Si la tendance se maintient, notre paysage télévisuel risque fort de perdre un jour sa couleur locale. C’est que, en 2020, 52 % des Québécois étaient abonnés à Netflix, selon l’enquête annuelle NETendances de l’Université Laval. Le service américain se situe ainsi loin devant Club illico (16 %) et la version payante d’ICI Tou.tv (9 %), notamment. Voilà qui est inquiétant, car le taux d’abonnement aux câblodistributeurs et à la télévision par fibre optique, lui, est passé de 84 % en 2017 à 72 % en 2020.
Les deux vont coexister encore longtemps et l’industrie n’est pas au bord du précipice, mais la tendance générale est claire : les plateformes de diffusion en continu américaines prennent de plus en plus la place des services traditionnels québécois.
« Les plateformes les plus puissantes contrôlent toute la chaîne de valeur, de la production à la distribution. Ce qui est produit est soumis à leurs impératifs commerciaux, qui ne répondent pas forcément à l’intérêt du public d’ici », se désole Destiny Tchéhouali, professeur au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal. « Ce serait une erreur de capituler face au rouleau compresseur hollywoodien et à l’impérialisme culturel américain », ajoute-t-il.
Les débats du printemps entourant la réforme de la Loi sur la radiodiffusion au Canada ont fait grand cas de l’importance de préserver la culture nationale à l’ère du numérique. Imposer aux Netflix de ce monde de rendre le contenu d’ici plus facile à trouver — en le mettant au premier plan sur la page d’accueil, par exemple, ce qui améliore sa « découvrabilité » — est une façon d’assurer une certaine vitrine aux séries et aux films produits sur notre territoire.
Le contenu québécois est après tout le pain et le beurre des services locaux. Et le succès de ceux-ci est également d’une importance capitale pour la culture québécoise. Autrement dit, le contenant compte aussi.
Prospérer à long terme dans un environnement aussi compétitif ne sera toutefois pas facile. David devra relever plusieurs défis s’il veut survivre aux côtés de Goliath.
Il faut dire que la concurrence est forte : avec Netflix, Disney+, Prime Video, Paramount+, Apple TV+, Club illico, Vrai, ICI Tou.tv, RDS, TVA Sports, Crave et bien d’autres, les amateurs de télé en ligne doivent par exemple multiplier les abonnements pour accéder à tout le contenu qu’ils désirent. Un Québécois qui voudrait s’inscrire à tous ces services devrait débourser plus de 150 dollars par mois.
« C’est très difficile de se démarquer. Le consommateur est exposé à une incroyable diversité d’offres », résume Destiny Tchéhouali.
La recette pour y arriver n’est pas évidente, mais les services locaux devront convaincre les Québécois de leur confier une part de leur budget divertissement, plutôt qu’aux géants internationaux. Et probablement que, pour avoir une industrie en santé, les amateurs de télé québécoise devront s’abonner à plusieurs services d’ici.
La facilité d’accès est aussi à considérer. Plus un service offre différentes portes d’entrée à son audience — ordinateurs, appareils mobiles, consoles de jeux vidéos, télés intelligentes et adaptateurs télé comme le Roku et le Chromecast —, plus il améliore ses chances d’attirer de nouveaux abonnés. Télé-Québec l’a prouvé, puisque la consommation de ses contenus a augmenté de près de 20 % après le lancement, en février, de sa nouvelle plateforme en ligne gratuite compatible avec une multitude d’appareils supplémentaires. « La plateforme était plus simple pour l’usager, et elle était plus facilement accessible », explique Marie Collin, présidente-directrice générale de Télé-Québec.
Malheureusement, les appareils du genre sont nombreux. Netflix et Amazon peuvent mettre au point plus d’applications qu’un service qui se limite au marché local. « Il faut faire des choix, alors on vise ce qui est le plus populaire », reconnaît Christiane Asselin, directrice principale d’ICI Tou.tv. Lancer le service sur une nouvelle plateforme demande le travail « d’une petite équipe pendant plusieurs mois », souligne-t-elle, sans compter les mises à jour à effectuer par la suite.
Les services américains ont aussi une immense puissance de frappe pour acquérir des films et des séries télé. « Il y a une véritable guerre entre les grandes plateformes pour l’obtention de contenu », dit Destiny Tchéhouali. Cette lutte a des répercussions au Québec, puisque les consommateurs deviennent habitués aux nouveautés. « Économiquement, les plateformes locales peuvent difficilement soutenir cet appétit », se désole-t-il.
Pour donner une idée de l’ordre de grandeur, notons que Netflix prévoit investir 20 milliards de dollars en 2021 dans l’acquisition et la création de contenu. C’est environ six fois plus que l’ensemble des productions télé et cinématographiques canadiennes.
Non seulement les services américains ont des budgets immenses, mais dans certains cas, ils n’ont même pas besoin d’atteindre la rentabilité. Ainsi, Apple TV+ permet avant tout à Apple de rendre plus alléchant l’abonnement à son service Apple One, qui rassemble notamment de l’espace de stockage en ligne et des jeux vidéos.
C’est le même principe pour Amazon Prime Video, qui connaît une forte croissance dans le monde. Il représente surtout, pour le géant de la vente en ligne, une façon d’attirer les consommateurs vers le service de livraison Amazon Prime, dont les abonnés dépensent deux fois plus que les autres clients dans la boutique Internet. Ce n’est pas pour rien que, plus tôt cette année, Amazon a déboursé plus de 10 milliards de dollars pour l’achat du studio de cinéma américain MGM (Metro Goldwyn Mayer), une somme bien au-dessus de sa valeur, estimée à 6,7 milliards de dollars.
Quelques stratégies aident à se tailler une place face aux entreprises américaines. Une présentation intelligente des contenus, comme les listes de lecture liées à l’actualité de l’ONF, et l’organisation d’événements télévisuels, comme la présentation de La face cachée de la Lune, de Robert Lepage, à Télé-Québec, sont de bonnes idées. La création d’émissions de qualité qui attirent de nouveaux auditoires (C’est comme ça que je t’aime, sur ICI Tou.tv, ou Victor Lessard, sur Club illico) est bien sûr un autre atout. Mais le travail est toujours à recommencer.
Selon Destiny Tchéhouali, « le gouvernement devra y mettre du sien » pour aider les services québécois à prospérer. La plateforme de Télé-Québec a d’ailleurs été financée par le Plan culturel numérique du gouvernement du Québec. Dans l’ensemble, les efforts de l’industrie et de l’État sont pour l’instant plus tournés vers le contenu que vers les contenants.
Selon Destiny Tchéhouali, « le gouvernement devra y mettre du sien » pour aider les services québécois à prospérer. La plateforme de Télé-Québec a d’ailleurs été financée par le Plan culturel numérique du gouvernement du Québec. Dans l’ensemble, les efforts de l’industrie et de l’État sont pour l’instant plus tournés vers le contenu que vers les contenants. C’est d’ailleurs la même chose en France, où les plateformes de diffusion vidéo comme Netflix et Disney+ doivent verser de 20 % à 25 % de leur chiffre d’affaires au financement du cinéma et de l’audiovisuel français, depuis l’adoption d’un décret cet été.
Si l’industrie américaine du divertissement sert parfois à « vendre des piles et du papier de toilette », comme l’illustrait l’année dernière dans un essai le professeur de marketing de l’Université de New York Scott Galloway, les services télé québécois présentent un intérêt qui va bien au-delà de l’économie. Cette réalité gagnerait à être mieux expliquée.
Le cinéma et la télé font partie de notre culture. Une industrie diminuée pourrait avoir un effet négatif à long terme sur l’identité québécoise, surtout chez les plus jeunes, qui adoptent les services Internet dans une plus grande proportion que leurs aînés.
« C’est bien qu’il y ait des œuvres québécoises sur Netflix, mais nous devons aussi créer notre propre contenu, sur nos plateformes, tant publiques que privées. Il faut proposer une bonne qualité et un bon volume, afin de produire de la richesse ici. On a une industrie audiovisuelle et une culture à protéger », observe la PDG de Télé-Québec, Marie Collin.
Pour y arriver, il faut d’abord et avant tout que ces services soient à la hauteur, et l’État doit leur faciliter la tâche. Mais les téléspectateurs ont aussi leur rôle à jouer quand vient le temps de choisir leurs abonnements. La bonne nouvelle, c’est que l’offre locale leur réserve d’agréables découvertes.
Cet article a été publié dans le numéro de septembre 2021 de L’actualité, sous le titre « Des plateformes fortes, pour protéger notre télé ».
Desolé de ne pas partager votre enthousiasme, la population du Québec ne justifie en rien de s’abonner à des plateformes telles Illico ou Ici ToutTV. Les poches du consommateur ne sont pas sans fond. Je ne suis abonné à aucune pas plus que Netflix, Amazon ou autres. Je ne souhaite pas que les gouvernements injectent des $ pour en bonifier le contenu et l’offre pour rivaliser avec ceux que je viens de citer. Déjà que les forfaits offerts sont déjà trop onéreux, qu’un forfait à la carte autre que ceux qui sont disponibles parce que plus rentable. Que l’on commence à faire le ménage chez nos distributeurs Bell, Vidéotron etc avant de s’attaquer aux géants.
Je suis abonné a Netflix qui me donne accès a des séries espagnoles, flamandes, scandivaves… j’ai même écouté une pas très bonne série luxembourgeoise. Mais s’y trouvent peu de séries provenant de la francophonie. C’est ce que j’attends impatiemment, un tout.tv hébergeant les télévisions française et wallonnes et québécoises. Avec son offre actuelle, tou.tv ne fait pas malheureusement pas le poids. Je ne lui demande pas de rivaliser avec Netflix, mais dix épisodes de la Maison bleue et de C’est pour ça que je t’aime, ce n’est pas suffisant pour s’abonner. N’oublions pas que le budget consacré aux loisirs n’est pas extensible à l’infini.