AmpMe, une pomme pourrie parmi tant d’autres

Faux commentaires, modèle d’affaires basé sur les abonnements oubliés, prix démesuré : l’appli montréalaise AmpMe s’attire bien des critiques, mais elle est loin d’être la seule à profiter du laxisme des boutiques d’applications pour prospérer.

VectorFun / Getty Images, montage L’actualité

Combiner plusieurs téléphones pour créer un seul haut-parleur plus puissant. Voilà la proposition d’AmpMe, une application lancée en grande pompe, en 2015, par l’ancien « dragon » Martin-Luc Archambault. Elle a retenu l’attention pendant un temps, au point d’amasser 10 millions de dollars de financement en 2016, notamment d’Investissement Québec.

L’appli est revenue dans l’actualité au début de 2022, alors que deux développeurs ont dévoilé sur Twitter des pratiques douteuses l’entourant.

L’entreprise aurait en effet pris l’habitude d’acheter des critiques positives sur l’App Store d’Apple, et elle miserait sur l’abonnement par inadvertance — ou oublié — pour engranger des revenus. Pour profiter de toutes les fonctionnalités d’AmpMe, il fallait au moment de la dénonciation l’essayer gratuitement pendant trois jours. Après cette durée, ceux qui oubliaient de se désinscrire devaient payer 13,49 $ par semaine, ou plus de 700 $ par année.

Selon les estimations, AmpMe aurait ainsi amassé environ 16 millions de dollars depuis 2018, uniquement sur l’App Store d’Apple (le logiciel est aussi offert sur Android).

Le service proposé par AmpMe est légitime. Les conditions de l’abonnement sont claires, et l’application fonctionne comme elle le devrait. Mais il n’est pas raisonnable pour autant : personne ne peut prétendre sérieusement qu’un service permettant simplement de synchroniser les haut-parleurs de différents téléphones vaut 700 $ par année, soit 10 fois plus que le prix de certains haut-parleurs portatifs. 

Un nouveau prix

AmpMe a corrigé le tir après s’être fait prendre la main dans le sac. L’entreprise a annoncé la semaine dernière avoir soumis une nouvelle version de son produit aux boutiques d’applications, pour laquelle le prix de l’abonnement a été réduit de moitié. Au moment de la rédaction de ce billet, plus aucun abonnement n’était même proposé aux nouveaux utilisateurs. Elle s’est aussi excusée pour les fausses critiques sur l’App Store, affirmant avoir fait erreur en suivant les conseils d’un consultant externe.

Apple a d’ailleurs effacé les fausses critiques de sa boutique d’applications. Celles-ci étaient faciles à repérer, avec leurs commentaires génériques et leurs noms d’auteurs visiblement faux (Raiyan Tiddemanskbjv ou Keyston Vineallyhyxh, par exemple). Aucune critique du genre n’est affichée sur la boutique Google Play, mais on ne sait pas vraiment si elles existaient et ont été gommées, ou si AmpMe n’a jamais payé pour de tels commentaires sur Android.

Apple et Google à blâmer

AmpMe n’est malheureusement pas la seule entreprise à procéder de la sorte. Sur Twitter, le développeur Kosta Eleftheriou met d’ailleurs régulièrement en lumière des applications qui abusent de la naïveté des utilisateurs et pour lesquelles on a acheté de fausses critiques.

Selon une analyse du Washington Post publiée l’été dernier, près de 2 % des applications les plus payantes sur l’App Store seraient frauduleuses. Au moment de l’enquête, un lecteur de codes QR coûtait par exemple aux utilisateurs 4,99 $ US par semaine pour une fonctionnalité pourtant offerte gratuitement avec l’iPhone. D’autres applications prétendaient que le téléphone sur lequel elles étaient installées était infecté et nécessitait l’achat d’un logiciel antivirus.

Avec près de 2 millions de logiciels dans l’App Store et plus de 2,5 millions dans la boutique Google Play, un certain abus est à prévoir. Mais dans bien des cas, celui-ci est fait au vu et au su d’Apple et de Google, puisque les applications doivent être approuvées avant d’être proposées.

Ces entreprises dictent les règles de leurs boutiques, et restreignent déjà certains types d’applis et de contenus (la pornographie, par exemple, est interdite sur l’App Store, tout comme les applications conçues principalement pour diffuser des publicités). 

Elles pourraient en faire plus. Forcer les concepteurs de logiciels à facturer un prix raisonnable pour leurs fonctionnalités limiterait par exemple les arnaques les plus évidentes. Un tel procédé ne serait pas parfait, puisqu’il serait sujet à interprétation, mais les évaluateurs qui acceptent ou non les logiciels doivent déjà utiliser leur jugement pour appliquer certaines règles des boutiques. Ce sont eux qui déterminent notamment ce qui constitue de la pornographie. Apple et Google pourraient aussi demander le numéro de carte de crédit pour les abonnements après la période d’essai, et non avant, ce qui permettrait aux utilisateurs de prendre une décision en bonne connaissance de cause.

Reste à voir pourquoi de telles mesures n’ont toujours pas été mises en place. Le fait que les boutiques d’applications conservent de 15 % à 30 % de tous les revenus de ces logiciels explique peut-être en partie pourquoi Apple et Google sont si lentes à réagir.