Le mammouth laineux revivra-t-il?

La jeune pousse américaine Colossal travaille à recréer le mammouth laineux. Pas pour nous rejouer Jurassic Park, mais pour revitaliser l’écosystème de la steppe de Sibérie. Et peut-être même, un jour, pour faciliter la reproduction d’autres espèces.

Leonello / Getty Images, montage : L’actualité

Ceci n’est pas une histoire de science-fiction. Recréer le mammouth laineux, une espèce parente de l’éléphant qui a disparu il y a 4000 ans, est le projet tout à fait sérieux de Colossal, une entreprise américaine lancée à l’automne. Et elle se donne à peine de quatre à six ans pour y arriver.

Au lieu de faire revivre un véritable mammouth, l’équipe compte utiliser des cellules d’éléphant d’Asie, une espèce semblable génétiquement à 99,6% au mammouth laineux, et y ajouter des gènes anciens. « Au départ, nous voulions cloner des mammouths laineux à partir de spécimens bien préservés, mais leur ADN était trop dégradé », note la chercheuse Eriona Hysolli, chef des sciences biologiques chez Colossal, lors d’une présentation à la mi-mars à la conférence South By Southwest (SXSW) aux États-Unis. L’équipe de chercheurs, menée par le généticien de renom George Church de l’Université Harvard aux États-Unis, s’est donc tournée vers le génie génétique.

« Nous avons isolé une cinquantaine de gènes du mammouth qui vont conférer une résistance au froid à l’éléphant », explique Eriona Hysolli. Plusieurs effets seront invisibles pour le commun des mortels, mais d’autres entraîneront des répercussions plus évidentes, comme l’ajout de l’épaisse fourrure des mammouths laineux.

Bien que l’on présente l’animal comme un mammouth laineux, techniquement, il s’agit plutôt d’une espèce hybride, reconnaît Eriona Hysolli.  

Mais pourquoi le mammouth?

D’autres espèces sont aussi dans la mire de Colossal, notamment des rhinocéros disparus. L’objectif : utiliser ces animaux pour modifier des écosystèmes, à commencer par la Sibérie, où des travaux du genre sont déjà en cours (mais avec d’autres animaux, comme des bisons) et où les chercheurs de l’entreprise ont déjà étudié des spécimens de mammouths laineux.

« Nous nous intéressons seulement aux espèces qui peuvent avoir un impact environnemental », note Ben Lamm, le PDG de l’entreprise, lors de SXSW. L’idée est la suivante : les grands animaux peuvent jouer un rôle positif dans certains écosystèmes, par exemple en restaurant la steppe en Sibérie, et même en ralentissant le réchauffement du pergélisol, ce qui aurait des effets bénéfiques sur le réchauffement climatique.    

Selon l’entreprise, le mammouth laineux serait techniquement un bon candidat pour cette expérience parce qu’il est assez lourd pour faire pénétrer la neige dans le sol et assez grand pour s’attaquer aux arbustes qui envahissent la steppe.  

« Les technologies que nous développons pour faire revivre le mammouth laineux peuvent aussi être utilisées pour préserver des espèces existantes », ajoute Ben Lamm. L’entreprise pourrait ainsi aider à reproduire des espèces qui ne comptent plus que quelques animaux vivants, ou encore à améliorer génétiquement des espèces menacées d’extinction afin de les faire vivre dans d’autres écosystèmes pour lesquels elles ne sont pas adaptées, plus loin des humains, par exemple (ce que Ben Lamm appelle « l’extension des espèces »).

L’impact inconnu de ces animaux sur les écosystèmes est un argument souvent énoncé contre la « désextinction » animale, le terme employé pour parler de la résurrection d’espèces éteintes. 

Même s’il existe en effet des cas connus d’introductions d’espèces qui ont entraîné des conséquences négatives (comme le lapin en Australie), d’autres exemples plus récents se sont toutefois avérés positifs, comme la réintroduction des loups dans le parc de Yellowstone aux États-Unis, qui a augmenté la biodiversité locale, rappelle le PDG de Colossal. 

La mise en liberté des mammouths laineux se ferait d’ailleurs en collaboration avec des groupes qui se penchent sur la revitalisation d’écosystèmes par la réintroduction d’espèces animales. « Ce n’est pas un problème qui se règle en laboratoire, nous collaborons donc avec des groupes qui travaillent sur le terrain depuis plus de dix ans », précise Ben Lamm.

Des ambitions pour la santé et la reproduction

Depuis sa création en septembre, Colossal a lancé trois laboratoires aux États-Unis et compte désormais 50 employés qui œuvrent en génie génétique. Après avoir obtenu près de 19 millions de dollars de financement en septembre, l’entreprise a annoncé à SXSW avoir obtenu du financement supplémentaire de 75 millions de dollars, principalement d’investisseurs de la Silicon Valley.

Est-ce seulement l’introduction d’un millier d’éléphants génétiquement modifiés en Sibérie qui justifie de tels investissements? Bien sûr que non.

« Toutes les technologies que nous développons peuvent avoir des implications pour la santé humaine et animale », estime Eriona Hysolli.

Colossal développe par exemple des technologies pour créer des cellules reproductrices à partir d’autres types de cellules. Cette gamétogénèse permettrait de créer des mammouths laineux à partir d’éléphants d’Asie sans leur enlever d’ovules, un processus invasif. Chez l’humain, cette gamétogénèse artificielle pourrait notamment être utilisée pour créer des ovules chez des patientes pour qui une ponction ovarienne n’est pas (ou plus) une option (d’autres entreprises développent d’ailleurs des technologies similaires, mais celles-ci ne seront pas prêtes avant plusieurs années : en plus des embûches scientifiques, de nombreuses questions légales et éthiques devront d’abord être réglées).

L’entreprise prévoit aussi mettre au point un utérus artificiel pour mettre ses embryons à terme, ce qui est essentiel considérant qu’elle souhaite produire des milliers de mammouths. Chez l’humain, « des utérus artificiels pourraient être utilisés pour les bébés prématurés », illustre la chef des sciences biologiques. Ici non plus, l’entreprise n’avance aucune date pour le développement d’une telle technologie.

Selon Ben Lamm, l’entreprise développe aussi des outils de séquençage génétique de nouvelle génération et des outils pour améliorer l’édition de l’ADN (l’entreprise utilise la méthode CRISPR pour insérer les gènes de mammouths dans l’ADN des éléphants) toutes des technologies qui pourraient avoir des intérêts commerciaux pour autre chose que la « désextinction » animale.