Faire parler les morts grâce à l’IA

Énième variation sur ChatGPT : faire un deuil virtuel en conversant avec un proche passé à trépas. Une innovation qui en trouble certains.

Homme : sensorSpot / Getty Images ; bande son : sangidan idan / Getty Images ; montage : L’actualité

Steve Jobs est mort en 2011. Entendre le cofondateur d’Apple expliquer que « le plus grand événement de 2020 a été la pandémie de COVID-19 », avec son ton posé et son timbre caractéristique, donnera un frisson à certains. Évidemment, ce n’est pas Steve Jobs qui parle, mais une reproduction numérique de sa voix, avec qui il est possible de discuter de tout et de rien grâce au service Forever Voices, offert sur l’appli de messagerie Telegram pour 60 cents américains la minute. 

Afin de la créer, le développeur américain John H. Meyer a entraîné le robot conversationnel ChatGPT avec des discours de Steve Jobs pour qu’il reproduise sa personnalité et ses tournures de phrases. Différents logiciels lui ont permis d’imiter sa voix à partir d’enregistrements (cinq minutes suffisent) et de concevoir une interface pour converser par messages vocaux. 

Le développeur a également produit d’autres doubles numériques avec qui il est possible d’échanger, notamment la chanteuse Taylor Swift, l’ex-président Donald Trump… et surtout son père, décédé en 2017 à l’âge de 50 ans. « Vous pouvez dire que je suis fou, mais après avoir perdu mon père, j’espérais un jour pouvoir parler avec lui de nouveau grâce à l’intelligence artificielle », a-t-il expliqué sur Twitter en mars, peu de temps avant de lancer Forever Voices.

Impossible pour l’instant de faire de même avec un de vos proches ayant rendu l’âme, mais toutes les pièces technologiques du puzzle existent. Le moment où un tel service automatisé sera offert se compte probablement en mois plutôt qu’en années.

À l’heure où même les chercheurs en intelligence artificielle (IA) s’inquiètent des dérapages de cette dernière, l’idée de faire « revivre » un défunt semblera mauvaise à certains. « Nous parlons déjà à nos morts au cimetière », note toutefois le sociologue Gil Labescat, directeur de la recherche et de l’innovation dans une société informatique et chargé d’enseignement à l’Université de Montréal, où il s’intéresse au deuil, à la mort et aux technologies.

Beaucoup de gens publient des messages sur la page Facebook d’un ami décédé, ou encore écrivent des lettres à leur papi qui n’est plus, rappelle-t-il. Bien sûr, le grand-père ne répond jamais en retour. Mis à part un dialogue intérieur, la correspondance est à sens unique. Et c’est là que les IA changent la donne.

Difficile de prédire les conséquences d’une telle technologie, mais on se doute qu’il y aura à la fois du bon et du désastreux. Discuter avec un mort, même un simulacre de celui-ci, pourrait permettre aux blessures de certains de mieux cicatriser, explique Gil Labescat. Même avec les meilleures intentions du monde, la technologie risque toutefois de complexifier le deuil dans d’autres cas, prévient-il. La majorité des gens feront la différence entre une IA et la personne disparue. Mais il y aura aussi des exceptions, des endeuillés pour qui ces discussions seront malsaines. « Qui sera responsable dans ces cas-là ? » demande-t-il. 

Encore faut-il que les IA soient déployées d’une façon éclairée, précise le sociologue, qui craint des dérives éthiques et commerciales. Si dialoguer avec l’avatar de sa conjointe dans les mois suivant sa mort peut faire du bien, quel effet aurait la réception d’un courriel enjoignant de se réabonner au service un an plus tard ?

Et qui devrait consentir à la création d’un tel avatar ? La personne concernée, avant son décès, ou ceux qui restent ?

Nul n’a les réponses pour le moment.

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