Le golf cherche son salut

Un petit neuf trous en famille ? Les clubs de golf se lancent en mode séduction auprès des parents pour repeupler leurs verts.

(Photo : iStockPhoto)

Cet été, partez à l’aventure dans les archives de L’actualité pour (re)découvrir les grands classiques estivaux du Québec

Le manque de temps, la popularité de nouveaux sports et le vieillissement de la population frappent durement l’industrie du golf. Le sport de Tiger Woods peut-il se sortir de la trappe de sable dans lequel il s’enlise depuis 2008 ?

Quels parents ont encore cinq heures de libres un samedi pour jouer au golf ?

La réponse — évidente, direz-vous — à cette question, c’est la pierre angulaire de la nouvelle stratégie de l’industrie du golf : inviter toute la famille sur les verts !

Les boys’ club que sont les clubs de golf — ne me lancez pas vos bâtons, 70 % des joueurs sont des hommes — ont pendant longtemps limité grandement, sinon refusé, la présence d’enfants. Alors que la nouvelle génération de pères veut passer plus de temps en famille, ils effectuent un virage à 180 degrés. « Des clubs envisagent même l’ouverture de garderies », dit François Roy, directeur général adjoint de Golf Québec, la fédération qui fait la promotion de ce sport à tous les niveaux.

Les clubs n’ont guère le choix, explique-t-il. La crise économique de 2008, la concurrence des autres loisirs, l’image persistante de snobisme associée à ce sport, notamment, font mal.

Pour attirer papa, maman et leurs héritiers, Golf Québec entame sa séance de séduction dès l’école primaire ! La fédération propose en effet depuis quelques années des initiations dans plus de 600 établissements scolaires, en fournissant équipement et programme de formation aux professeurs d’éducation physique. Sur le terrain, des clubs offrent des parties gratuites pour les 7 à 12 ans, qui jouent en compagnie d’un adulte, et aménagent des tertres de départ plus rapprochés des trous. « On voit aussi de plus en plus l’éclosion de camps de jour dans les golfs en période estivale », affirme François Roy.

Certains, comme le Parcours du cerf, à Longueuil, ont aussi innové avec un parcours de 12 trous, qui se joue en 2 heures 30, une formule mitoyenne entre les traditionnels 9 trous, jugés trop courts, et les 18 trous, trop chronophages. D’autres, comme le Golf Le Mirage, à Terrebonne, ont assoupli leur code vestimentaire, en permettant notamment les chaussettes courtes. Presque partout, les jeans sont désormais admis au pavillon (le club house) — rarement sur les verts. Des clubs ont aussi revu leurs tarifs à la baisse ou font des promotions. « Auparavant, les golfs n’avaient pas besoin de diminuer les prix. Ils étaient déjà au maximum de leur capacité », indique François Roy.

En ce début de mai, par un beau mercredi, les golfeurs se font rares au club Hemmingford, près de la frontière américaine. Avec les pluies des dernières semaines, le gazon est vert comme en Irlande. Mais le sol gorgé d’eau ne permet pas le passage des voiturettes sur le terrain. « Sans cart, beaucoup de golfeurs ne se déplacent pas pour jouer », m’explique Denis Menegazzo, propriétaire de ce parcours de 36 trous, en pestant contre le printemps pluvieux. Une partie de 18 trous implique de sept à huit kilomètres de marche, et à Hemmingford comme ailleurs, passé un certain âge, les golfeurs rechignent à fournir un tel effort physique.

Cette anecdote met en lumière la nouvelle réalité de ce sport qui a pris son essor en Écosse au milieu du XIXe siècle : le vieillissement des adeptes. Même sans statistiques sur l’âge moyen, la domination des têtes grises sur les verts ne fait guère de doute pour l’industrie. « Inversement, on voit très peu les nouvelles générations sur les parcours », dit Daniel Rochon, vice-président de la Division de l’Est de l’entreprise Resorts of the Canadian Rockies, propriétaire du club de golf Le Grand Vallon, au pied du mont Sainte-Anne.

Le nombre de joueurs se maintient au Québec depuis une douzaine d’années — un million d’adeptes —, mais ceux-ci sont de moins en moins assidus. Ils ont joué 6,8 millions de parties en 2013, en baisse de 20 % par rapport à 2011, et de 25 % par rapport à 2004. « Plutôt que de prendre part à 12 ou 15 parties par année, ils en jouent la moitié », explique Louis-Philippe Desjardins, président de l’Association des clubs de golf du Québec (ACGQ).

« Des clubs envisagent même l’ouverture de garderies », dit François Roy, directeur général adjoint de Golf Québec.

Puis est arrivée la crise économique de 2008. Jugé onéreux, le golf en a pris pour son rhume. Le désintéressement a contribué à la diminution des tournois d’entreprises, ancienne vache à lait des clubs. L’activité est aussi devenue une victime collatérale de la commission Charbonneau, qui s’est penchée sur les liens entre les contrats publics et le financement des partis politiques. « Les élus municipaux n’organisent plus aucun tournoi, un coup difficile pour les clubs en région », affirme Denis Menegazzo.Il y a 20 ans à peine, le golf québécois connaissait son âge d’or. Des parcours neufs ouvraient, et des clubs privés étaient forcés de refuser de nouveaux membres en raison de la fréquentation. Les exploits du jeune Tiger Woods attiraient l’attention des médias. L’avenir s’annonçait plus vert que jamais.

En matière de golf, le Québec n’est pas une société distincte. Partout, ce sport perd de son élan, avec 10 millions de joueurs en moins depuis 2008, rapporte le quotidien britannique The Guardian. Et pendant que les revenus chutent, les exigences des golfeurs augmentent. « Ils veulent des terrains aussi beaux qu’à la télé, ce qui provoque une hausse des coûts d’entretien », dit Louis-Philippe Desjardins, ex-directeur général du Mount Bruno Golf Club, un des clubs privés les plus sélects du Canada.

En quelques années seulement au Québec, de nombreux clubs, principalement  publics, ont fermé boutique, dont ceux de Brossard, Saint-Hyacinthe*, La Prairie, Saint-Laurent-de-l’Île-d’Orléans. Des dizaines d’autres luttent pour leur survie. « Une blague circule dans le milieu, qui dit que tous les terrains du Québec — il y en avait 349 au dernier décompte, en 2011 — sont à vendre ! Car pendant que la rentabilité diminue, la valeur des terrains explose. Difficile de ne pas succomber à la tentation de vendre à un promoteur immobilier », soutient Louis-Philippe Desjardins.

Le regroupement qu’il dirige, l’Association des clubs de golf du Québec, unit les forces de l’Association des propriétaires de terrains de golf du Québec et de l’Association des directeurs généraux de golf. Malgré cette union, le secteur demeure très morcelé, contrairement au monde du ski alpin, par exemple, où l’Association des stations de ski du Québec regroupe tous les centres, qui parlent ainsi d’une même voix.

L’ACGQ et Golf Québec en conviennent : l’hécatombe dans les clubs continuera si la stratégie « famille » échoue. Et la partie est loin d’être gagnée. « Les jeunes adultes préfèrent les sports qui contribuent à la mise en forme, comme le vélo et la course à pied, dans un contexte où leur temps de loisir est de plus en plus limité », croit Simon Marinier, qui a été directeur du club de golf Fort-Prével, en Gaspésie, pendant neuf ans.

La « reconquête s’annonce difficile », révélait d’ailleurs une étude menée en 2013 pour le compte de Golf Québec. Entre autres parce que ce sport apparaît « toujours comme intimidant ». Le fait qu’il soit redevenu une discipline olympique à Rio en 2016, après 112 ans d’absence, aidera peut-être à le démocratiser…

Avec sa nouvelle orientation famille, le golf réussira-t-il le coup parfait ou est-ce trop peu trop tard ? À suivre.

*NDLR: Il est à noter que le Club de golf Saint-Hyacinthe est toujours ouvert. Celui qui a fermé ses portes dans cette ville est le club La Providence.