Jacques Demers est un être très optimiste. En début de saison, avant même qu’elle commence, il avait dit : « We are gonna shock the hockey world » [surprendre tout le monde].
Serge Savard avait fait une job incroyable pour bâtir cette équipe-là. Quand il a échangé Shayne Corson et deux autres fêtards contre Vincent Damphousse, en 1992, ç’a changé la donne complètement.
Ça faisait 10 ans que j’étais en poste. J’ai toujours aimé bâtir l’équipe par la base, par des choix de repêchage. Et j’ai pu améliorer l’équipe avec quelques échanges, comme celui de Damphousse. Même chose pour Brian Bellows avant le début de la saison : il ne voulait pas jouer à Montréal. Jacques et moi, on est allés le rencontrer pour le convaincre qu’il devait venir. Finalement, s’il n’avait pas dit oui, il n’aurait probablement jamais gagné la Coupe Stanley.
J’étais à ma quatrième saison dans la Ligue nationale, ç’a été la meilleure de ma carrière. La saison a eu des hauts et des bas, des hauts très hauts — à un moment, on a enchaîné 12 parties sans défaite, on était l’équipe no 1 de la Ligue nationale. Mais à la fin de la saison, on n’a pas connu nos meilleurs matchs.
On avait mal terminé la saison cette année-là. Je pense qu’on avait gagné deux matchs sur les neuf derniers.
Il y avait eu un petit relâchement, mais on avait des gars avec beaucoup d’expérience, qui avaient déjà gagné la Coupe en 1986. Moi, j’allais avoir 24 ans, c’était ma cinquième saison dans la Ligue nationale. Je commençais à être établi.
Il restait deux parties à la saison quand on s’est présentés au Forum pour un entraînement. Le vestiaire était barré, et Jacques nous a emmenés au banc des joueurs. Les lumières étaient fermées. Il nous a parlé de la grande tradition du Canadien, nous a montré les bannières et a parlé de la fierté qu’on devait avoir de jouer pour ce club-là.
Il nous a fait asseoir sur le banc et nous a dit : « Regardez en haut toutes les bannières de la Coupe Stanley. Cette année, il y en a une qui va s’ajouter. »
Par la suite, il nous a conduits au salon du Président, qui était en face de notre vestiaire. On a eu une réunion où il nous a brassés. Nos chandails pour les séries y étaient accrochés. Pour rentrer dans le vestiaire, il fallait enfiler notre chandail et promettre de jouer avec fierté. C’est ce qu’on a tous fait. C’était la façon de Jacques de faire passer son message. On n’a pas gagné tous nos derniers matchs, mais ç’a été le début d’un déclic.
On avait quand même fini l’année avec 102 points, ce qui n’était pas loin d’un championnat de division. Québec en avait 104, et Boston avait fini premier avec 109 points. Ce serait prétentieux de dire que je savais qu’on allait gagner la Coupe Stanley. Mais on était très compétitifs. « Shock the world », c’était pour créer l’atmosphère.
Quelques jours après, Jacques est arrivé avec une petite carte, avec un message écrit dessus : « We are on a mission. We are making a team commitment in 1993. » [Nous sommes en mission. Nous avons un engagement envers l’équipe pour 1993.] Notre numéro était inscrit sur la carte. On devait l’avoir en notre possession en tout temps, il pouvait nous la demander à tout moment. Si on ne l’avait pas, on pouvait être mis à l’amende.
C’était pour nous responsabiliser en tant qu’équipe. Je l’ai encore dans une de mes boîtes-souvenirs. Une fois, Gilbert Dionne a demandé à Jacques s’il l’avait… et il ne l’avait pas ! Alors il a dû payer l’amende de 50 dollars. C’était un truc pour souder les gars ensemble.
Je n’ai jamais oublié de la porter. Sinon, j’aurais eu l’impression d’avoir laissé tomber mes coéquipiers. Ça peut avoir l’air niaiseux, mais quand t’arrives dans les séries éliminatoires, faut qu’il n’y ait rien d’autre. Chaque fois que tu fouillais dans tes poches ou que tu t’habillais pour te rendre à l’aréna, déjà, tu pensais au match, à l’entraînement, à tes coéquipiers. Des attentions comme ça d’un staff d’entraîneurs te font sentir que tu vis quelque chose de spécial.
Ça faisait garder la concentration. Si quelqu’un se faisait prendre sans sa carte, c’est qu’il n’était pas « focus » !
Une chanson était venue avec ça. « Nothing’s Gonna Stop Us Now », du groupe Starship. Bon, on était des professionnels, on trouvait ça un peu drôle comme approche au début, ça faisait un peu junior. Mais au fur et à mesure que les séries avançaient, la petite carte a pris valeur de symbole. Tout le monde a fini par embarquer dans les croyances de Jacques. C’était un bon père de famille qui avait notre bien à cœur. On ne voulait pas le décevoir.
« Nothing’s Gonna Stop Us Now », that’s right ! Ça, on mettait ça chaque fois avant d’embarquer sur la glace.
Si tu penses à ça maintenant, ça fait un peu cucul. Mais je pense qu’au fond, tout le monde cherche à sentir qu’il appartient à un groupe, qu’il va se défoncer pour lui. Quand la « toune » partait, c’était ça.
C’était différent à l’époque : tu jouais les deux premières séries contre ta division. Alors on connaissait très bien les autres équipes. On savait qu’en affrontant les Nordiques, il y aurait beaucoup d’émotion. Surtout qu’on avait beaucoup de Québécois dans l’équipe.
Les Nordiques avaient eu toute une saison, c’était vraiment l’équipe favorite pour gagner la Coupe cette année-là, ils avaient le vent dans les voiles.
Ils étaient favoris contre nous. Ils avaient fini seulement deux points devant nous, mais ils étaient considérés comme une meilleure machine offensive.
Bon nombre ne souhaitaient pas qu’on rencontre Québec, mais notre devise, c’était : on ne choisit pas nos adversaires. On les prend comme ça vient.
À Québec, on avait bâti l’équipe en deux ans. La troisième année, on était prêts à gagner. Ç’a été la meilleure saison de Mats Sundin dans la LNH, la meilleure de Steve Duchesne, de Mike Ricci, d’Owen Nolan et d’Andrei Kovalenko. On aurait pu gagner la Coupe. Sauf qu’il aurait fallu que je fasse un ou deux échanges avant la fin de la saison, et je ne les ai pas faits. C’est ça qui aurait changé les choses.
La rivalité, on la ressentait. Il y avait des chicanes de famille chez les fans, parce que certains prenaient pour les Nordiques et d’autres pour les Canadiens.
C’est sûr qu’il y avait une pression additionnelle sur les deux clubs en raison de la rivalité. Mais d’un autre côté, jouer contre les Nordiques était un beau défi : tout le monde voulait voir cette série-là. On était prêts mentalement. Je ne suis pas convaincu qu’au niveau du jeu on était prêts à 100 %. Mais le fait d’affronter les Nordiques, ça nous donnait un petit boost.
La rivalité, c’était une question de vie ou de mort, être des héros ou des zéros. Je pense que si on avait gagné seulement huit matchs dans la saison, mais tous contre les Nordiques, on aurait été pardonnés pour toutes les autres défaites ! Alors, imagine en séries, ça montait d’un cran. C’était des matchs qui m’allumaient.
Durant le premier match, on a assez bien joué, et je pense qu’on a eu les meilleures chances en prolongation. On aurait dû gagner ce match-là.
C’est en raison d’une très mauvaise punition de Gilbert Dionne dans la zone adverse, derrière le but, en fin de troisième. On était en avance, mais ç’a donné un jeu de puissance à Québec. Ils ont égalisé, puis ils ont gagné en supplémentaire. On s’en allait vers une victoire et on l’a perdue.
Je me souviens, c’est Scott Young qui a marqué le but en prolongation.
Pour ce qui est de la confiance, ça ne nous a pas mis à terre, mais ça nous a fait mal. Et le deuxième match a été plus difficile, on a perdu 4-1. Dans le vestiaire, tu pouvais entendre une mouche voler.
2-0 pour les Nordiques. C’était incroyable. Et pourtant, avant le deuxième match, Jacques Demers était allé à Sainte-Anne-de-Beaupré prier pour la victoire dans la série.
Ils nous ont battus dans les deux premiers matchs avec beaucoup de conviction.
Même si on avait perdu les deux premiers matchs, j’étais encore convaincu qu’on gagnerait. J’ai rencontré le club à Québec après le deuxième match et ç’a été une réunion très positive.
Daniel Bouchard, l’entraîneur des gardiens chez les Nordiques, avait déclaré le lendemain du deuxième match : on a trouvé la faille de Patrick Roy. Ça, c’était pas une bonne idée.
C’était sous-estimer Patrick Roy que de faire une telle déclaration ! Si tu lui envoies une critique comme ça, il va l’utiliser pour se motiver. C’est un athlète comme ça. Bouchard l’a peut-être réveillé en disant ça.
On m’a raconté que Patrick Roy, le gars de Québec, a dit : « Ça suffit ! On va gagner. Mettez-en une dedans et je vais toutes les arrêter. Inquiétez-vous pas, ça rentrera plus, mais mettez-en une dedans. »
On avait quand même une équipe assez jeune, avec Stéphan Lebeau, Patrice Brisebois, Kevin Haller, Paul DiPietro et moi. On était stressés. Mais les leaders qui avaient plus d’expérience ont réussi à nous calmer et à nous redonner confiance.
Quand on est revenus pour le premier match à Montréal, j’ai pris un taxi avec Vincent Damphousse. Le chauffeur de taxi haïtien nous avait dit : « Vous êtes mieux de pas perdre, parce que ça va mal aller ! » Perdre une série, c’est une chose, mais contre les Nordiques, ç’aurait été inacceptable.
Jacques était un entraîneur extrêmement positif. Il y avait un changement de culture par rapport à Pat Burns, qui était un peu plus bourru. Jacques, c’était beaucoup plus l’approche familiale, positive. Mais il ne passait pas par quatre chemins pour autant s’il avait quelque chose à nous dire. Je me souviens qu’au troisième match, avant qu’on saute sur la glace au Forum, il ne s’était pas gêné pour nous faire savoir qu’on avait intérêt à être prêts.
Je me souviens surtout que ç’aurait pu aller d’un bord comme de l’autre. Ç’a été la série la plus difficile cette année-là.
Au troisième match, le gardien Ron Hextall a paniqué parce que Mario Roberge s’était installé sur le point de mise en jeu au centre de la glace pendant la période d’échauffement. Et lui avait l’habitude d’aller toucher au point rouge. À partir de ce moment, tout a semblé les déranger. Nous, c’est le contraire : au lieu d’être dérangés, on s’est soudés.
Notre troisième match, on l’a gagné à Montréal en prolongation, 2-1.
J’ai marqué un but en prolongation, mais il a été refusé parce que j’avais touché la rondelle avec le bâton trop haut. C’est Vincent Damphousse qui a marqué le but par la suite.
Je me rappelle qu’on menait la série 2-0, mais ce match-là, je ne m’en souviens plus. J’ai essayé d’oublier bien des choses de cette année-là, parce qu’on aurait dû gagner. On avait une meilleure équipe, nos jeunes avaient beaucoup d’énergie. On aurait dû, mais… C’est pour ça qu’on dit toujours : si la meilleure équipe gagnait tout le temps, on n’aurait pas besoin de jouer !
C’est sûr que le stress restait : si on perdait le quatrième match, ce serait 3-1, on s’en retournerait à Québec et la série pourrait se terminer. Il y avait donc une pression. Finalement, on a bien géré ça. Pis l’autre chose qui avait changé, c’est notre gardien de but. Je me souviens d’un arrêt dans le match 3 ou 4 sur un tir de Scott Young, qui avait fait le tour du filet. Patrick a sorti sa jambière droite pour l’arrêter. Il a été exceptionnel. Il y a des arrêts clés qui ont fait qu’on a repris confiance en nos moyens.
On a bien joué nos deux premiers matchs à domicile pour égaliser la série. Pendant qu’on mettait un doute dans la tête des Nordiques, notre confiance a commencé à grandir.
Après le quatrième match, on savait qu’on s’était replacés. Avec le recul, du côté de Québec, je crois que plutôt que de se raccrocher à quelque chose, ils ont craqué.
Le match 5 à Québec, on a gagné 5-4. C’est là que Patrick a reçu un lancer sur une épaule. Il n’était plus capable de bouger son épaule, il a fallu qu’il quitte le match. C’est André Racicot qui est venu devant le filet. Puis, au milieu de la deuxième période, Patrick est revenu.
Notre équipe s’est regroupée. Et les joueurs ne doutaient pas de notre victoire.
J’oublierai jamais Pierre Pagé qui engueule Mats Sundin à la fin du sixième match. Moi, j’ai jamais revu une engueulade comme ça sur un banc des joueurs. Jamais. Ç’a probablement été un tournant. Et ç’a nui à sa carrière.
À un moment donné, tout allait bien, pis bim ! il a moins bien joué défensivement. Je me suis fâché au mauvais moment. C’est une erreur que j’ai faite, c’est sûr. J’aimais tellement Mats Sundin, j’aurais pas dû faire ça. J’ai fait quelque chose que j’ai regretté. J’ai appris de ça.
C’est jamais bon quand un entraîneur fustige un joueur en public.
Pagé n’a jamais été très friendly. C’est un drôle de gars. La grande déception de sa vie, c’est cette défaite-là. S’il avait gagné, ç’aurait été complètement différent pour sa carrière. Ça se joue sur peu, des fois. Les joueurs du Canadien ont été polis et n’ont pas fêté trop fort, parce qu’ils savaient que pour Québec, c’était désastreux.
Après la défaite, j’étais plus fâché qu’autre chose. On était meilleurs que Montréal cette année-là. Mais Patrick Roy, qui avait une moyenne de 3,20 en saison, était à 2,13 pendant les playoffs. C’est ça qui a changé la donne.
Ç’a été une série éprouvante, mais enrichissante en même temps. On a battu les Nordiques, mais vivre autant d’adversité nous a surtout fait grandir. Ç’aurait pu être un piège, on aurait pu se contenter de dire : on a battu nos rivaux, et s’en satisfaire. Mais au contraire, ça nous a préparés pour le reste des séries. Ç’a été un tremplin pour s’élever à un autre niveau.
Il y a un facteur chance qui s’est créé. À l’époque, ça faisait un bout que les Bruins avaient le dessus sur nous en séries : ils nous avaient battus lors des trois dernières années. Le fait que Buffalo les ait battus, je pense que ça nous a donné un coup de pouce. On aurait été capables de battre les Bruins, mais psychologiquement, on est rentrés dans la deuxième ronde avec une plus grande confiance.
La deuxième série contre Buffalo, on l’a gagnée en quatre matchs, mais tous les matchs ont été gagnés par la marque de 4-3. Ç’a été très serré, quand même. Les joueurs ont tous été très forts. La chose la plus importante, c’est de convaincre tes joueurs qu’ils peuvent gagner.
C’était complètement différent comme attitude après les Nordiques. Il y avait un stress, mais ce n’était rien de comparable. C’est peut-être ce qui a fait qu’on a gagné tous ces matchs-là en prolongation, parce que je n’ai senti personne paniquer. Contre Buffalo, c’était plutôt une confiance qu’on était bien placés pour gagner cette série-là.
Juste le fait qu’on soit sûrs de nos moyens tout au long de la série, ça mettait de la pression sur nos adversaires. Ça nous laissait une marge de manœuvre.
On les voyait rentrer dans le vestiaire après les matchs. John LeClair, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Comme s’ils ne comprenaient pas vraiment ce qui arrivait, comme si c’était miraculeux. Et ça ne durait pas longtemps, les prolongations. Mais c’était toujours calme, parce que Jacques Demers les gardait « focus ». C’est pas long que ça peut s’énerver, un joueur de hockey.
J’avais quatre ans. Je me souviens d’avoir regardé tous les matchs pis d’avoir compris qu’ils gagnaient en overtime. Je me couchais tard, mais pour regarder papa, j’avais le droit.
On était en retraite fermée avant tous les matchs. On partait de chez nous le matin, on allait s’entraîner, on allait tous dormir à l’hôtel, et le lendemain c’était déjeuner d’équipe, entraînement, puis on retournait à l’hôtel. On jouait le match le soir, et ensuite on retournait à la maison. Quand on jouait tous les deux jours, le rituel recommençait.
C’était la coutume, c’était la quatrième année qu’on faisait la retraite fermée. C’est sûr qu’on passait beaucoup de temps ensemble, mais ça nous empêchait d’être distraits par la vie quotidienne d’un joueur de hockey à Montréal. Ç’avait du bon, mais en même temps, ça peut être long et difficile de ne pas voir ta famille. Faut que tu t’adaptes.
Moi, j’aimais ça. On était ensemble pour regarder les autres séries. Il y avait un lounge, on se retrouvait là. Les séries, c’est à la fois court et très long. C’est dur mentalement et physiquement. Mais les vivre à 100 % avec les gars, ça crée un lien vraiment fort.
Aujourd’hui, tu ne vois plus ça, des retraites fermées aussi longues. Mais à l’époque, ça nous avait soudé comme club. Le soir, tu es à l’hôtel à 20 h, il y a des tables de billard, les gars regardent des films ensemble. On était « tissés serré ». L’esprit d’équipe était fort.
On était tous dans notre chambre respective, au septième étage de l’hôtel à Montréal. Quand les Islanders ont compté le but gagnant contre les Penguins, toutes les portes du couloir se sont ouvertes en même temps. On se faisait des high fives dans le corridor. On ne choisit pas notre adversaire, mais entre les deux, on préférait les Islanders. Et en plus, on commençait la série à domicile.
On savait que si on avait eu à affronter les Penguins et Mario Lemieux, qui venaient de gagner deux Coupes Stanley de suite, ç’aurait été passablement plus difficile. Tout le monde était assez content d’affronter les Islanders ! Nos chances étaient plus élevées contre eux que contre Pittsburgh.
Tout le monde courait pis on sautait de joie dans les corridors. On l’a pas dit aux journalistes, mais en sachant qu’on affronterait les Islanders, on y croyait encore plus.
À l’époque, s’il y avait une équipe favorite, c’était les Penguins de Pittsburgh. Avec Mario Lemieux, ils avaient gagné les deux Coupes précédentes. Ça ne faisait pas des Islanders des adversaires faciles. Mais du fait que Pittsburgh perde, pis qu’on commence à domicile la demi-finale en ayant l’avantage de la glace, le vent a pris dans la voile.
La grande chance des Canadiens, c’est que toutes les meilleures équipes tombaient devant eux. Ils se sont retrouvés contre les Sabres, ils les ont battus 4-0. Une fois les Penguins éliminés, ils affrontaient les Islanders. Le chemin s’ouvrait, et là, on commençait à y croire.
Entre les deux séries, il y a eu un long congé. On avait fini en quatre matchs ; les Islanders, eux, sortaient d’une série de sept matchs.
Non seulement ils étaient épuisés, mais ils avaient perdu leur joueur le plus important, Pierre Turgeon, dans la série précédente contre Washington, quand Dale Hunter l’avait frappé par-derrière.
Notre club a été meilleur de match en match. Il était imbattable à la fin. Beaucoup de monde va dire : ah, ils ont été chanceux, ils n’ont pas eu à jouer contre Pittsburgh. Notre club a été le meilleur sur la glace, point. Peut-être qu’on n’était pas les meilleurs sur papier, mais sur la glace, c’était nous.
Ç’a bien commencé à la maison, on a pris les devants 2-0 contre les Islanders. J’ai marqué le but en deuxième prolongation dans le match no 2. On a pris l’avance 3-0 dans la série, on a échappé le match no 4, puis on les a éliminés en cinq à domicile pour passer en finale.
Et la finale, ç’a passé proche que ce soit contre Pat Burns pis les Maple Leafs de Toronto.
Les Kings jouaient contre les Leafs, et notre ancien entraîneur Pat Burns était derrière le banc. C’était Wayne Gretzky contre Doug Gilmour, deux des meilleurs joueurs de la Ligue nationale.
Les Maple Leafs n’avaient pas gagné la Coupe depuis 1967, il semblait que c’était l’année de la finale pour eux. Tout le monde au Canada croyait à une finale Toronto-Montréal. On tirait de l’arrière 3-2 dans la série, mais on est revenus pour gagner les deux derniers matchs, dont le premier en prolongation. On a remporté la finale au Maple Leaf Gardens.
Gretzky a inscrit trois buts et une passe pour faire gagner son équipe dans le septième match. Comme lors de la série entre les Islanders et les Penguins, si on nous avait demandé quels adversaires on préférait entre les Kings et les Leafs, je pense que la majorité aurait choisi les Kings. Et Gretzky semblait destiné à aller en finale.
Gretzky dit que c’est le meilleur match qu’il ait joué. J’ai grandi comme fan des Leafs, j’ai joué pour eux. Alors c’était très particulier pour moi. On a battu Toronto et on a rejoint Montréal en finale.
C’était une excellente équipe : en plus de Gretzky, il y avait Luc Robitaille, Bernie Nicholls, Dave Taylor, beaucoup de profondeur et d’expérience. Les Kings n’avaient pas battu les Leafs par hasard.
Je crois toujours que c’était les deux meilleures équipes en finale.
J’étais un entraîneur recrue dans la LNH. Et j’arrivais en finale avec les meilleurs joueurs du monde dans mon équipe — Gretzky, Robitaille, Rob Blake, Jari Kurri, Marty McSorley. Tous des joueurs qui allaient devenir membres du Temple de la renommée. Kelly Hrudey était un gardien auquel je pouvais me fier. On savait qu’il fallait une excellente équipe pour nous battre.
T’as Patrick Roy dans ton équipe, tu crois en tes chances de gagner. Mais quand t’as Wayne Gretzky dans ton équipe en finale, tu crois aussi en tes chances de gagner.
Wayne Gretzky était mon idole de jeunesse. Je jouais dans la rue, j’étais Gretzky. Sur la patinoire extérieure, j’étais Gretzky. Mon chat à la maison s’appelait Wayne, pis ma chatte s’appelait Janet ! Il a fallu que je les renomme… Savi et Mona [en l’honneur de Denis Savard et de sa femme] !
Jacques n’avait pas eu d’autre choix que de nous donner quelques jours de congé avant la finale. Il faisait tellement beau qu’on est allés jouer au golf et passer le temps un peu, avant de s’entraîner.
Après avoir battu Toronto, on affrontait immédiatement Montréal. Il n’y avait pas de pause pour nous. On avait battu Calgary, Vancouver, Toronto, uniquement des équipes canadiennes. On allait affronter le Canadien de Montréal, il n’y avait rien de plus parfait.
Ils nous battent 4-1 au premier match à la maison. Un but, trois passes pour Wayne Gretzky.
On n’avait pas connu de vrai mauvais match jusqu’à celui-là. Tandis qu’on arrivait d’un repos, eux étaient encore sur l’adrénaline. On n’a jamais été capables de décoder ce match-là.
C’est sûr que les Kings venaient de vivre une série assez difficile, très physique, contre les Leafs. Eux étaient encore sur leur élan, alors que nous, en éliminant les Islanders en cinq matchs, on a eu cinq ou six jours de repos.
On a repris là où on avait laissé, une bonne défensive, on n’a pas accordé beaucoup de lancers à Montréal. Je crois que même les fans les plus fidèles du Canadien reconnaîtront qu’on était la meilleure équipe lors du premier match.
Les joueurs ont péché par excès de confiance au premier match. La job de l’entraîneur, c’était de les ramener sur terre.
À la fin de la série contre les Islanders, je m’étais jeté à terre pour bloquer un tir, et la rondelle avait frappé le côté droit de mon pied. Ç’avait fait mal sur le coup, mais j’avais continué à jouer. Sauf qu’après le premier match contre les Kings, mon pied a enflé au point que je n’étais pas capable d’enfiler mon patin. Je n’ai pas pu continuer à jouer.
Pendant les séries, les matchs sont tous les deux jours, tout le monde est exténué. Mais tu fais avec. Tu seras fatigué, tu seras blessé, et c’est l’équipe qui a le plus d’endurance qui a les meilleures chances de l’emporter. Une fois que tu possèdes la rondelle, tu es dans un autre état d’esprit.
Les Kings avaient un motivateur, Anthony Robbins. Nous, on trouvait ça drôle, parce que des motivateurs, on en a vu dans notre vie. Mais c’était l’un des premiers qui entraient dans le vestiaire des Kings. Il allait parler aux joueurs avant qu’on puisse entrer. Il avait l’air tellement important. Ç’a marché jusque-là. Tandis que le motivateur chez le Canadien, c’était Jacques.
Après le premier match, on a eu un meeting, où Patrick Roy nous a remis une autre petite carte : « Le “vrai winner” ne s’attache pas tant aux succès qu’à la GRANDE, à l’ULTIME VICTOIRE. Le reste n’est que prétention temporaire. P.R. » Ça voulait dire qu’on n’allait pas se contenter de parader en finale. Si on voulait la gagner, il fallait se donner à fond.
Je voyageais avec Patrick Roy durant toutes les séries. C’était la première finale de ma carrière, j’avais connu cinq demi-finales. Il m’a dit dans l’auto, confiant : « On va gagner la Coupe. Tu vas avoir ta bague pis ton nom dessus. » Ce sont des paroles dont je me souviendrai toujours.
Patrick, en 1993, il a parlé beaucoup plus par ses performances que dans le vestiaire. On avait la chance d’avoir un vestiaire très « mature », avec beaucoup de leaders et de joueurs de qualité. C’était un club qui avançait de lui-même. Patrick n’était pas un joueur comme un autre, mais il ne prenait pas plus de place qu’un autre dans le vestiaire. Il arrêtait les rondelles.
Je savais que c’était par Roy qu’ils pourraient gagner. Je crois que notre équipe était meilleure que Montréal, que notre formation était supérieure. Mais le facteur décisif au hockey, c’est le gardien. Je connaissais Patrick, je sentais qu’il serait le meilleur gardien de la série. Et je savais que c’était lui qu’il fallait battre.
Patrick, c’était notre roc. C’est lui qui apportait une stabilité. Il était tellement solide et confiant que ça donnait confiance à tout le monde dans le vestiaire pour aller chercher la victoire, marquer les buts pour gagner.
Le deuxième match, on l’a fait basculer in extremis en notre faveur, avec le fameux bâton de Marty McSorley.
On ne voulait pas aller à Los Angeles avec un retard de 0-2. Les Kings ont vite pris les devants, on a égalisé la partie, puis ils ont repris les devants. Jusqu’en fin de troisième.
On dominait encore le match. On menait par un but, et ils ont demandé une pénalité pour bâton illégal vers la fin du match.
On perdait 2-1 avec à peu près deux minutes à jouer dans le match. Jacques a demandé à l’officiel de mesurer le bâton de McSorley. Son bâton avait trop de courbe, il a écopé d’une punition.
Dans ce temps-là, c’était la coutume : la majorité des gars avaient un bâton illégal ou deux dans le rack. En première période à Los Angeles, si on avait décidé de mesurer les bâtons, sur les 18 gars de chaque côté, il y en a peut-être 10 qui auraient eu des bâtons illégaux. Mais en fin de match, quand il restait une dizaine de minutes, dépendamment du pointage, tu décidais si tu prenais le risque.
Nous aussi, on avait des joueurs qui jouaient avec des bâtons illégaux. Mais rendus en séries, ils faisaient plus attention : ils traînaient toujours avec eux un bâton légal, au cas où, en fin de partie, l’équipe adverse oserait demander une pénalité. On était aussi attentifs aux bâtons de nos adversaires. Du côté de Los Angeles, Robitaille et McSorley, c’était évident qu’ils jouaient avec des bâtons trop courbés.
Le règlement existait, on l’a utilisé, et ç’a tourné en notre faveur. Il y a une raison pour laquelle un joueur joue avec une courbe comme ça : c’est parce que ça l’avantage.
Je ne savais pas qu’on allait défier la légalité de son bâton. C’était rare. On dirait qu’il y avait un code d’honneur de ne pas faire ça. Mais là, tu perds le premier match, comment tu t’en sors dans le deuxième ? C’est comme ça qu’on s’en est sortis.
On savait qu’on le ferait, mais en temps opportun. Dans le sport, tu utilises tous les règlements à ton avantage. Si le règlement, c’est une courbe d’un demi-pouce et qu’un joueur a une courbe d’un pouce, c’est un avantage sur l’autre équipe. Pis c’est pas correct.
Le bâton de McSorley, je suis sûr que c’est grâce au préposé aux bâtons du Canadien qu’ils ont pu le savoir. Dans le vieux Forum, tu avais les deux bancs et le corridor. Et de chaque côté, les racks à bâtons de chaque équipe. Demers a contrevérifié avec Guy Carbonneau : regarde si c’est le même bâton ou si t’as un doute. Parce qu’il prenait un risque : si la courbe avait été légale, c’est lui qui écopait d’une pénalité pour avoir retardé le match ! Et Carbo lui a confirmé : oui, la courbe est illégale. O.K., pénalité.
Nos gars étaient assez aguerris pour voir ça. Quand tu sautes sur la glace pour une mise en jeu, en regardant le bâton du gars, tu vois s’il est légal ou pas. Même si les Kings ont accusé le Canadien d’avoir fouillé dans leur rack pendant les pauses ou avant le match, on n’avait pas besoin de faire ça. Pierre Gervais [gérant de l’équipement], Carbo ou Kirk Muller voyaient les bâtons de près et savaient s’ils étaient légaux ou pas. McSorley, ça faisait longtemps aussi qu’il jouait dans la LNH.
On a choisi le bon ! Pauvre Marty… ! [Rire]
J’ignorais totalement que le bâton de Marty était illégal. Tu surveilles toujours quatre ou cinq joueurs dans ton équipe, parce que tu soupçonnes qu’ils peuvent avoir des bâtons illégaux. Comme entraîneur, c’est ma responsabilité de savoir ce qui se passe sur mon banc. Mais personnellement, je n’ai jamais signalé un bâton dans ma carrière. Je ne ferais pas ça, je ne crois pas que c’est comme ça qu’on doit gagner.
Je peux t’assurer qu’il y a une couple de gars, y compris de notre côté, qui ont changé de bâton à ce moment-là ! [Rire]
Après, dans la série, on s’est assurés que tous nos joueurs avaient des bâtons légaux. Sinon, c’était une question de temps avant que Melrose nous rende notre coup !
Mais il fallait quand même marquer le but égalisateur. Et il me semble qu’on n’avait pas marqué dans nos 24 ou 25 derniers avantages numériques. C’était pas gagné d’avance, mais ce soir-là, Éric Desjardins avait décidé de se déguiser en Bobby Orr.
On a retiré Patrick du filet, Desjardins a marqué pour égaliser 2-2, et il a compté le but en prolongation. Il a marqué nos trois buts du match ! Je n’oublierai jamais ça.
Desjardins a tiré sur l’une des tiges de la baie vitrée. Kelly Hrudey croyait que la rondelle allait longer la bande, mais elle a bifurqué devant lui. Il ne savait pas où elle était. Desjardins l’a récupérée devant une cage béante. C’était un but chanceux, mais on a perdu. Et le bâton de McSorley a bien sûr eu un rôle à jouer là-dedans. S’il n’y avait pas eu cette pénalité, on aurait gagné le match et on aurait été en avance 2-0 à Los Angeles.
C’est plus la répétition de mes efforts. Ce soir-là, j’ai envoyé je ne sais pas combien de rondelles au filet, mais là-dessus, il y en a trois qui ont trouvé le moyen de battre Kelly Hrudey. À part le dernier but, j’ai envoyé la rondelle au filet quand il y avait beaucoup de trafic. Je n’avais rien mangé de spécial ni tapé mon bâton d’une autre manière !
Si les Kings étaient sortis de Montréal en menant 2-0, je ne suis pas convaincu qu’on aurait gagné deux matchs à Los Angeles.
On avait toujours une chance de gagner. La série était 1-1 et on avait soutiré une victoire sur la route à Montréal en finale. On avait donc atteint notre objectif, puisqu’on revenait à la maison. J’avais encore bon espoir qu’on l’emporterait.
Les deux autres matchs à Los Angeles, ç’a été des matchs serrés, durs à jouer à cause de la chaleur. On dormait à Marina Del Rey, devant la plage, on n’était pas habitués à ça. Là aussi, il y avait de la pression, parce qu’affronter les Kings devant leur foule, c’était difficile.
Au premier match à Los Angeles, ils présentaient les joueurs des deux équipes. Je me suis fait huer par les fans des Kings. Ça m’a un peu intimidé, comme si j’avais fait quelque chose de mal. Mais il fallait que je remette les pieds sur terre, parce que marquer trois buts m’avait mis sur un high.
John LeClair a été le héros de ces deux matchs-là, en marquant chaque fois en prolongation. Brian Bellows, sur un des buts au troisième ou quatrième match, a attiré tellement de gars autour de lui que LeClair a pu prendre la rondelle, faire le tour du filet et marquer.
Trois victoires de suite en prolongation. C’est une statistique démente ! Si on regarde la série, et je l’ai fait souvent, on a dominé Montréal dans trois matchs sur cinq. Mais on a perdu ces trois matchs en prolongation contre le meilleur gardien de l’époque. Il faut reconnaître sa force, il a eu un rôle déterminant dans cette finale.
Ç’avait été dur à Los Angeles. Mais une fois qu’on a gagné le quatrième match contre les Kings, c’est comme si on leur avait donné un coup de couteau.
On prenait l’avion avec l’équipe. Le coach et la direction assis dans la classe affaires, les journalistes derrière, et les joueurs au fond de l’appareil. Sur le vol de retour de Los Angeles, c’était silencieux. Ils venaient de gagner, mais ils savaient que ce n’était pas terminé. Ils étaient en mission, c’est très différent de la saison officielle. De temps en temps, tu voyais passer un des assistants, il allait chercher un joueur et l’amenait en avant pour voir Jacques Demers, le « père de famille ».
Je n’ai jamais pensé que c’était presque fait. J’ai toujours pensé au pire scénario : si jamais tu l’échappes à la maison, tu te retrouves à Los Angeles sur un terrain dangereux. Tu peux te faire jouer des tours ! Non, tu ne peux jamais décompresser.
Au dernier match, lorsqu’on a tourné l’ouverture pour La soirée du hockey, la rue était fermée. J’étais au milieu de la rue Atwater, avec le Forum en arrière-plan. C’était silencieux, comme avant la guerre. Tout le monde marchait tranquillement, ils savaient que ça se réglerait ce soir-là. Les Canadiens menaient 3-1, et ils ne voulaient pas retourner à Los Angeles. Je pense que même les joueurs des Kings savaient que la Coupe leur échappait.
Moi, je me rappelle avoir regardé la game avec mes deux grands-mères à la maison. Ce dont je me souviens, c’est qu’on allait sauter dans la piscine s’ils gagnaient.
Tout le monde t’appelle, la famille, les amis, parce qu’ils veulent avoir des billets. Eux sont sûrs qu’on va gagner à Montréal pis que la série va se terminer. Mais comme joueur, c’est le contraire, on se met à stresser davantage. Si on l’échappe, qu’est-ce qui se passe ? On retourne à Los Angeles pour un match no 6. Tu commences à te faire plein de scénarios, qui t’empêchent de rester dans le moment présent.
On ne voulait pas retourner là-bas. Il ne fallait pas laisser la moindre chance. À 3-1, la côte est à pic, mais c’était déjà arrivé. On ne voulait pas vivre ça en finale de la Coupe Stanley.
Denis Savard était blessé, et il n’avait pratiquement pas joué pendant la finale. Puisqu’il était un leader dans l’équipe, Jacques Demers lui a fait une place derrière le banc.
J’aurais aimé revenir au jeu. J’aurais peut-être pu jouer la game 4, sûrement la game 5. Mais je me souviens de la conversation avec Jacques. Je lui ai dit : « Tu ne peux pas changer le line-up. Si on perd ce match-là, on s’en retourne à Los Angeles pour le match 6, puis si on le perd, on revient à Montréal pour un septième match, et je vais m’en vouloir d’avoir pensé juste à moi. » Mon idée, c’était de penser à l’équipe d’abord. Jacques m’a dit : « Viens-t’en en arrière du banc. »
Quand on a sauté sur la glace, au début du dernier match au Forum, c’est comme si on ne pouvait pas le perdre. Que personne ne serait capable de nous battre au Forum. On a toujours été maîtres de ce match-là. C’était pas loin d’un match parfait, on n’a jamais senti qu’on était en mauvaise posture dans celui-là, comparativement aux quatre premiers.
Quand le match a débuté, on est tombés dans un état de grâce. DiPietro a marqué le premier but, Muller le deuxième. Moi, j’ai porté le score à 3-1 en milieu de deuxième. Puis, DiPietro a marqué le quatrième but. On sentait qu’on devenait invincibles. Les 10 ou 12 dernières minutes, on savait que les Kings ne pouvaient plus revenir. Les coachs nous rappelaient quand même que ce n’était pas fini, et qu’on allait célébrer la victoire quand il n’y aurait plus de secondes au chrono.
On n’était pas vraiment là. C’était un drôle de match. Mais on a eu notre chance à plusieurs reprises pendant la série et on n’a pas réussi à la saisir.
La dernière minute, c’est l’euphorie. Des émotions tellement fortes que c’est une forme d’orgasme difficile à expliquer. Tu partages ça avec tes coéquipiers, et avec la famille, parce que c’était à Montréal.
Quand on saute tous sur la glace, les gants et les bâtons dans les airs, qu’on sait que c’est fini, qu’on peut tout laisser aller parce qu’on est les champions, ces images-là me donnent encore des frissons. Ça résume vraiment le feeling d’être champions.
Le moment sur la glace, je l’ai encore en tête. Pour moi, le p’tit cul de Sainte-Anne-de-Bellevue qui a regardé jouer Guy Lafleur, Jacques Lemaire, Larry Robinson et Serge Savard, vivre ça, au Forum en plus, c’est très spécial.
Ça va très vite. La coupe Stanley passe de bras en bras, et on ne sait jamais combien de temps les gars vont la garder entre leurs mains. Mais je me suis synchronisé pour prendre la coupe juste devant les sièges où ma famille était assise. Je ne les voyais pas, il y avait trop de monde debout. Mais je savais qu’ils étaient là et que je la brandissais devant eux.
Tu sais que tu vas y toucher, voir combien elle pèse. Tu ne veux pas t’enfarger non plus ! Oui, tu penses même à ça. Il n’y a pas d’autre feeling comme ça en matière d’événement sportif. Je dis souvent que je n’ai jamais rêvé de marquer trois buts en finale de la Coupe Stanley, mais que j’ai rêvé bien des fois de la gagner ! C’est tellement gratifiant que d’avoir marqué trois buts, c’est juste un détail.
Tes parents, frères, sœurs, blonde sont dans les gradins. De te promener avec la coupe sur la glace, c’est incroyable.
Je me souviens de Patrick Roy qui criait : « I’m going to Disneyland ! » avec la coupe à bout de bras. C’était pour une publicité, finalement !
Oui, je peux confirmer qu’on est allés à Disneyland ! [Rire]
En même temps, j’avais de la difficulté à le croire, parce que cette coupe Stanley là, c’était la 100e fois que je la gagnais dans mes rêves, dans la rue, dans mon sous-sol ou sur les patinoires extérieures. Et tout d’un coup, c’est la vraie que tu as dans les mains. C’est difficile à décrire.
Sur la glace avec les fans, c’était pas assez long ! J’aurais préféré qu’on reste là jusqu’à ce que les gradins se vident !
Pour Jacques Demers, c’est le highlight de sa carrière. J’ai gagné deux Coupes Stanley, et les deux fois, c’était avec des entraîneurs recrues. Tu vas toujours chercher le meilleur d’un entraîneur à ses débuts.
J’avais joué pour Jacques dans l’AMH [Association mondiale de hockey] à Cincinnati. On était de grands amis, on l’est toujours. Après le match, il m’a simplement félicité pour la façon dont mon équipe avait joué. On s’est serré la main, il est allé fêter de son côté, et je suis allé les regarder du mien. Au début, tu es démoli. Mais un entraîneur ne peut pas juste retourner dans son bureau et boire de la bière. Il doit parler aux joueurs et aux médias, être pertinent et avoir un message. Mais c’est dur. Il y a un adage en sport qui dit que la défaite fait plus mal que la victoire fait du bien. Et c’est tellement vrai quand tu perds en finale de la Coupe Stanley.
Jacques a rendu un grand hommage à Denis Savard en l’emmenant derrière le banc avec lui. Je suis certain que Denis Savard en sera éternellement reconnaissant à Jacques Demers. C’était un beau moment aussi.
Ç’a été un rôle différent de ce à quoi j’étais habitué. La Coupe Stanley, c’est sûr que c’est l’fun d’être en uniforme quand tu la gagnes. Mais l’aventure va de septembre jusqu’à juin. Que tu aies joué 20 minutes, 20 matchs ou 80 matchs, tu as aidé.
Il n’avait pas eu la chance de la gagner avec les Blackhawks de Chicago auparavant. Il était très apprécié des joueurs. Serge Savard s’était fait critiquer pour avoir échangé Chris Chelios contre Denis. Mais Denis nous a aidés à la gagner, la Coupe.
On est rentrés dans le vestiaire, la famille est venue, on a pris des photos avec nos proches. Mon agent, Pierre Lacroix, était là, même Céline Dion et René Angélil y étaient. Je me rappelle qu’on a fait boire un peu de champagne à Céline. Mais pas à René, lui, il ne buvait pas !
Le vestiaire du Forum était tout petit. Il y avait plein de monde, les médias pour les entrevues, des personnalités aussi. Il faisait chaud.
On a pris les photos avec nos familles. Et à un certain moment, quelqu’un, je pense que c’est Guy, a dit : « O.K., prenons un moment entre nous. » Avec le champagne dans la coupe, les photos et les accolades, pour décanter tout ça. Pour réaliser qu’on l’avait gagnée pour vrai, ensemble.
C’est probablement l’un des plus beaux moments de la conquête : on avait de la place, on a pris des photos avec la coupe. On était l’équipe. Après, on a fait entrer les familles. Ç’a été le party. Sur le coup, tu te dis : on va en gagner trois autres, quatre autres. Avec le recul, en avoir gagné une seule au Forum, tu te rends compte que c’est une chance inouïe.
À l’époque, le Canadien ne gagnait plus la Coupe tous les deux ou trois ans comme dans les années 1960-1970. Mais on était toujours dans une culture où gagner la Coupe était l’unique objectif. Faire les séries, c’était un acquis. Je n’aurais jamais cru que le Canadien ne gagnerait pas la Coupe en 25 ans. Qu’il ne passerait même pas proche, qu’il ne serait plus jamais une équipe aspirante à la gagner. Nous, on surfe sur cette vague-là depuis 25 ans, mais ce n’est pas ce qu’on souhaitait pour le Canadien.
Tandis que les joueurs soulèvent la 24e coupe Stanley de l’histoire du club, à l’extérieur du Forum, quelque 60 000 personnes descendent dans les rues du centre-ville pour célébrer la victoire. Le mot d’ordre a été donné aux policiers de laisser les partisans s’exprimer.
Mais la situation de 1986 se reproduit : la rue Sainte-Catherine est rapidement prise d’assaut par des casseurs qui pillent les commerces, de la rue Atwater jusqu’à la rue Berri. Les 980 policiers sont vite dépassés.
« Il faut que tu rentres, ça ressemble à Beyrouth », entend le policier André Durocher lorsqu’il décroche le téléphone chez lui, réveillé par un collègue au milieu de la nuit. Les méthodes pour maîtriser une foule sont bien différentes à l’époque : pas de casque ou de bâton. Des agents ont simplement fait le tour des commerçants dans les jours précédents pour leur demander de protéger leur commerce et de ne pas laisser traîner d’objets qui pourraient servir de projectiles.
La menace a largement été sous-estimée. De 1 000 à 1 500 personnes prennent part au pillage. Les méfaits sont l’œuvre de pilleurs organisés : certains ont reculé des camions dans les vitrines des magasins pour les vider.
Bilan : 115 arrestations, 168 blessés, 267 méfaits rapportés. Une cinquantaine de policiers blessés et six incendies allumés. Et plus de 10 millions de dollars de dommages.
L’émeute forcera d’ailleurs la police de Montréal à réviser ses stratégies de gestion des foules.
Mais le saccage n’atteint en rien la ferveur des partisans : quelques jours plus tard, 150 000 personnes se massent le long de la rue Sherbrooke pour saluer la victoire du Tricolore. Les joueurs sont ébahis devant la foule qui s’étend du parc La Fontaine à la rue Guy.
L’allégresse s’empare de Montréal, qui rêve déjà d’une 25e conquête. Il faudra cependant savourer les réjouissances : le Canadien ne s’approchera plus jamais d’une finale de la Coupe Stanley en 25 ans, et ratera les séries à neuf reprises.
Année après année, l’amour des partisans reste pourtant indéfectible. Malgré le prix des billets à la hausse, l’équipe remplit toujours les gradins : elle joue officiellement à guichets fermés depuis le 8 janvier 2004.
Et le poids du Canadien, même s’il a diminué au cours des dernières années, domine outrageusement l’espace médiatique sportif. L’équipe a su cultiver son histoire, ses légendes et sa gloire passée pour se maintenir dans le cœur des partisans.
Même si, sur la glace, les bras meurtris cherchent encore l’étincelle qui rallumera le flambeau, le Tricolore fait l’objet d’une telle dévotion que les fidèles finissent inexorablement par lui pardonner même les pires performances.
On a passé sous silence le commentaire de Patrick Roy après le deuxième match contre les Nordiques. Le mot d’ordre était de ne pas les motiver, de ne rien déclarer qu’ils auraient pu utiliser. Roy après le deuxième match a déclaré: je suis tanné de dire qu’ils sont forts et qu’ils sont bons. Ils ne sont pas invincibles et on va gagner le prochain match. Il a attiré la pression à lui et ils ont gagné. Et un deuxième Connie Smythe. Et que dire du « clin-d’oeil » contre Los Angeles.