Filtre Bold Glamour : beauté dangereuse

Une nouvelle classe de filtres conçue pour TikTok sème l’émoi chez ceux qui s’inquiètent de ses effets sur l’estime de soi des jeunes.

Jeune fille : Sanne Berg / Getty Images ; cellulaire : Valiantsin Suprunovich / Getty Images ; montage : L’actualité

Sans le nom du filtre écrit (en petit) au bas de la vidéo TikTok, on n’y verrait que du feu. Bold Glamour (splendeur audacieuse), lancé en février, se superpose parfaitement au visage de la personne filmée et donne l’illusion qu’elle vient de passer des heures au salon de beauté. Dans une vidéo aimée plus de 100 000 fois, l’influenceuse beauté américaine Kelly Strack semble subjuguée par son apparence. « Je n’ai pas l’air de ça ! » s’exclame-t-elle en observant sa peau lisse et maquillée, ses lèvres plus pulpeuses que d’habitude et son visage aminci.

Le réalisme de ce filtre très populaire est inégalé. Même si le sujet bouge ou passe ses mains sur son visage, impossible de déceler que ces « améliorations » ne sont pas authentiques. 

Ce n’est pas la première fonctionnalité en réalité augmentée à transformer l’allure de ceux qui s’en servent. Des centaines de filtres sur Snapchat, Instagram, TikTok et les autres tentent aussi de modifier ou d’améliorer l’apparence des utilisateurs, en y greffant des éléments cocasses comme des oreilles de lapin, par exemple, ou en changeant le teint de la peau ou la couleur des yeux. Mais Bold Glamour, mis au point par TikTok, va plus loin. À l’aide d’outils d’intelligence artificielle et d’une reconnaissance d’images puissante, il détermine avec précision la forme du visage humain et parvient à amalgamer les traits de la personne avec ceux d’un « masque » virtuel corrigeant les imperfections.

La technologie n’est pas nouvelle, mais les algorithmes utilisés sont meilleurs qu’auparavant. Ils ont été entraînés avec une base de données d’images beaucoup plus grande que ce qui avait servi jusqu’ici, contenant des portraits sous tous les angles possibles et dans toutes les conditions de luminosité imaginables.  

Tout cela est très amusant… jusqu’à ce que ce ne le soit plus. Les effets négatifs des réseaux sociaux et des filtres de beauté sur l’estime de soi des jeunes sont bien documentés. « Avant, une fille pouvait fermer un magazine et ne plus penser aux top-modèles qui s’y trouvaient. L’exposition aux réseaux sociaux chez les adolescents est continuelle. Il n’y a pas de repos », note Nina Duque, chargée de cours au Département de communication sociale et publique de l’UQAM. Les idéaux irréalistes véhiculés vont parfois jusqu’à faire naître un trouble dysmorphique corporel, soit l’idée obsessionnelle que son corps est bourré de défauts.

Et ça, c’est sans parler des autres dérives potentielles de la technologie. Les algorithmes mis au point pour Bold Glamour sont déjà utilisés par TikTok à d’autres fins. L’entreprise a par exemple également lancé Teenage Look, un filtre permettant de donner des traits adolescents à un adulte. Bien qu’il soit amusant à essayer, on est en droit de craindre qu’il ne serve possiblement à un leurre informatique. Ce filtre n’est heureusement pas aussi peaufiné que Bold Glamour (plus le sujet est vieux, moins l’effet semble réaliste), mais cela pourrait venir.  

Pour une rare fois, ces nouveaux filtres créent d’ailleurs un certain malaise au sein même des utilisateurs de TikTok. Parmi les dizaines de millions d’entre eux qui ont publié des vidéos avec Bold Glamour et Teenage Look, la moitié semble extatique et l’autre paraît offusquée. Mieux vaut toutefois s’y habituer. Comme c’est généralement le cas lorsqu’une fonctionnalité populaire fait son apparition, la technologie risque maintenant d’être copiée et de se répandre sur les autres réseaux sociaux.

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