne le craignait la direction du club. L’entraîneur Claude Ruel a été congédié avant Noël et remplacé par Al MacNeil. En février, Serge Savard a dû déclarer forfait pour le reste du calendrier en raison d’une fracture de la jambe. On a rappelé en renfort des joueurs des ligues mineures. Malgré tout, les Canadiens ont comblé leurs partisans au-delà de toute espérance en finissant la saison au milieu du peloton après un sprint final passionnant. Rares étaient ceux qui croyaient que le parcours du Bleu-blanc-rouge en séries dépasserait une semaine. Surtout pas contre une puissance comme Boston, dont quatre joueurs faisaient partie de la première équipe d’étoiles. Une formation qui avait cumulé 108 buts et 24 points de plus que Montréal durant la saison officielle.

On aurait dit que la Sainte-Flanelle avait jeté l’éponge dès le tour initial, quand son entraîneur a décidé de faire confiance au gardien recrue Ken Dryden, qui n’avait que quelques rencontres de la LNH derrière le masque. Ou était-ce une occasion de donner de l’expérience à un joueur prometteur ? C’est alors que les Canadiens ont surmonté un déficit de 5-1 pour finalement l’emporter 7-5 lors du deuxième match, à Boston. Au cours d’une troisième période enlevante, alors que le meilleur centre défensif des Bruins, Derek Sanderson, le pourchassait partout sur la patinoire, Jean Béliveau a inscrit deux buts et récolté une mention d’aide. « Ce que je déteste chez lui, c’est qu’il est tellement bon », avait déclaré Derek Sanderson aux journalistes au début du bal printanier. « Je l’ai adulé pendant toute ma jeunesse. Et maintenant que je l’affronte, je crois toujours qu’il est le meilleur. »

L’idole a eu le dessus sur l’admirateur. Le CH a scellé l’issue de la série lors du sixième match, de façon on ne peut plus catégorique : en administrant aux Bruins une dégelée de 8-3. La victoire de Montréal sur Boston au premier tour, en 1971, est toujours considérée comme l’une des plus grandes surprises de l’histoire de la LNH.

À trois reprises, les carottes semblaient cuites pour les Glorieux en manche finale contre les Blackhawks. Tout d’abord, alors qu’ils tiraient de l’arrière dans la troisième partie, après deux défaites consécutives à Chicago. Ensuite, lorsque les Hawks, menant la série 3-2 et ayant pris les devants dans le match, avaient mis le champagne au frais au Forum à la mi-rencontre. Et enfin, lors du match no 7, à Chicago, alors que le Canadien perdait 2-0 à la deuxième période. Mais au final, Jean Béliveau a soulevé la Coupe Stanley une dernière fois. Il a terminé à égalité au troisième rang des pointeurs des séries, notamment grâce à ses 16 mentions d’aide, un sommet.

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Photo: Graphic Artists/Hockey Hall of Fame

Le capitaine a décidé de prendre sa retraite au cours du vol de retour avec la précieuse Coupe. « J’étais triste de ne pas pouvoir conclure ma carrière lors d’un match à Montréal, a-t-il confié. Mais je n’avais plus grand-chose à donner. »

Peut-être, mais personne n’a donné autant à son équipe que le plus grand capitaine de la Sainte-Flanelle.

Le soir de la fermeture du Forum, en 1996, les légendes du Tricolore se sont transmis un flambeau au cours d’une cérémonie inoubliable. Jean Béliveau n’était pas le dernier à brandir le flambeau — c’était Maurice Richard. Mais, comme il se devait, le Rocket l’a reçu des mains du Grand Jean. Un geste dont la dignité et le symbolisme ont arraché des larmes à tous les amateurs de hockey.

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Naissance
31 août 1931

Décès
2 décembre 2014

Lieu de naissance
Trois-Rivières (Québec)

Tir
Gauche

Taille
6 pi 3 po

Poids
205 lb

Coupe Stanley

1955, 1956, 1957, 1959, 1960, 1965, 1966, 1968, 1969 et 1971

Première équipe d’étoiles
1955, 1956, 1957, 1959, 1960 et 1961

Deuxième équipe d’étoiles
1958, 1964, 1966 et 1969

Trophée Art Ross
1956

Trophée Hart
1956 et 1964

Trophée Conn Smythe
1965

Temple de la renommée
1972

Prix d’excellence pour l’ensemble de sa carrière dans la LNH
2009

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