Du bitcoin aux infos biométriques : la carte d’identité de l’avenir arrive

La technologie à la base du bitcoin sera bientôt testée pour simplifier les passages à la frontière canadienne, explique Maxime Johnson. 

Photo: La Presse canadienne/Ryan Remiorz

Qu’ont en commun la chaîne de blocs (blockchain), la biométrie, le chiffrement numérique et les applications mobiles ? Ces quatre technologies font partie d’un nouveau système d’identité numérique pour voyageurs connus qui sera mis en place au Canada dans le cadre d’un projet-pilote. Un système futuriste et ambitieux, qui pourrait toutefois déplaire aux défenseurs de la vie privée.

Le concept du Known Traveler Digital Identity (KTDI) a été dévoilé la semaine dernière au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, par un groupe de travail rassemblant notamment des États (Canada, Pays-Bas, États-Unis), des entreprises privées (Accenture, Air Asia, Google, Visa) et des agences internationales (Association internationale du transport aérien, Interpol).

Le projet vise à simplifier toutes les étapes du voyage, dont les passages aux frontières, en permettant aux autorités d’évaluer le degré de risque des voyageurs avant même leur arrivée à l’aéroport.

L’idée est simple, mais le processus pour parvenir à la concrétiser reste complexe. Avec le KTDI, chaque organisme participant au système — États, entreprises privées, services de sécurité — ajoute de l’information dans un registre décentralisé, inspiré de la chaîne de blocs du bitcoin. Le KTDI n’est pas une nouvelle base de données centrale regroupant les informations privées des voyageurs — ce qui serait presque impossible à mettre en place entre les pays —, mais plutôt une sorte de table des matières des renseignements existants.

« Le registre peut par exemple indiquer que vous possédez un visa pour un pays, et cette information est confirmée par les autorités du pays en question », explique Carl Sharpe, responsable de l’analyse avancée de données et de l’intelligence artificielle à Accenture Canada, une entreprise qui a contribué à l’élaboration du programme.

Plus un voyageur utilise le système, plus celui-ci accumule des données. On y trouve notamment ses déplacements, le fait qu’un pays lui ait refusé l’entrée, son statut de voyageur fréquent, sa scolarité, ses vaccins, ses informations biométriques (pour l’identifier avec ses empreintes digitales, entre autres).

L’interface mobile du KTDI pour les agents frontaliers. (Photo : Accenture)

C’est avec ces informations qu’un pays peut évaluer le niveau de risque que représente le voyageur. Un entrepreneur qui passe sans problème la frontière entre les États-Unis et la Grande-Bretagne toutes les semaines pourrait ainsi être considéré comme représentant un faible risque lors de son arrivée au Canada. En débarquant de l’avion, une application mobile pourrait donc lui indiquer de se rendre dans une file plus rapide, comme le font les titulaires d’une passe NEXUS actuellement au Canada.

NEXUS est un programme volontaire qui permet aux voyageurs fréquents de passer plus rapidement la frontière et la sécurité à l’aéroport, à condition de se soumettre à une enquête de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Le KTDI est d’ailleurs l’équivalent d’un programme NEXUS, mais où la confiance se gagne automatiquement avec le temps, plutôt qu’après une analyse poussée sur une personne par des agents.

À l’opposé, le système peut aussi prédire quels voyageurs présentent le plus de risques. « Les entreprises technologiques ont fait des avancées importantes dans la collecte de données, l’apprentissage machine et l’intelligence artificielle, explique dans un document de travail Rob Torres, directeur responsable de Google Travel. Avec les informations fournies par les passagers, ces technologies peuvent être employées par les gouvernements pour […] analyser des jeux de mégadonnées complexes et prédire les risques de sécurité frontalière. »

Il faudra toutefois attendre encore plusieurs années avant d’en arriver là. Si le projet-pilote entre le Canada et les Pays-Bas qui sera mis en place cette année se déroule bien, le système sera déployé graduellement, et seulement ensuite, à mesure que les pays, les entreprises et les organismes s’entendront entre eux.

Une montagne de données

Le KTDI rassemble beaucoup d’informations privées, mais celles-ci sont chiffrées, illisibles sans un code d’accès, et seul l’utilisateur lui-même en a le contrôle. Pour consulter un historique de voyage et un inventaire de visas, les agents frontaliers devront demander la permission à l’utilisateur, qui pourra alors donner accès aux informations de son choix à l’aide d’une application mobile.

S’il refuse, les agents ne pourront pas lire les informations sur le KTDI. Le voyageur devra alors s’expliquer en personne, et pourrait même se voir interdire l’entrée au pays.

La liste des informations enregistrées dans le registre du KTDI est potentiellement longue, et pourrait susciter des craintes chez les organismes de défense de la vie privée, surtout que plusieurs entreprises privées y auront accès, comme les compagnies aériennes et les chaînes hôtelières.

Accenture ne s’attend toutefois pas à ce que la population s’en inquiète vraiment. « Les citoyens acceptent de plus en plus de donner leurs informations privées en échange d’un service simple, et nous croyons que ce sera la même chose ici », estime Dave Telka, directeur responsable de la santé et des services publics numériques à Accenture Canada.

Les habitudes des gens sur Internet tendent d’ailleurs à lui donner raison : ils divulguent leurs informations privées à Facebook et Google pour profiter de leurs services gratuits. Quand ils auront le choix entre donner leurs informations pour passer rapidement à la douane ou refuser de les partager et devoir faire la longue file avec les autres voyageurs récalcitrants, il y a fort à parier qu’ils choisiront la facilité.

À moins que le système ne les classe avec les personnes à risque. Passer la frontière sera alors plus difficile que jamais, peu importe si leur mauvaise note est justifiée ou non.