La réalité augmentée débarque dans les usines

Des outils logiciels mis au point au Québec aident des entreprises manufacturières à faciliter et accélérer la formation de leur personnel. Et ce n’est qu’un début.

Titami29 / Phonlamai Photo / Getty Images / montage : L’actualité

J’ai devant moi une trieuse optique par couleurs, l’une des dizaines de machines géantes sur le plancher de l’usine de recyclage de plastique Lavergne à Montréal. Au moment de ma visite, j’ignore à quoi elle sert, et encore plus comment la faire fonctionner ou la nettoyer. Mais grâce à un casque de réalité augmentée HoloLens 2 placé devant mes yeux, des images apparaissent virtuellement par-dessus l’appareil et m’indiquent la marche à suivre pour assurer son entretien.

Deux flèches virtuelles pointent par exemple les vis à tourner pour ouvrir le boîtier de la machine. À l’étape suivante, d’autres flèches surgissent pour me montrer où projeter de l’air comprimé. J’apprends à nettoyer la trieuse optique, mais j’aurais aussi pu être formé pour savoir comment la faire fonctionner ou pour en effectuer la maintenance préventive. 

« Notre but est qu’un employé qui n’a jamais fait une tâche puisse mettre le casque et la réaliser rapidement, sans se tromper », explique Nicolas Bearzatto, cofondateur et directeur général de DeepSight, l’entreprise montréalaise qui a conçu la plateforme logicielle utilisée par le casque de réalité augmentée pour afficher les instructions.

Un outil de plus pour la formation

La plateforme logicielle de DeepSight, lancée en février, arrive à un bon moment, alors que les besoins en formation du secteur manufacturier sont criants. Selon un récent sondage de Manufacturiers et exportateurs du Québec, 98,5 % des entreprises du secteur manquent de main-d’œuvre. Et la formation du nouveau personnel est souvent réalisée en collaboration avec des employés d’expérience, qui n’ont pas une minute à perdre dans leur quart de travail et sont donc doublement réquisitionnés.

Pour répondre à ce problème, DeepSight a développé une suite de logiciels permettant de concevoir des instructions sans programmation, un peu comme on ferait une présentation PowerPoint, puis de les afficher sur un casque HoloLens 2 de Microsoft. Chez Lavergne, l’employé chargé de créer les instructions prend une journée pour les assembler, puis les met à l’essai avec le personnel le lendemain et les ajuste selon les commentaires reçus.

La réalité augmentée a deux grands avantages par rapport aux instructions sur papier qui sont généralement offertes dans les usines : elle permet d’accomplir les tâches avec ses mains libres et de voir avec précision où effectuer les opérations.

Et ça semble fonctionner. La création des instructions n’est pas terminée chez Lavergne, mais l’entreprise aérospatiale québécoise Avior, où la technologie de DeepSight a été déployée avant son lancement officiel, affirme que le temps de formation des employés a été divisé par deux ou trois grâce à la réalité augmentée.

Les recrues ne sont toutefois pas les seules à profiter d’instructions en réalité augmentée. « Parfois, quelqu’un avec de l’expérience peut être transféré temporairement dans un autre service, et les employés de nuit n’ont pas toujours un superviseur avec eux quand ils ont des questions », illustre Patrick Laviolette, qui était formateur chez Lavergne au moment du passage de L’actualité, plus tôt cet hiver. 

« Nous mettons au point une console qui sera ajoutée au système pour recueillir des données qui aideront à déterminer, par exemple, en combien de temps les tâches sont réalisées et lesquelles sont les plus problématiques, ce qui permettra aux usines d’améliorer leurs instructions », note Nicolas Bearzatto.

D’autres usages à venir

Pour Yoan Lavergne, directeur du marketing chez Lavergne (une entreprise fondée et toujours dirigée par son père Jean-Luc), la formation n’est qu’un début pour la réalité augmentée.

« J’aimerais qu’on achète des lunettes pour chacun de nos gros clients, afin qu’on puisse les assister à distance », note-t-il. Présentement, Lavergne doit souvent envoyer des employés en Asie pour aider les clients à utiliser certaines machines et le plastique recyclé produit par l’entreprise. Un casque de réalité augmentée permettant de voir ce que font les employés à l’autre bout du monde et de les guider pourrait éviter certains déplacements. « Le potentiel est incroyable », note Yoan Lavergne. À environ 5 000 dollars le casque, le projet est toutefois sur la glace le temps que la technologie s’améliore et que son prix diminue.

D’autres avancées technologiques attendues pourront d’ailleurs aussi être utiles dans le secteur manufacturier, comme la reconnaissance d’image. Devant la trieuse optique par couleurs, le casque indique par exemple où visser, et demande de cliquer sur un bouton virtuel dans les airs avec les mains pour signaler que l’étape est terminée. Le logiciel pourra un jour s’assurer lui-même que l’opération a bel et bien été effectuée, ce qui en simplifiera l’utilisation et minimisera les risques d’erreur.

« C’est possible d’entraîner un modèle d’intelligence artificielle du genre dans un environnement contrôlé pour arriver à un tel résultat, mais présentement, la technologie ne permet pas vraiment de le faire pour que ce soit accessible dans n’importe quelle entreprise », précise Nicolas Bearzatto, ajoutant que DeepSight compte offrir dans l’avenir de telles fonctionnalités.