Enseigner l’intelligence artificielle aux enfants

Connaître les fondements de l’intelligence artificielle (IA), apprendre à l’utiliser et à en saisir les répercussions éthiques : voilà les objectifs d’un nouveau projet-pilote lancé dans une école primaire de Montréal. Notre chroniqueur techno Maxime Johnson y était. 

« Les humains sont intelligents, mais l’intelligence artificielle, c’est quelque chose qu’on a fabriqué. Ce n’est pas comme notre intelligence. Ça serait presque impossible de fabriquer un ordinateur qui serait comme nous. » Voilà comment une élève de 3e année de l’école au Pied-de-la-Montagne, à Montréal, résume l’intelligence artificielle au début du premier atelier de la campagne Éthique et IA, de l’organisme Kids Code Jeunesse.

Elle et ses condisciples sont en quelque sorte les cobayes d’un nouveau programme sur l’intelligence artificielle (IA) qui devrait être donné à des milliers de jeunes partout au Canada l’année prochaine.

« Cette génération est la première à être entourée par l’IA. Nous, nous avons vu un monde avant l’intelligence artificielle, mais eux, ils sont nés dedans. C’est important qu’ils comprennent ce que c’est pour prendre des décisions éclairées, qu’ils comprennent que ce n’est pas de la magie et qu’ils aient les outils nécessaires pour s’en servir positivement », explique Kate Arthur, fondatrice et PDG de Kids Code Jeunesse, un organisme qui dirige depuis six ans des ateliers de programmation et de pensée computationnelle pour les jeunes.

Un cours en trois parties

L’initiative lancée mercredi à Montréal a été conçue par Kids Code Jeunesse avec l’aide d’experts de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique et du Montreal AI Ethics Institute. L’atelier présenté aux enfants de la classe de Marjolaine Cloutier-Proulx à l’école au Pied-de-la-Montagne est dirigé par la responsable du projet-pilote, Lucie Luneau, mais ce seront à l’avenir des enseignants formés par Kids Code Jeunesse qui initieront leurs élèves à l’intelligence artificielle. « Nous avons déjà formé des enseignants montréalais la semaine dernière, et nous avons d’autres formations prévues à Toronto et à Vancouver », note la chargée de projet.

L’atelier débute par un petit jeu, où la classe doit déterminer si des tâches sont normalement effectuées par un humain ou un ordinateur. Des concepts comme « recommander une chanson », « raconter une blague », « dire s’il fait noir » et « reconnaître un million de visages », que Lucie Luneau utilise pour faire germer l’idée qu’un ordinateur peut effectuer des tâches humaines, mais qu’il y a toujours une personne en chair et en os derrière le logiciel.

La deuxième partie de l’atelier permet aux élèves de devenir cette personne. À l’aide d’un outil mis au point par un développeur anglais, Lucie Luneau code avec les enfants un logiciel capable d’utiliser un réseau de neurones pouvant être entraîné au moyen de données pour déterminer si une phrase est joyeuse ou triste.

Pour quelqu’un qui n’a jamais été en contact avec des enfants déjà initiés à la programmation, la scène est fascinante. Les petites mains se lèvent, et tour à tour, ils indiquent quoi ajouter dans Scratch — un langage de programmation élaboré spécifiquement pour les jeunes — pour arriver à leurs fins. En quelques minutes, ces enfants de huit et neuf ans assimilent les bases de l’apprentissage machine et acquièrent les rudiments d’un logiciel utilisant cette technique.

Il en reste beaucoup à faire pour construire un outil du genre à partir de zéro, mais ce n’est pas l’objectif visé non plus. « Les jeunes n’ont pas besoin d’être les meilleurs programmeurs du monde, mais surtout de comprendre comment ça fonctionne », observe Kate Arthur. Dans l’atelier, les enfants voient l’effet qu’ont les données fournies au logiciel sur sa capacité d’offrir de bonnes réponses par la suite, mais aussi le taux de confiance avec lequel celles-ci sont formulées.

« À partir de là, on peut ouvrir sur l’éthique. Leur faire comprendre que les algorithmes n’ont pas toujours raison. Nous voulons aussi aborder les biais : en entraînant le modèle avec de mauvaises données, les décisions que l’on obtient ne sont plus forcément bonnes », explique Lucie Luneau, qui donnera cette partie de l’atelier dans un autre projet-pilote à venir.

« Nous avons encore quelques mois pour préciser le programme. Nous allons faire des pilotes comme aujourd’hui jusqu’en juin et nous allons les diffuser d’une manière plus large partout au Canada en septembre », prévoit la chargée de projet.

Un exercice essentiel pour comprendre la société d’aujourd’hui

Marjolaine Cloutier-Proulx, enseignante à l’école primaire au Pied-de-la-Montagne.

Avec de bonnes discussions et des exercices, les jeunes pourront comprendre les biais que peut avoir l’intelligence artificielle, l’importance de la transparence dans les algorithmes et la responsabilité de ceux qui les programment. Bien des adultes ne peuvent pas en dire autant.

Pour Marjolaine Cloutier-Proulx, l’intelligence artificielle et la programmation en général sont aussi d’excellents outils d’enseignement, qui s’amarrent bien au cursus scolaire. « Ça touche l’éthique, les mathématiques, la science, la lecture. Il y a beaucoup de liens à faire avec le programme si on cherche un peu », explique celle qui a choisi d’intégrer l’informatique à ses classes depuis plusieurs années maintenant. « Mais cette fois-ci, c’est une nouvelle porte qui s’ouvre », ajoute-t-elle. L’enseignante compte d’ailleurs poursuivre les ateliers au-delà de ce qui a été présenté aujourd’hui, en effectuant notamment d’autres exercices avec les outils d’intelligence artificielle à sa disposition.

« Les enfants vivent dans un monde technologique. Ils doivent en comprendre les enjeux et savoir s’en servir s’ils veulent être de bons citoyens numériques », lance Marjolaine Cloutier-Proulx, qui compte bien continuer à apporter sa contribution pour les préparer.

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Très belle initiative de Lucie Luneau et KCJ! Bravo à l’équipe. Prompt lancera cette semaine la nouvelle à l’effet qu’il y aura aussi un camp pour ados sur l’IA qui sera offert à Mtl cet été en collaboration avec Mila et Imagia.

Programmer est un métier. « Ce n’est pas parce qu’une personne connaît parfaitement l’Anglais qu’elle est pour autant capable d’écrire un roman dans cette langue. Qui plus est, ce n’est pas parce qu un enfant sait nommer correctement toutes les notes de la gamme qu’il est pour autant capable de composer une symphonie ou d’écrire un air de rock.

De la même manière, il ne suffit pas de connaître les instructions d’un langage [même s’il est enfantin] pour savoir comment les utiliser pour résoudre un problème donné. Cette confusion est à la base de nombreux déboires. Beaucoup ont cru que, puisqu’il suffisait de quelques jours pour apprendre le Basic, on pouvait donc devenir programmeur en quelques jours. » (Claude Delannoy, Initiation à la programmation, p. 17)