Je discute, donc je suis

Les percées en intelligence artificielle de ces dernières années transforment les robots conversationnels. Simples curiosités amusantes il n’y a pas si longtemps, ces logiciels conçus pour discuter avec des humains peuvent maintenant nous aider dans notre vie de tous les jours et nous influencer, souvent sans même dévoiler leur nature artificielle.

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En 1950, alors que le concept de robot conversationnel n’existait pas encore, le mathématicien Alan Turing a fait une prédiction audacieuse : au tournant des années 2000, des ordinateurs pourraient soutenir une discussion de cinq minutes sans que 30 % de leurs interlocuteurs humains se doutent qu’ils conversent avec une machine.

La prédiction d’Alan Turing ne s’est pas encore réalisée. Du moins, pas d’une façon convaincante. La fréquence des interactions entre les hommes et les machines aurait toutefois de quoi surprendre le mathématicien.

Tous les jours, des millions de personnes parlent ou clavardent avec des robots, que ce soit pour se faire raconter des blagues par Siri sur leur téléphone intelligent ou pour obtenir des informations d’une manière originale grâce au robot conversationnel de Radio-Canada sur Facebook Messenger (qui affiche notamment les dernières actualités lorsqu’on lui demande par écrit « Quelles sont les nouvelles à la une ? »).

Dans ces exemples, les robots ne cachent pas qu’ils sont des machines, mais ce n’est pas toujours le cas. Le service à la clientèle en ligne est de plus en plus souvent assuré par des robots conversationnels, du moins pendant quelques interactions. Nous expliquons à notre insu notre problème à un logiciel au bas d’une page Web, qui dirige ensuite nos questions à la bonne personne (humaine, cette fois). Et plus la technologie s’améliorera, plus la proportion artificielle de la conversation grandira.

D’autres logiciels sont encore plus pernicieux. La Russie aurait ainsi utilisé des robots conversationnels sur Twitter en vue d’influencer le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. Leur simplicité empêche ces robots de discuter pendant des heures, mais ils peuvent s’immiscer dans des conversations pour partager des liens ou amplifier des messages, ce qui est suffisant pour qu’ils arrivent à leurs fins.

Cette influence peut aussi s’avérer positive. Ainsi, des robots ont été créés afin de calmer les ardeurs lorsque les esprits s’échauffent sur les réseaux sociaux. Rien de tel que de se faire dire en public « ce n’est pas très poli, tu devrais t’excuser » pour tourner sa langue sept fois avant de parler.

Et ce qui était surtout un phénomène écrit se transporte maintenant à l’oral. Google a présenté au printemps Duplex, une intelligence artificielle capable d’effectuer des appels téléphoniques crédibles pour accomplir des besognes comme réserver des places au restaurant ou prendre rendez-vous dans un salon de coiffure.

La technologie est encore en développement. Mais dans la démonstration publique de Google, en raison de la pertinence des propos et de la qualité de la synthèse vocale, le personnel qui a reçu les appels croyait parler à quelqu’un en chair et en os.

« Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien », disait aux débuts du Web une célèbre caricature du magazine New Yorker montrant un chien devant un ordinateur, en référence à l’anonymat que procurait Internet. Il serait peut-être temps de la remettre au goût du jour et de remplacer la légende par « Sur Internet, personne ne sait que vous êtes une machine ».