
C’est un fait rappelé par chacun des adversaires des Capitals de Washington : leur avantage numérique, articulé autour du duo infernal composé de Nicklas Backstrom et Alex Ovechkin, est un des meilleurs de la ligue. Mais si tous les adversaires savent qu’on ne doit sous aucun prétexte laisser l’un refiler la rondelle à l’autre, comment font-ils pour continuer à exceller ? Parce qu’on réussit, depuis maintenant quelques années, à s’ajuster continuellement en raffinant une recette éprouvée.
Soulignons que l’avantage numérique des Capitals, s’il est animé par ce tandem depuis la saison 2008, n’a pas toujours dominé. Il a excellé de 2008 à 2010, avant de connaitre des ratés entre 2010 et 2012, mais à partir de la saison écourtée de 2013, les choses repartent en grande. Le tableau suivant nous le montre et permet de souligner à quel point les entraineurs ont un impact important sur les succès d’un club en supériorité numérique.
Capitals | Ovechkin | Backstrom | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
Saison | Buts | Rang | Buts | Rang | Passes | Rang |
2008-2010 | 162 | 1er | 32 | 3e | 54 | 1er |
2010-2012 | 85 | 27e | 20 | 15e | 41 | 18e |
2013-2015 | 166 | 1er | 62 | 1er | 81 | 1er |
Bruce Bourdreau, qui dirige les Capitals de 2008 jusqu’au mois de novembre 2011, est à la fois le maitre d’œuvre des succès initiaux du club et celui qui torpille éventuellement cette formidable machine à marquer des buts. Dale Hunter, qui prend la relève pour le reste de la saison 2011-12, ne fait guère mieux.
C’est Adam Oates qui, en 2013, remet tout le monde dans le sens des poutres et installe une façon de faire de laquelle l’équipe n’a pas dérogé depuis. Une simple comparaison tirée du site sportingchart.com nous indique la nature du changement apporté par Oates. Alors qu’on demandait avant à Ovechkin de tirer d’un peu partout, on lui confie désormais un rôle beaucoup plus ciblé.


La chose est d’autant plus saisissante lorsqu’on regarde des extraits vidéos de l’avantage numérique des Capitals : les hommes de Barry Trotz ne sont pas simplement prévisibles, ils ne dévient jamais de leur patron de jeu, qui gravite tout entier autour du capitaine de l’équipe.
Ovechkin décoche cette saison plus de 40 % des tirs de son club avec l’avantage d’un homme, en plus d’être présent pour 80 % du temps passé par l’équipe dans cette situation. Juché au sommet du cercle de mise en jeu ou glissant à l’embouchure du filet, toujours du côté gauche pour maximiser l’impact de son excellent tir frappé, statistiquement, Ovechkin est le jeu de puissance des Capitals.
Le chroniqueur Justin Bourne analysait à la fin de l’été ce fameux jeu de puissance. Bourne décrit bien comment les Capitals utilisent depuis trois ans une disposition dite 1-3-1 lors des attaques massives : un joueur devant le filet, un joueur à la pointe, et trois joueurs en ligne face aux points de mise en jeu.

Le nouvel entraineur des Capitals, Barry Trotz, n’avait pas besoin de réinventer la roue, mais il a réussi à renouveler ce schéma et à le rendre encore plus efficace. On utilise encore le 1-3-1, mais on a décidé de ne plus systématiquement planter un joueur devant le filet. Trotz a donc remplacé Joel Ward, un attaquant robuste qui se parque devant le gardien adverse, par Marcus Johansson, un fabricant de jeu. Si Johansson va toujours devant le filet (notamment lorsque Ovechkin ou le défenseur John Carlson tire), il se tient généralement dans le coin droit de la patinoire et effectue de constantes permutations avec Nicklas Backstrom.
Ce qu’il y a de remarquable dans cette façon de faire, c’est qu’Ovechkin ne touche pour ainsi dire jamais à la rondelle. Il tire, sinon il renvoie la rondelle dans le coin droit, d’où on réorganise la prochaine menace.
L’image ci-dessous montre cette nouvelle disposition.
La ligne rouge représente la «royal road», le chemin du roi. Concept élaboré par l’ancien gardien Steve Valiquette, cette ligne droite qui sépare la patinoire en deux est d’une importance primordiale. Les meilleures chances de marquer sont celles obtenues lorsqu’on réussit à tirer sur réception d’une passe ayant traversé le chemin du roi. Un aussi grand déplacement de la rondelle fait en sorte que le tir sur réception, même s’il n’est pas puissant, donne un immense avantage au tireur.
Ovechkin, on le voit bien, est le seul joueur des Capitals à se tenir du côté gauche du chemin du roi, alors que ses coéquipiers cherchent, par leurs échanges de rondelle, à lui donner l’occasion de décocher un tir sur réception. On dispose ainsi de trois avenues différentes pour alimenter Ovechkin.
Par la pointe :
Du milieu de la patinoire (notez comment Ovechkin ne cherche même pas à contrôler la rondelle en territoire ennemi en début de séquence, il l’envoie directement dans le coin droit puis s’installe à son poste, d’où il enfonce, deux fois plutôt qu’une, un puissant tir sur réception) :
Du coin de la patinoire :
Ovechkin, dans toutes ces situations, ne contrôle pour ainsi dire jamais le disque. Il maraude, cherche la ligne de passe, sinon à se faire oublier. Dans l’extrait suivant, il reste stationnaire jusqu’au dernier moment :
Des 22 buts marqués par Ovechkin sur l’avantage numérique, 17 ont été marqués à la suite de passes ayant traversé le chemin du roi. Neuf de ces passes provenaient de la pointe, quatre du milieu de la patinoire et quatre du coin. Quinze de ces 17 buts ont été le produit d’un tir sur réception.
Bref, on promène constamment la rondelle entre quatre joueurs, attendant patiemment la ligne de passe qui permet au meilleur buteur de sa génération de convertir des chances de marquer d’une qualité exceptionnelle. Et parce qu’on lui accorde tant d’importance, encore et encore ses coéquipiers trouvent, au fil des matchs, le moyen d’ajouter leur contribution. Un véritable travail d’équipe, où tous ont un rôle précis à remplir.