Alex Ovechkin a connu l’an dernier une saison abominable sur le plan défensif, avec une fiche de -35. Pourtant, au cours des huit premières saisons de sa carrière, il avait cumulé une fiche de +82 ! Sidney Crosby, après une campagne de 104 points et 36 buts, n’a pu faire mieux que neuf points et un maigre filet en 13 matchs éliminatoires, malgré une quarantaine de tirs au but… Et Jordan Eberle ? 74 points à sa deuxième saison, assez pour convaincre les Oilers de lui accorder sur le champ un plantureux contrat. S’il est encore un bon marqueur, il n’a jamais revu ces sommets depuis. On observe le même phénomène à l’échelle des clubs : les Maple Leafs, après avoir été en position de faire les séries pour l’essentiel de la saison, se sont brusquement effondrés au mois de mars. Au printemps 2012, les Kings s’étaient qualifiés de justesse pour le tournoi printanier avant de finir par remporter la coupe Stanley !
À terme, la crème finit par remonter à la surface. Mais dans le détail, parfois même à l’échelle d’une saison, le hockey, sport chaotique et ultrarapide, nous réserve une quantité incroyable de surprises. Et l’on dispose aujourd’hui de plus en plus d’outils pour expliquer le rôle du hasard.
La contribution des nouvelles statistiques
À la manière des autres sports majeurs, le hockey de la LNH a vécu au cours des dernières années sa propre révolution statistique. Sur les sites et blogues spécialisés comme sur les réseaux sociaux, on se réfère, lorsqu’on cherche à estimer le rôle de la chance, du hasard et de ce qui échappe au contrôle des clubs, à un indicateur au nom cryptique : le PDO.
Ces trois lettres ne veulent strictement rien dire — il s’agit d’un simple alias, utilisé pour commenter un billet sur un blogue — et l’indicateur est le fruit d’un calcul tout simple. Cumul du pourcentage d’arrêts et du taux de conversion de tirs en buts, le PDO permet d’évaluer rapidement les vagues de chance et de malchance qui affligent un joueur ou une équipe au cours d’une saison.
Il faut, pour cela, accepter le postulat de base : toutes les équipes, à forces égales, tendent vers un PDO de 100 %. La valeur de l’indicateur repose sur une logique incontournable du hockey : chaque but marqué par une équipe est encaissé par une autre. À l’échelle de la ligue, donc, le taux de succès des tireurs additionné au pourcentage d’arrêts des gardiens de but donne toujours la même chose, soit 100 %.
(Il est commun de s’attarder au seul jeu à forces égales parce qu’il constitue l’essentiel d’un match — plus de 45 minutes par match en moyenne — et parce que le peu de temps passé en unités spéciales rend les données que l’on possède peu fiables pour évaluer ce qui s’y passe sur le plan statistique.)
Certaines équipes ont, par le talent et la tactique, une capacité à tirer la couverte de leur côté. Henrik Lundqvist à New York, Sidney Crosby à Pittsburgh, les frères Sedin à Vancouver ou encore Steven Stamkos à Tampa : ces joueurs peuvent faire augmenter le PDO global de leur équipe. Cependant, dans la majorité des cas, on peut dire que les équipes avec un PDO supérieur à 100 % profitent d’une séquence heureuse, alors que celles dont le PDO est à moins de 100 % sont minées par le hasard ou la malchance.
Lorsqu’on fait une moyenne sur les sept dernières saisons, on constate que la pire équipe à ce chapitre (les Islanders de New York) a obtenu un PDO moyen de 98,4 %. À l’autre extrême, les Bruins de Boston ont atteint un score de 101,5 %. Ces deux chiffres peuvent nous servir de balises : depuis 2007, combien de saisons chaque club de la LNH a-t-il obtenu un score inférieur à la moyenne des Islanders, ou encore supérieur à celle des Bruins ? Le graphique suivant en fait l’inventaire, les clubs étant classés en ordre décroissant de PDO moyen sur sept saisons :

Le tableau ci-dessus dessine trois groupes d’équipes : quelques clubs de tête, quelques clubs médiocres et une vingtaine de clubs constituant le peloton du milieu. Notez au passage l’Avalanche du Colorado, qui oscille entre les saisons catastrophiques et celles bénies des dieux (on y reviendra). Globalement, voyez comment les puissances de la ligue sont généralement absentes du bas du classement, mais ne sont pas nécessairement dans le haut. Outre les Bruins, tous les clubs ont obtenu un score normal pour au moins quatre des sept dernières saisons.
On sait que le PDO est bâti sur deux composantes : l’opportunisme des buteurs et l’imperméabilité des gardiens. Pour mieux comprendre ce qui distingue ces clubs, reprenons ce même classement, cette fois-ci pour chacune des composantes de l’indice :
Pour les performances des gardiens de but, les clubs médiocres se concentrent dans le bas du classement alors que tous les clubs semblent connaitre de manière épisodique des saisons aux extrêmes quant au taux de réussite des tireurs. Lorsque tireurs et gardiens connaissent une excellente saison, un club médiocre peut se glisser en séries (PDO de 102,9 % pour Toronto, lors de la saison écourtée de 2013, ou encore 102,2 % pour le Colorado, l’an dernier).
Reste que ces trois premiers graphiques révèlent un premier élément intéressant : si les performances des différents clubs se ressemblent (25 des 30 clubs affichent sur 7 ans des PDO entre 99 % et 101 %), les performances des tireurs sont beaucoup plus inégales que celles des gardiens de but. C’est normal; les gardiens sont peu nombreux et lorsqu’un d’entre eux faillit à la tâche, il est vite remplacé.
L’impact du PDO sur le rendement d’une équipe
À l’échelle d’une saison complète, l’effet des pourcentages cumulés se fait souvent sentir à travers des séquences heureuses ou malheureuses que connaît une équipe. Les deux dernières saisons du Canadien en sont d’excellents exemples.
Le trio de graphiques suivant montre l’évolution des pourcentages d’arrêts et de réussite des Montréalais au cours de la saison écourtée de 2013, ainsi que le différentiel de buts marqués à 5 contre 5, sur une moyenne de 10 matchs et sur le total de la saison. Les résultats sont éloquents. Cette édition du CH a obtenu pas moins de 53 % des tirs à forces égales, ce qui lui a permis de limiter les possibilités offertes à l’adversaire d’exploiter de potentielles faiblesses chez ses gardiens.

On le voit bien à la fin des trois graphiques : même si le taux d’arrêts a plongé rapidement en fin de saison, le taux de réussite s’est maintenu autour de la moyenne de la ligue et le club a réussi à redresser la barre, marquant au total 21 buts de plus qu’il n’en a accordé à 5 contre 5.
La saison 2013-2014 a montré, elle, un visage tout à fait différent. Sachant que le noyau du club est resté intact, ça n’est pas peu surprenant.

Globalement, l’édition 2013-2014 du CH a obtenu un peu plus de 47 % des tirs au filet à forces égales. Cette chute a été largement amortie par le retour en force des gardiens montréalais, dont le taux d’arrêts est passé de 0,918 à 0,928. On constate aussi un rebond spectaculaire de l’efficacité des tireurs en fin de saison, dopée notamment par la formidable séquence du trio Desharnais/Pacioretty/Vanek. Mais en cours de saison, sitôt que le rendement des gardiens a décliné, on voit que le club a piqué du nez et a donné plus de buts qu’il n’en a marqué. À près de 15 % d’efficacité, la séquence heureuse des tireurs ne pouvait durer.
Disons les choses simplement : moins un club a l’avantage des tirs, plus il dépend des performances de ses meilleurs éléments. Parce que le Canadien de 2013-2014 concédait plus de tirs qu’il n’en obtenait (lorsque Pacioretty, Desharnais, Price ou encore Vanek connaissaient un passage à vide), tout le club en souffrait.
L’impact du PDO sur le rendement d’un joueur
Ce qui est vrai pour une équipe l’est encore plus pour un joueur. Ici, c’est Lars Eller, le centre du Canadien, qui nous servira de cas d’école. Après une saison 2013 annonçant enfin un déblocage offensif (30 points en 46 matchs), Eller a semblé régresser en 2013-2014, n’accumulant que 26 points en 77 matchs, ce qui a rendu d’autant plus surprenant son réveil offensif des récentes séries (13 points en 17 matchs). Lorsqu’on regarde le détail de ces deux campagnes, les choses s’éclaircissent :

En 2013, l’équipe a accaparé 48 % des tirs au but lorsqu’Eller était sur la glace et, outre un passage à vide, un nombre important de tirs ont été convertis en buts. Notons aussi qu’Eller a bénéficié, en général, d’excellentes performances de la part de ses gardiens de buts.
En 2013-2014, le portrait a changé du tout au tout.

Annus horribilis ! Lorsqu’il était sur la glace à 5 contre 5, le taux de conversion du club est passé de 11,4 % en 2013 à 6 % en 2013-2014, et les gardiens du CH, intraitables en sa présence en 2013 (0,930 d’efficacité) sont devenus franchement médiocres l’année suivante (0,910 !). Le différentiel de buts marqués d’Eller, le +/-, a donc plongé de façon abrupte et irréparable. Eller est-il soudainement devenu si mauvais (à 25 ans !) qu’il aurait soudainement eu un impact négatif sur tous les pourcentages, sitôt qu’il mettait le patin sur la glace ? Il y a lieu d’en douter. Entre l’horrible PDO de 96,6 % obtenu lors de la saison régulière et celui, non moins intenable, de 102,9 % obtenu en séries, on voit l’impact que les variations de pourcentage peuvent avoir sur l’idée qu’on se fait du travail d’un joueur.
En savoir plus, mieux comprendre
Au bout du compte, si on voit l’analyse statistique prendre désormais de plus en plus de place au hockey, c’est qu’elle permet de distinguer ce que les joueurs et les entraineurs contrôlent vraiment. À l’échelle d’un match comme d’une saison, d’une équipe comme d’un joueur, la nature chaotique du hockey rend les résultats extrêmement variables.
L’apport fondamental du PDO, c’est de permettre de situer dans quelle mesure le hasard a des conséquences sur les résultats et ainsi de mieux situer nos attentes.
Surtout, il nous permet de mieux voir à quel point, parce que les pourcentages échappent largement à leur contrôle, les joueurs et les équipes ont intérêt à concentrer leur attention sur ce qu’on appelle la possession de la rondelle. Encore là, les nouvelles statistiques sont riches en indicateurs, dont les principaux ont encore ici des noms curieux : Fenwick, Corsi, zone starts, ajustements au pointage… C’est le contrôle exercé (ou non) sur ces paramètres qui permettent aux bons clubs d’échapper aux aléas du hasard.
L’une des questions qu’on pourrait peut-être se poser, serait encore de savoir si le hasard existe vraiment et dans ce cas, de quoi sont faites les composantes du hasard. Est-il si aléatoire que cela ? Comme au hockey, il faut au moins deux équipes pour pouvoir danser. Ce hasard touche probablement également les deux équipes en même temps.
Dans ce cas, ce qui se produit dans une partie, n’est plus totalement l’effet du hasard. Il sera heureux pour l’un… tandis que pas pour l’autre, ou bien il se répartira également. Tout est à recommencer à chaque match et avec une autre équipe.
Dans le sport en général et dans le sport professionnel en particulier, nous savons que le facteur « blessures » qui n’est peut-être pas le fruit du « hasard » tant que ça… Qu’il devient un facteur à considérer dans cette couche d’abstraction qu’est le PDO. Toutes les équipes ont intérêt à être en santé et à le rester.
Nous savons notamment qu’un des aspects du succès exceptionnel de Boston en particulier, c’est sa robustesse, comme la relative permissivité des dirigeants de ce club à appliquer et faire appliquer ce jeu robuste par leurs joueurs. Ce facteur blessure, est en plus une blessure psychologique pour toute une équipe, lorsque ses bons ou meilleurs éléments sont blessés, tout cela entrera probablement en ligne de compte dans la tenue de toute une saison et permettra à l’agresseur de prendre l’ascendant sur ses adversaires présents et futurs.
Ainsi lorsqu’on prend le cas de Lars Eller, on comprend que probablement l’environnement général d’un joueur et le climat de confiance peuvent être des facteurs importants dans la réussite globale d’une équipe, comme cela entrera probablement en compte dans les séquences positives des meilleurs éléments. Le hockey n’est-il pas (comme d’autres sports d’ailleurs) un jeu d’erreurs ?
En d’autres mots, une équipe a d’autant plus de chance de s’ouvrir les voies de la réussite, lorsqu’elle ne faute pas. Hors ne jamais en commettre (des fautes), c’est de loin l’exercice le plus difficile, c’est ce qui permet de faire la différence (selon moi) entre les meilleures équipes, tout comme ses meilleurs éléments.
Quoique l’analyse est fort intéressante, il ne faut pas perdre de vue que le PDO n’est qu’un estimation basée sur seulement 2 paramètres (ratios arrêts/tirs et buts/tirs et qu’on ne peut s’en servir pour prédire le futur (ce qui va se passer en séries éliminatoires par exemple). Autrement dit, un PDO élevé durant la saison régulière ne signifie pas nécessairement que l’équipe a plus de chances de remporter la coupe Stanley. Au cours des 3 dernières années, les Kings de L.A. ont remporté 2 coupes Stanley, et ce malgré un piètre PDO en saison régulière. Il aurait été intéressant de mesurer le PDO lors des séries éliminatoires. On aurait ainsi pu constater par exemple une baisse marquée du PDO en séries pour les Sharks de San Jose. Ceci étant dit, il y a tellement d’autres facteurs difficiles à mesurer qui influencent le hasard. On n’a qu’à penser par exemple à la venue d’un nouvel entraîneur (Patrick Roy avec le Colorado), aux blessures et à la profondeur d’une équipe, aux heures passées dans les avions, à la pression médiatique et à l’environnement (il y a une différence entre jouer à Montréal ou à Phoenix), la passion, l’intensité, l’émotion, etc… Bref, s’il est vrai que le hasard peut influencer l’issue d’un match, il est raisonnable de croire que sur une longue saison de 82 matchs, les équipes ayant un bon système de jeu et du talent se classeront toujours dans le peloton de tête.