En s’engageant sans l’aide d’un pilote sur les eaux difficiles du Saint-Laurent, le 20 novembre 1846, le capitaine du navire marchand Scotsman a scellé le sort de huit de ses neuf membres d’équipage. Jamais ils ne sont rentrés à Liverpool, en Angleterre, après leur passage à Montréal. Comme une soixantaine d’autres bateaux entre 1730 et 1905, le Scotsman a fait naufrage près de l’île du Bic et de l’île Bicquette, au large du Bas-Saint-Laurent.
« C’est un navire qui a eu une vie bien remplie. Après sa construction, de 1834 à 1846, il est notamment allé en Russie et dans les Caraïbes. Il s’est même rendu jusqu’au Chili, et ce, avant l’ouverture du canal de Panamá. Il a dû partir de l’Écosse, voguer jusqu’en Argentine et remonter sur l’océan Pacifique », raconte Vincent Delmas, archéologue terrestre et subaquatique pour l’Institut de recherche en histoire maritime et archéologie subaquatique (IRHMAS). Il mène un projet lancé en 2018 qui permettra bientôt de créer une version numérique de l’épave telle qu’elle se trouve sous l’eau actuellement, ce qui sera notamment utile pour les chercheurs, pour la protection du patrimoine et pour la mise en valeur du site, inaccessible au commun des mortels.
Quatre raisons font du Scotsman le candidat idéal pour une reconstruction numérique : il est l’un des derniers navires transatlantiques en bois, sa découverte est assez récente (2002), l’épave est plutôt difficile d’accès et elle est encore en bonne condition.
« Au départ, nous pensions mettre en valeur plusieurs épaves, mais nous avons finalement préféré n’en faire qu’une, mais bien », explique Vincent Delmas. Le projet prend forme à la suite d’efforts au cours des dernières années pour répertorier les différentes épaves enfouies au fond du Saint-Laurent.
Recréer le Scotsman en 3D
Une équipe de plongeurs a revisité le Scotsman en septembre 2020 pour prendre des photos et tourner des vidéos de l’épave, dans le but d’en créer une version numérique en trois dimensions.
« Ça a été difficile », avoue Vincent Delmas. À cause des courants marins et des marées, les plongeurs ne pouvaient y aller que deux fois par jour. Et l’épave reposant sur un fond sableux à 30 m de profondeur, les images obtenues n’étaient pas de très bonne qualité.
« Il a fallu utiliser plusieurs techniques d’intelligence artificielle pour les améliorer », explique Vahé Vardanyan, chercheur développeur en intelligence artificielle au Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN), à Matane. Un modèle d’apprentissage automatique a notamment été entraîné pour améliorer la luminosité des images et corriger les couleurs.
Un logiciel a ensuite été utilisé pour transformer les photos et les vidéos en un modèle 3D, une technique connue sous le nom de photogrammétrie. « Ce n’est pas parfait, et on n’a pas été en mesure de tout récupérer, mais le résultat final est quand même bon », estime Vahé Vardanyan. On y voit différents éléments de l’épave de 25 m de long sur 6 m de large, comme la cargaison (des tonneaux de bois toujours bien cordés, qui contiennent probablement des céréales).
On peut aussi bien apercevoir la faune et la flore qui habitent désormais dans l’épave. « De 30 à 40 espèces d’animaux la colonisent, notamment des oursins et des étoiles de mer », précise Vincent Delmas.
Pour compléter le modèle 3D, des plongeurs retourneront à l’épave en août pour tourner de nouvelles images. « Cette fois-ci, nous filmerons avec un ROV, un drone sous-marin téléguidé depuis la surface », note Vincent Delmas. La technologie devrait permettre de filmer plus longtemps, en plus d’être plus sécuritaire (une sortie en personne sera tout de même nécessaire, pour prélever des échantillons de sol).
Plusieurs raisons poussent les archéologues à recréer en 3D une épave de cette façon. « Ça nous donne une vue d’ensemble qu’on n’a pas en plongée, à cause de la mauvaise visibilité », souligne Vincent Delmas. Faire un tel modèle permet aussi de voir des détails qui n’avaient pas été remarqués lors de l’expédition. « On a observé, par exemple, des prismes de verre dans le Scotsman, qui laissaient passer la lumière », ajoute-t-il.
Les travaux pourront également être publiés et utilisés ensuite par d’autres chercheurs et archéologues.
Une exposition en réalité virtuelle à venir
Il n’y a pas que la communauté scientifique qui pourra profiter du Scotsman. Le modèle 3D sera en effet aussi utilisé pour créer une expérience en réalité virtuelle, signée par le studio montréalais Super Splendide.
« Le visiteur pourra explorer l’épave librement, et il pourra en apprendre sur chacun des vestiges, les objets, la faune et la flore. À ma connaissance, c’est une première », explique Vincent Delmas, qui espère que l’exposition contribuera à intéresser les Québécois à leur patrimoine et à l’archéologie. L’archéologue ne cache pas son souhait que d’autres épaves puissent être mises en valeur de la sorte.
L’exposition du Scotsman en réalité virtuelle sera présentée au Musée maritime du Québec, à L’Islet-sur-Mer, en 2022.
Peinture sujet
Bravo aux chercheurs en archéologie de l’IRHMAS et en IA du CDRIN de Matane.
Voilà une belle application de l’intelligence artificielle, plus précisément de la vision par ordinateur, réalisée par nos scientifiques. Je soupçonne à peine le travail et l’inventivité nécessaires pour améliorer la qualité des images.
J’attends avec impatience la visite en réalité augmentée de l’épave du Scotsman par le studio montréalais Super Splendide.
Merci M. Johnson de nous l’avoir fait connaître!
Scientifiquement vôtre
Claude COULOMBE
P.-S.: Par souci de transparence, je collabore à l’occasion avec le CDRIN.