La fenêtre de Marc Bergevin

Therrien parti, reste la question qui tue : est-ce que les conditions sont actuellement réunies, à Montréal, pour une quête sérieuse de la coupe Stanley au printemps?

Marc Bergevin annonce en conférence de presse le changement d’entraîneur. (Photo: Paul Chiasson/PC)
Marc Bergevin annonce en conférence de presse le changement d’entraîneur.
(Photo: Paul Chiasson/PC)

La semaine de relâche des Canadiens de Montréal aura été fertile en rebondissements. Face à une équipe engluée dans une séquence médiocre, Marc Bergevin a pris les grands moyens et congédié son entraîneur. En commentant ce geste spectaculaire, on entend un peu partout qu’il se justifie par le fait que le Canadien y va cette saison pour le grand coup, que la fameuse « fenêtre d’opportunité » du club est ouverte maintenant. Pas le moment, donc, de rater les séries parce que l’entraîneur tombe sur les nerfs de certains joueurs.

Therrien parti, reste la question qui tue : est-ce que les conditions sont actuellement réunies, à Montréal, pour une quête sérieuse de la coupe Stanley au printemps?

En gros, oui. Le Canadien compte sur un des meilleurs attaquants de la ligue (Max Pacioretty, 3e meilleur buteur de la LNH au cours des 5 dernières saisons), à qui on a enfin trouvé un sbire digne de ce nom (Alexander Radulov). Une défensive plus que complète (peu d’équipes comptent sur 7 défenseurs aptes à jouer soir après soir dans la LNH) et Carey Price, le roc sur lequel tient tout l’édifice.

Si Michel Therrien a fait rager les observateurs comme moi au fil des saisons, reconnaissons-lui le mérite d’avoir su faire progresser son équipe malgré tout. Les données publiées sur le site Corsica.hockey nous indiquent que, depuis 4 ans, le Canadien s’est successivement classé 26e, 23e, 10e et 3e pour le taux de possession à 5 contre 5. Cette progression remarquable a été gommée l’an dernier par les performances pitoyables des gardiens de but. Au cours de ces quatre mêmes saisons, les gardiens du Canadien se sont en effet classés 3es, 1ers, 25es et 6es pour le taux d’arrêts relatif au reste de la LNH.

Bref, la fondation était plus que solide. Était-ce la peine, dans ce contexte, de congédier l’entraîneur? Therrien ne faisait pas si mal, mais il avait les défauts de ses qualités. Certes, son équipe était reconnue pour la rigueur avec laquelle elle appliquait le système de « poursuite de rondelle ». Mais cette rigueur était en partie le fait d’un entraîneur qui n’avait que peu de patience pour les joueurs qui ne cadraient pas dans le moule dans lequel l’équipe était coulée.


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Michel Therrien, bref, n’était pas facile à aider. Si son DG trouvait des joueurs talentueux, mais peu habiles à jouer la fameuse poursuite de rondelle, Therrien n’en avait que faire. Ce même conservatisme le menait à privilégier les joueurs d’expérience aux recrues, ce qui a certainement retardé le développement d’Alex Galchenyuk comme joueur de centre. On sentait bien, à regarder Therrien remettre pour une énième fois David Desharnais au centre et Galchenyuk à l’aile, il y a quelques semaines, que ce conservatisme le menait surtout à tourner en rond.

Donc, Therrien passe à la trappe. Le Canadien est une équipe de vétérans qui a des objectifs ambitieux. Ce n’est pas le genre de machine qu’on confie à un entraîneur recrue. Et, parce que l’entraîneur du CH est appelé à alimenter le monstre médiatique qui entoure l’équipe, il doit maitriser la langue française.

Les candidats potentiels ne sont pas très nombreux. Outre Claude Julien, qui peut aujourd’hui prétendre être aussi qualifié pour le poste qu’on vient de lui confier? Guy Boucher vient d’être embauché à Ottawa et Alain Vigneault semble encore bien en selle à New York. Ensuite, on tombe dans le panier des recrues ou de ceux qui, comme Jacques Martin, sont désormais des adjoints.

Des attentes démesurées?

Indépendamment de la disponibilité des uns et des autres, Julien était probablement le candidat le plus qualifié pour remplacer Therrien. On peut comprendre que Bergevin ait décidé de frapper tout de suite. À quoi bon laisser la chance à d’autres?

Est-il déraisonnable d’attendre de ce groupe de joueurs, avec ce nouvel entraineur, qu’ils rapportent la coupe Stanley à Montréal? Si on ne peut les considérer comme favoris, je pense qu’on doit néanmoins les voir comme des candidats sérieux.

Si le groupe d’attaquants ne se compare pas à celui des puissances offensives comme les Penguins de Pittsburgh, ou encore les Capitals de Washington, c’est une tout autre chose pour la défensive.

Bergevin a assemblé au fil des saisons un groupe de défenseurs qui n’a rien à envier aux meilleures formations du circuit. À l’exception d’Alexei Emelin, qui semble perdu ces jours-ci à la gauche de Shea Weber, le reste du groupe ne manque pas de profondeur. Et c’est un noyau qui apporte quelque chose de plus en plus essentiel dans la LNH contemporaine, soit une contribution offensive significative.

Sachant que les 30 équipes comptent sur trois paires défensives à chaque match, on peut grossièrement diviser la contribution offensive des défenseurs de la ligue en tranches de 60 joueurs. Les 60 premiers représentent les défenseurs de première paire, ceux qui se classent entre le 61 et le 120e rang représentent les deuxièmes paires, et ainsi de suite.

Divisée ainsi, on constate que les défenseurs du Canadien se classent très haut. Globalement, ils sont 5e de la LNH pour les points cumulés. Surtout, quatre d’entre eux (Weber, Petry, Markov et Beaulieu) se classent dans le top-60 des marqueurs.

L’apport offensif de la défensive du Canadien ne dépend donc pas des seules prouesses de Shea Weber en avantage numérique.

Figure1

La défensive est, justement, le point fort de Claude Julien. Les dernières saisons n’ont pas été faciles à Boston. Zdeno Chara vieillit et le club a vu des pilliers comme Dougie Hamilton, Denis Seidenberg et Johnny Boychuk partir sur d’autres cieux. Malgré tout, les Bruins se sont avéré l’une des équipes les plus étanches en défensive au cours de cette période.

Figure2

Le système de Claude Julien, la brigade défensive du Canadien, Carey Price. Le temps est compté, mais si on réussit à mettre tout le monde sur la même longueur d’onde, les résultats pourraient être plus que surprenants.

La largeur de la fenêtre

Ce changement d’entraîneur nous force à considérer un dernier élément. Le noyau actuel du Canadien vieillit et on devra bientôt commencer à remplacer des joueurs. Parce que certains perdent en efficacité, mais aussi parce que d’autres seront bientôt en position de demander des salaires plus considérables.

Les chroniqueurs aiment bien souligner que le contrat le plus important sur ce point est celui de Carey Price, qui se termine à la fin de la prochaine saison. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Aujourd’hui payé 6,5 millions $ par saisons, Price ne risque pas d’aller chercher beaucoup plus que ce que demande aujourd’hui Henrik Lundqvist, soit 8,5 millions $ par saison. Sur une masse salariale de 73 millions $, le surplus de 2,3 millions $ n’est pas la mer à boire, d’autant plus que les contrats d’Alexei Emelin (4,1 millions $) et Tomas Plekanec (6 millions $) arriveront aussi à échéance.

Le problème avec le contrat de Price, c’est qu’il arrive après ceux d’Alex Galchenyuk, Nathan Beaulieu et Alex Radulov. Ces trois joueurs seront à la recherche d’un nouveau contrat cet été et tous auront un pouvoir de négociation significatif, parce qu’ils pourront jouir de l’autonomie complète dès le 1er juillet (Radulov) ou d’ici deux ans (Beaulieu et Galchenyuk).

Leur rémunération totale pourrait passer de 9,5 à 14, 15, voire 16 millions $ par saison. Sachant que Bergevin jouit présentement d’un peu plus de 23 millions $ sous le plafond salarial pour l’an prochain, tout ça peut passer sans coincer. Mais il y aura peu de place pour des ajouts significatifs sur le marché des joueurs autonomes, un scénario qui se répètera l’an prochain avec le contrat de Price.

Cela signifie qu’on doit compter sur les espoirs du club pour prendre le relais. L’arrivée de Claude Julien est donc doublement importante. Tout au long de son passage à Boston, Julien a intégré rapidement des jeunes joueurs à son groupe de meneurs, un réflexe qui sera nécessaire à Montréal lors des prochaines saisons.