«Le pouvoir de Mark (Zuckerberg) est sans précédent et non-américain. Il est temps de démanteler Facebook» : les mots de Chris Hughes frappent fort. Dans son essai « It’s Time to Break Up Facebook » publié jeudi dans le New York Times, l’entrepreneur qui était aux premières loges lors de la fondation du réseau social explique en détail les nombreux problèmes de cette plateforme. À force d’acheter ou de copier ses rivaux, Facebook est devenu un monopole naturel, indélogeable, qui nuit à la concurrence et finalement, freine l’innovation et la création de richesse.
Ce n’est pas la première fois que de tels arguments sont énoncés. Des organisations à but non lucratif et de nombreux chercheurs élèvent aussi de plus en plus leurs voix contre l’hégémonie des mastodontes de la Silicon Valley. La sénatrice Elizabeth Warren compte d’ailleurs démanteler les géants technos si elle est élue à la présidence des États-Unis en 2020.
Grâce à sa connaissance intime des débuts de l’entreprise et à l’étoffe de son propos, l’appel de Chris Hughes qui a été repris dans les médias généralistes un peu partout sur la planète résonne plus que les autres.
Long de plus de 6000 mots, son essai aborde plusieurs sujets en lien avec le réseau social, mais c’est surtout son invitation à scinder Facebook, Instagram et WhatsApp (en plus de bannir temporairement toute acquisition future) qui a retenu l’attention.
L’impact de cette mesure serait toutefois relativement limité. Avec ses 2,3 milliards d’utilisateurs mensuels sur sa plateforme principale, Facebook causerait les mêmes problèmes qu’à l’heure actuelle, avec ou sans Instagram et WhatsApp (comme faciliter la désinformation, mettre à risque des informations privées de ses utilisateurs et permettre l’éclosion de positions extrêmes un peu partout dans le monde).
La situation est d’ailleurs la même chez les autres grands joueurs technos, qui sont généralement aussi visés par ces appels au démantèlement. En changeant sa structure corporative en 2015 avec la création de sa société mère Alphabet, Google a littéralement fait tout le travail d’un éventuel législateur qui souhaiterait diviser l’entreprise. DeepMind, Google Fiber, Sidewalk Labs, Waymo et X seraient alors toutes des compagnies à part entière. Le cœur de Google, lui, serait préservé intact, pour le meilleur et pour le pire.
Cela ne veut pas dire qu’il serait inutile de démanteler ces grandes entreprises, si c’est ce que le gouvernement décide un jour. Mais les coupures devront probablement être effectuées plus profondément que les démarcations évidentes et, surtout, le travail parallèle de réglementation pour encadrer ces nouvelles compagnies sera encore plus important.
Un appel à la régulation
Chris Hughes croit qu’une plus grande concurrence dans le milieu des réseaux sociaux pourrait contribuer à régler la situation, mais l’entrepreneur propose en plus la création d’une nouvelle structure pour encadrer ce qui peut être dit sur Facebook et les autres.
Selon lui, une agence sous la responsabilité du Congrès américain devrait être mise en place pour chapeauter les réseaux sociaux, notamment en s’assurant du respect de la vie privée de leurs utilisateurs et de l’interopérabilité entre les plateformes (une autre mesure pour encourager la concurrence).
Hughes croit aussi que l’agence devrait créer des balises sur ce qui peut être dit sur les réseaux sociaux. L’agence s’assurerait du respect de ces limites, et les tribunaux décideraient des appels. L’idée ne plait pas à tous, mais le status quo n’est pas acceptable, puisque ces balises sont pour le moment établies par l’industrie et elles manquent de transparence.
D’autres solutions ont été énoncées ces jours-ci pour encadrer les réseaux sociaux, notamment par le gouvernement français, qui propose une régulation inspirée du secteur financier. Le rapport publié cette semaine par le gouvernement Macron encadre toutefois surtout la modération des contenu haineux, et non les autres problèmes créés par ces plateformes (ni ceux des autres secteurs technologiques).
Dans un cas comme dans l’autre, les solutions proposées sont assez douces. D’autres industries sont pourtant encadrées beaucoup plus strictement, comme l’aviation, l’industrie du tabac ou l’industrie pharmaceutique.
Comme l’indique Ezra Klein de Vox, la société civile pourrait décider de règles plus dures, comme limiter le temps que les enfants peuvent passer sur ces sites, forcer les sites avec plus de 100 millions d’utilisateurs à ouvrir leurs algorithmes pour un examen public ou forcer les sites avec plus d’un milliard d’utilisateurs de prendre la responsabilité éditoriale pour ce qui y est dit.
En analysant les réponses à l’essai de Chris Hughes, il est fascinant de constater à quel point le discours a changé en quelques mois seulement. À peu près plus personne, même pas Facebook, ne semble prôner l’autorégulation. La question est passée de «Faut-il légiférer pour encadrer les géants technos?» à «Que faut-il faire pour les encadrer?».
Le véritable débat peut maintenant commencer.
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Bonjour M. Fleury,
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Les apprentis-sorciers, Facebook et compagnie, ont été négligents et la boîte de Pandore est grande ouverte. Par principe de précaution, il eut fallu être extrêmement prudent et même un peu paranoïaque avec les données personnelles de millions, que dis-je, de milliards d’individus. Pour preuve les millions de mots de passe conservés en clair sur des serveurs de Facebook… Un amateurisme inquiétant pour un géant comme Facebook. On peut bien en rire, mais cela est de l’irresponsabilité grave.
Ces apprentis-sorciers étaient inconscients, obnubilés par les perspectives de profits juteux et sans doute un peu naïfs. C’est bien beau de vouloir rapprocher les gens, mais c’était sans compter la création de chambres à échos pour les propos extrémistes qui sont devenues de véritables pouponnières de groupes extrémistes. Avec des conséquences documentées dans le génocide des Rohingyas, des lynchages de supposés kidnappeurs d’enfants en Inde et d’autres excès de la vindicte des foules. Là on ne rit plus, ou plutôt on rit jaune… Des gens sont morts!
Sans compter l’effet sur nos démocraties… Rappelons le scandale «Cambridge Analytica» où plus de 80 millions de comptes Facebook ont été détournés et utilisés dans des opérations de propagande ciblée à grande échelle avec des résultats assez catastrophiques pour nos démocraties. Deux très mauvaises surprises en ont probablement résulté. La sortie du Royaume-Uni de la Communauté Européenne (BREXIT) et l’élection de Donald Trump comme président des États-Unis qui s’est appuyé sur Cambridge Analytica pour ravir les états clés de Pennsylvanie, du Michigan et du Wisconsin.
Le bien commun n’est pas l’objectif des grandes entreprises et malheureusement de certains gouvernements qui obéissent aux lois du marché et cèdent aux lobbies plutôt que de protéger leurs citoyens. Le marché ne se régulera pas tout seul, ou plutôt, il se régulera après qu’une série de catastrophes se seront produites.
La situation est devenue si grave que plusieurs joueurs importants dont Facebook et Microsoft demandent aux gouvernements de les règlementer. Je pense aussi que maintenant qu’ils ont les poches bien pleines, certains dirigeants des GAFAM commencent à se soucier de leur image et de la trace qu’ils laisseront dans l’Histoire.
Il est impossible de revenir en arrière et «désinventer» une technologie. La solution devrait être une réglementation et des lois pour contrôler les abus, incluant des traités internationaux. Cela dit, la création de lois devrait être plus rapide et plus réactive pour s’accorder au rythme de la technologie.
Claude Coulombe
doctorant en sciences cognitives
TÉLUQ / UQAM
L’ancien camarade de chambre du PDG de Facebook publie une longue tribune dans le New York Times ou il appelle au demantelement de l’entreprise et a sa regulation.