Autant se l’avouer d’entrée de jeu : en matière d’image comme de niveau de jeu, Russie–Arabie saoudite est certainement le pire match d’ouverture de l’histoire de la Coupe du monde. Les deux nations occupent respectivement les 70e et 67e rangs au classement de la Fédération internationale de football (FIFA)*, soit les deux plus mauvais classements parmi les 32 nations présentes en Russie.
D’ailleurs, en regardant de plus près le classement de la FIFA, baromètre du niveau des 211 associations nationales affiliées (soit 18 de plus que le nombre de pays reconnus par l’ONU !), on comprend rapidement que Russie et Arabie saoudite ne font pas partie du haut du panier. Il suffit de jeter un coup d’œil aux pays qui se situent dans les mêmes eaux pour s’en convaincre. Finlande, Cap-Vert, Macédoine… Pas vraiment des foudres de guerre.

Comment en est-on arrivé là ?
Lors des premières Coupes du monde, le concept du « match d’ouverture » était un peu vague et les pays organisateurs le planifiaient de façon aléatoire, certains organisant même plusieurs rencontres simultanément (en 1930, 1934 et 1954).
À partir du Mondial tenu en Allemagne en 1974, et tandis que la diffusion du match inaugural en direct à la télévision se généralisait, une règle semblait s’être instaurée : le champion sortant remettait son titre en jeu et avait le privilège d’ouvrir le bal. Le Brésil, l’Allemagne, l’Argentine, l’Italie ou encore la France, les « grandes » nations traditionnelles du football mondial, participaient ainsi à tour de rôle au premier match de la compétition. Et même si ces équipes-là étaient opposées à des adversaires considérés comme mineurs (Bolivie, Sénégal, Costa Rica, Bulgarie, etc.), le standing du match était somme toute préservé.

Depuis 2006, retour à l’idée de départ. C’est le pays d’accueil qui dispute désormais le premier match de la Coupe du monde qu’il organise. Résultat : le fait que des pays d’Asie, d’Afrique et bientôt du Moyen-Orient (la prochaine Coupe du monde, en 2022, aura lieu au Qatar) soient conviés à la table des pays organisateurs s’est fait sentir jusque sur le pré, au niveau du match d’ouverture. Afrique du Sud, Russie et demain Qatar y participent désormais et offrent des matchs pas toujours excitants sur le papier. D’autant plus que, comme le pays organisateur est privilégié lors du tirage au sort, il est assuré de ne pas rencontrer l’une des huit meilleures nations mondiales lors de la phase de groupe. Un petit coup de pouce pour le pays d’accueil et, donc, la certitude de ne pas avoir une « grosse affiche » en ouverture.
Et sur le terrain, ça donne quoi concrètement ?
Qualifiée automatiquement en tant que pays organisateur, la Russie aurait certainement eu toutes les peines du monde à obtenir son billet pour la compétition par l’intermédiaire des qualifications de la zone Europe. D’ailleurs, l’équipe russe était absente en 2006 et 2010, avant de faire pâle impression en 2014. Loin des grandes équipes soviétiques et des joueurs — Lev Yachine ou Oleg Blokhine, pour ne citer qu’eux — qui ont fait sa légende dans les années 1960, elle s’appuie aujourd’hui sur une génération de joueurs globalement très moyens. Et ne peut espérer aller vraiment loin dans la compétition.
En face, l’Arabie saoudite a terminé deuxième de son groupe de qualification, derrière le Japon. Ancienne place forte du football asiatique pendant deux décennies (1980-2000), l’équipe est essentiellement composée de joueurs évoluant tous dans le championnat du pays. Autant dire qu’il s’agit de parfaits inconnus sur le plan international, même pour les spectateurs avertis. Et bien que son entraîneur, l’Hispano-Argentin Juan Antonio Pizzi, fasse des miracles avec le peu de talent dont il dispose, on voit mal l’Arabie saoudite briller pendant la Coupe du monde.
La nostalgie de 1994
Qu’elle semble loin la Coupe du monde de 1994 aux États-Unis, où l’Arabie saoudite atteignait les huitièmes de finale avec un jeu séduisant, et où la Russie d’Oleg Salenko, qui compta cinq buts dans un match historique contre le Cameroun (6-1), marqua les esprits.
Mais alors, que faut-il attendre de ce match ?
Se qualifier en huitièmes de finale serait vu à Moscou comme une belle performance. Et à Riyad, comme une performance exceptionnelle. Autant dire que le résultat du match et même le parcours des deux pays dans la compétition importent finalement assez peu d’un point de vue strictement sportif. En revanche, Russie–Arabie saoudite illustre parfaitement le déplacement du centre de gravité de la planète foot — historiquement situé entre l’Europe et l’Amérique du Sud — vers cette région du monde. Seuls 1 200 km séparent en effet les frontières russes et saoudiennes, et la prochaine Coupe du monde en 2022 aura lieu au Qatar. Ce qui signifie que la compétition — et les dollars nécessaires à son organisation — restera dans cette zone du globe pour au moins quatre ans encore.
Une nouvelle vitrine pour Vladimir Poutine
Côté russe, on sait qu’on ne remportera pas le trophée, mais l’essentiel est ailleurs. Quatre ans après les Jeux olympiques de Sotchi, entachés par la révélation d’un système de dopage institutionnalisé, Vladimir Poutine s’offre une nouvelle occasion de montrer au monde que son pays est capable d’organiser un événement international majeur.
L’homme fort du Kremlin va de nouveau pouvoir bomber le torse et vanter la qualité des infrastructures russes, de ses ingénieurs, de ses entreprises de construction, de ses stades… Et tant pis si les coûts d’organisation de la manifestation ont explosé de près de 760 millions de dollars, pour porter la facture totale à 14,9 milliards !
Question d’image, Poutine va s’atteler à montrer qu’il est au cœur du « jeu » dans l’événement sportif le plus universel qui soit, le soccer étant le sport pratiqué dans le plus grand nombre de pays au monde.
Une question de suprématie régionale
Du côté de l’Arabie saoudite, jouer à la Coupe du monde est loin d’être anodin. Outre le simple fait de participer à la compétition — ce qui est déjà une réussite en soi —, c’est aussi le plaisir de participer au nez et à la barbe du voisin et ennemi qatarien qui n’est pas dissimulé. Car le contexte international est aujourd’hui volcanique entre l’organisateur de la Coupe du monde de 2022 et les autres pays du Golfe. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte ont d’ailleurs tous rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar depuis le milieu des années 1990.
L’an passé, à pareille date, le royaume saoudien a imposé, dans le cadre de cette même coalition, un embargo de longue durée à son voisin qatari, très dépendant des importations — notamment sur le plan alimentaire. Riyad reproche à Doha ses accointances avec Téhéran et l’accuse de soutenir des groupes extrémistes dans la région et d’en assurer la propagande par le truchement de la chaîne d’État, Al-Jazira, elle-même mise sur pied pour rompre avec la mainmise des Saoudiens sur le paysage médiatique international arabe. Autant dire que participer à la Coupe du monde est vu comme une fierté nationale au pays du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud. N’en déplaise au voisin qatari.
- Classement au 7 juin 2018
Comme Québécois c’est frustrant de voir que l’Écosse a ouvert le Mondial en 1998. Le « pays » n’avait même pas encore de Parlement à l’époque!
On est vraiment un peuple profondément colonisé. On a des politiciens qui n’ont aucune envergure, aucun rêve pour nous.