
Que voyez-vous dans ce masque numérique créé par l’artiste américain Sterling Crispin ? Un fantôme ? Une bactérie ? Rien ? Facebook, lui, y perçoit une personne.
Chaque fois que vous partagez une photo sur Facebook, un algorithme détecte les visages présents et vous invite à les identifier. Et c’est exactement ce qui se produit avec la création de Crispin : le réseau social vous demande qui est cette, euh, chose.
N’allez pas croire que l’algorithme de Facebook est simplement facile à tromper. Les ingénieurs de l’entreprise de Menlo Park ont créé, avec le temps, l’un des systèmes de reconnaissance visuelle les plus puissants du monde.
Aux États-Unis, où les usagers bénéficient souvent en primeur des innovations du réseau social, Facebook reconnaît non seulement si des personnes se trouvent sur une photo, mais suggère lui-même le nom de ces personnes !
Pour y parvenir, un algorithme mesure notamment la distance séparant les yeux, le nez et les oreilles, puis compare le résultat avec son immense base de données d’images. Mais ce n’est rien : au printemps dernier, Facebook a dévoilé l’existence d’un nouveau programme de reconnaissance visuelle nommé DeepFace.
DeepFace serait capable de prendre deux images complètement différentes et de déterminer si une même personne se trouve sur les deux clichés, avec une précision de 97,25 %. Un être humain a, en moyenne, une précision de 97,5 %.
Facebook affirme que DeepFace est uniquement un projet de recherche et que les visages des quelque 1,3 milliard de personnes qui utilisent le réseau social chaque mois ne sont pas scrutés par le nouvel algorithme. Pour le moment.

DeepFace — et la reconnaissance visuelle en général — n’en soulève pas moins de nombreuses questions éthiques, et celles-ci sont au cœur de la démarche de Sterling Crispin et de ses masques. «Si nos informations personnelles sont analysées […], ces données devraient nous servir plutôt que nous asservir», indique-t-il par courriel.
Afin d’exposer la manière dont «les machines» nous perçoivent, l’artiste multimédia a créé par ordinateur des masques numériques conçus spécifiquement pour satisfaire les systèmes de reconnaissance visuelle.
Pour ce faire, il a utilisé un algorithme générant aléatoirement des formes, lesquelles étaient ensuite soumises à un système de reconnaissance visuelle. Chaque fois qu’une forme était perçue comme étant «humaine», l’algorithme tentait de l’améliorer en y apportant de nouvelles modifications.
Ce processus, répété des milliers de fois, a généré les portraits étranges que vous voyez ici. Et dans 99 % des cas, le système de reconnaissance visuelle utilisé par Crispin les méprenait pour des personnes.

Le résultat est tel que les masques, une fois convertis en 2D, trompent également Facebook.
Le projet de Sterling Crispin est toujours en cours. Il souhaite notamment partager des fichiers d’impression 3D de ses masques sur le Web, afin que ceux-ci soient «portés dans des démonstrations publiques» contre la surveillance biométrique — c’est-à-dire celle faite à partir d’empreintes digitales, d’ADN et de reconnaissance visuelle.
Pour que les visages déformés de Crispin remplacent les masques de Guy Fawkes sur la tête des manifestants, il faudra toutefois y ajouter un petit élément d’humanité : des trous pour les yeux.