Le microciblage publicitaire est un outil puissant pour les commerces et les entreprises. Un restaurant haut de gamme souhaitant élargir sa clientèle peut par exemple créer des publicités sur Facebook qui ne s’afficheront que sur le téléphone des amateurs de gastronomie aisés de son quartier qui fréquentent ce genre d’établissements. Les entrepreneurs peuvent ainsi concevoir un message ciblé pour attirer leurs futurs clients le plus efficacement possible.
Ces annonces peuvent aussi être utilisées à des fins politiques. Un parti peut essayer de décourager une frange de la population de voter, miser sur les peurs des uns (« seul notre candidat vous protègera des immigrants ») ou confirmer les perceptions des autres (« l’autre candidat est encore pire que vous le croyez »).
« Ce microciblage publicitaire à des fins politiques m’inquiète », affirmait récemment Ellen Weintraub, commissaire à la Commission électorale fédérale (Federal Election Commission, ou FEC) à l’occasion de la conférence Collision From Home. Cette technique «permet à des individus de profiter des données qui existent sur vous pour vous présenter des publicités différentes de celles que voit quelqu’un à l’autre bout de votre table », expliquait la commissaire.
« Le danger est que les gens restent dans leur silo d’informations et n’entendent plus les contre-arguments », poursuivait-elle. Pour la commissaire d’allégeance démocrate, ces publicités vont en quelque sorte à l’encontre du premier amendement de la Constitution américaine, qui protège la liberté d’expression, puisqu’elles limitent le débat politique en n’offrant aucune possibilité de présenter un contre-argument.
Une réponse insuffisante des plateformes
Le problème du microciblage publicitaire à des fins politiques n’est pas nouveau. « C’est une stratégie que la Russie a employée en 2016 », rappelle Ellen Weintraub, faisant référence aux tentatives d’influence russes lors des dernières élections fédérales américaines. Plusieurs appels ont été lancés depuis pour ne pas que ces abus se répètent.
La commissaire à la FEC a d’ailleurs demandé aux plateformes de restreindre le microciblage publicitaire pour les publicités politiques, mais leur réponse ne l’a pas satisfaite. Twitter a banni toutes les publicités politiques en 2019, Google a simplement limité le niveau de ciblage possible et Facebook n’a pas modifié ses politiques.
« Twitter a probablement été trop loin. Je veux promouvoir un bon dialogue et un partage de la bonne information, pas que tout soit interdit », a observé la commissaire.
Du côté de Google, Ellen Weintraub estime que le ciblage permis – code postal, sexe et groupe d’âge – est encore trop précis. Facebook est évidemment sa plus grande déception. « Nous sommes sous la coupe de ces plateformes. Elles essaient de s’améliorer, mais elles doivent essayer plus fort », a-t-elle affirmé.
Aucune solution en vue
Malheureusement, il ne sera pas possible de contraindre les plateformes Internet si elles refusent de bouger. Même si elle décidait de restreindre le microciblage publicitaire, la FEC – une agence bipartisane – a passé la majeure partie de l’année écoulée avec seulement trois commissaires sur la commission, soit moins que le minimum requis pour atteindre le quorum. Depuis septembre 2019, l’agence n’a été capable de travailler efficacement que pendant 28 jours, et la démission de la commissaire Caroline C. Hunter effective le 1er juillet n’a rien arrangé. La FEC se retrouve à nouveau impuissante, incapable notamment d’enquêter ou d’imposer des amendes en lien avec le financement des partis politiques. Tout ceci à quelques mois seulement des élections fédérales américaines.
Un projet de loi pour limiter le microciblage a bien été introduit au Congrès américain par une élue démocrate en mai dernier, mais comme l’a fait remarquer Ellen Weintraub, « le Congrès a de la difficulté à faire passer ses législations », qui peuvent être bloquées par le Sénat républicain.
Et c’est d’autant plus dommage que le problème pourrait être particulièrement épineux lors des élections cet automne. « Nous sommes beaucoup à la maison. Nous n’avons plus la possibilité de discuter autour de la machine à café. On ne peut pas se faire expliquer qu’une information à laquelle on croit provient d’une fausse nouvelle », observe Ellen Weintraub. Le microciblage a joué un grand rôle dans les élections de 2016. Mais à cause de la crise de la Covid, « ce sera encore plus important cette fois-ci.
La solution, interdire le microciblage des publicités politiques serait pourtant si simple si les plateformes choisissaient de le faire.