
Mis sous contrat pour deux ans dès l’ouverture du marché des joueurs autonomes, Tom Gilbert s’est amené à Montréal pour remplir un rôle bien précis. Après avoir échangé Josh Gorges et muté Alexei Emelin du côté gauche, le directeur général Marc Bergevin a d’emblée fait du défenseur droitier le numéro quatre de sa brigade défensive — celui qu’on voit sur la glace contre les meilleurs joueurs adverses lorsque Subban n’y est pas.
Gilbert traîne cependant avec lui une réputation : un défenseur doué, qui manque toutefois d’intensité dans sa zone, facile à bousculer et à effrayer. Le thème n’a d’ailleurs pas mis de temps à émerger dans les médias montréalais.
Tyler Dellow avait bien expliqué l’an dernier en quoi Gilbert, s’il n’a pas la réputation d’un grand défenseur, n’en est pas moins un joueur que les statistiques basées sur les différentiels de tirs décrivent comme un joueur efficace. Le graphique ci-dessous s’inspire du propos de Dellow en montrant comment Gilbert a aidé les équipes pour lesquelles il a joué.
D’une part, le pourcentage de tirs vers le filet est indiqué comme différence par rapport à l’équipe lorsque Gilbert n’est pas sur la glace. On doit comprendre qu’un pourcentage positif indique que l’équipe a accordé moins de tirs vers son but qu’elle en a pris vers le but adverse avec Gilbert sur la glace que lorsqu’il est sur le banc des joueurs. Ces pourcentages servent à évaluer le temps de possession de la rondelle.
D’autre part, le pourcentage de mises en jeu indique à quel point Gilbert a été exposé aux mises dans sa zone par rapport aux autres joueurs de son équipe. Un pourcentage négatif indique que Gilbert était sur la glace pour plus que sa part des mises au jeu en zone défensive et que son club était donc moins bien placé pour cumuler les tirs vers le filet adverse.
À sa première saison dans la LNH, en 2007-2008, les Oilers sont meilleurs lorsque Gilbert est sur la glace, mais ces performances s’accompagnent souvent d’un léger surplus de mises au jeu en zone offensive. Il ne s’agit toutefois pas d’une poussée territoriale prononcée. Les attaquants élites profitent d’une poussée pouvant s’élever jusqu’à 10 %, alors que les défenseurs qui sont surtout utilisés dans la zone offensive sont généralement des spécialistes de l’attaque ou des recrues que l’on cherche à protéger. Reste que les bons résultats suivent Gilbert à la trace et la tendance s’est maintenue tout au long de sa carrière.

Un deuxième graphique, tiré cette fois-ci du site war-on-ice et reproduit ci-dessous, nous permet d’évaluer comment Gilbert a été utilisé par ses différents entraineurs au fil des saisons. Composé de trois séries de données, il reprend les informations du premier graphique (l’impact de Gilbert sur le temps de possession — tel que mesuré par le nombre de tirs dirigés vers le filet — et la part de mises en jeu en zone offensive auxquelles il a pris part relativement au reste de l’équipe) et y ajoute une troisième dimension, la qualité des adversaires affrontés.
L’index de la qualité des adversaires affrontés est basé sur la quantité de temps que ceux-ci passent sur la glace. (Meilleur est un joueur, plus on l’utilise !) Les meilleurs joueurs sont généralement sur la glace de 30 % à 33 % d’un match. Pour les 313 défenseurs de la LNH qui ont, comme Gilbert, passé au moins 1200 minutes sur la glace depuis 2007, l’indice moyen de qualité des adversaires affrontés est de 28,3 % et seulement 78 défenseurs ont eu un indice supérieur à celui de Gilbert, qui est de 28,6 %.
Sur la moyenne, donc, Tom Gilbert est un véritable défenseur de deuxième vague, c’est-à-dire celle qu’une équipe envoie sur la glace pour contrer les meilleurs éléments adverses lorsque son meilleur duo n’y est pas. Cela dit, on constate que son rôle a évolué au fil des saisons : protégé de toute part en 2006-2007 (il ne joue que 12 matchs), on remarque que pour l’essentiel de sa carrière (le bloc de bulles bleues en plein cœur du graphique), on l’a utilisé comme un défenseur numéro deux — celui qui est jumelé au meilleur défenseur de l’équipe — contre des adversaires dont l’index de qualité s’élève à 29 %.

Sa seule saison en Floride illustre parfaitement ce rôle qu’on lui a souvent demandé de jouer, alors qu’il accompagne Brian Campbell, le défenseur numéro un incontesté des Panthers. Et lorsqu’il joue avec Campbell, tout baigne dans l’huile pour Gilbert. Mais sitôt qu’on lui demande de travailler avec un autre défenseur, les choses se gâtent.

Lorsque Gilbert et Campbell étaient réunis, les Panthers ont généré 58% des tirs tentés à forces égales. Les Kings de Los Angeles, gagnants de la coupe Stanley et champions du pourcentage de tirs tentés au cours de la saison régulière, ont terminé la saison avec 55,7% des tirs tentés à forces égales. C’est dire à quel point Gilbert et Campbell ont aidé les Panthers ! Et si d’aventure Gilbert jouait sans Campbell, tout ça partait au vent, avec à peine 40 % des tirs obtenus.
Un bon second ?
On doit donc comprendre qu’au-delà des questions de style, à 32 ans, Tom Gilbert n’est non seulement pas susceptible de s’améliorer, il est en fait bien probable que son déclin soit amorcé. Ce défenseur qui, lors de ses meilleures saisons, a été un bon numéro deux devrait donc théoriquement être dans une bonne position à Montréal, bien caché dans l’ombre imposante de P.K. Subban. En théorie.
Le deuxième graphique montre une grosse bulle rouge en haut à gauche, signe que Gilbert, après seulement 6 matchs, est utilisé contre les meilleurs et enterré en zone défensive comme il ne l’a jamais été dans sa carrière. Parce qu’on ne s’appuiera certainement pas sur Mike Weaver (qui joue le rôle de mentor pour les jeunes Beaulieu et Tinordi) pour les missions critiques, on a donc beaucoup eu recours aux vétérans Gilbert et Markov. Parions que la situation de durera pas ; Emelin et Subban apprennent tranquillement à se connaître et il est fort probable que Michel Therrien s’appuie de plus en plus lourdement sur ce tandem alors que la saison progresse.
Le deuxième duo, composé de Gilbert et Markov, retrouvera alors des adversaires moins corsées. Soumis à une charge de travail plus appropriée, on peut s’attendre à ce que le numéro 77 fasse taire les critiques.