L’Empire aux mille yeux

La Chine met en place depuis quelques années un système de surveillance qui traque les déplacements de ses citoyens et classe leurs comportements à l’aide de caméras connectées, de reconnaissance faciale et d’intelligence artificielle. Portrait en trois actes d’un 1984 moderne.

Photo : Fanjianhua / Getty Images

Acte 1 : la surveillance

Plus de 170 millions de caméras connectées surveillent les habitants de l’Empire du Milieu, et 400 millions de plus sont prévues d’ici trois ans. J’ai eu l’occasion de voir un de ces appareils en action en 2016, lors de la visite d’un laboratoire de recherche chinois.

Les plus avancées de ces caméras peuvent filmer à plus d’un kilomètre de distance et agrandir l’image avec une précision remarquable. Comme dans un film de Jason Bourne, un logiciel permet d’élargir et de clarifier les vidéos, au point d’identifier quelqu’un ou de suivre une voiture à travers la ville.

À l’aide de la reconnaissance faciale, les caméras notent automatiquement les caractéristiques des personnes qu’elles observent. Sur un écran, une dizaine de photos de moi prises dans les heures précédentes s’étalaient avec l’inscription « homme blanc dans la trentaine ». Si le système avait été en ligne, mon nom aurait probablement aussi été écrit.

Acte 2 : les mégadonnées

Toutes les images enregistrées par ces caméras sont analysées et regroupées avec d’autres données, comme les dossiers criminels et les informations recueillies par les géants de l’Internet chinois.

En avril, le système aurait permis de reconnaître pendant un concert pop un criminel recherché pour fraude. « Le suspect ne croyait pas que la police aurait pu l’attraper dans une foule de 60 000 personnes aussi rapidement », aurait affirmé un policier à l’agence de presse Xinhua.

La nouvelle a des airs de propagande, et le système n’est probablement pas encore aussi efficace que l’État veut le faire croire. Au Royaume-Uni, où des corps policiers mettent à l’essai une technologie similaire, jusqu’à 92 % des personnes reconnues par les caméras seraient d’ailleurs de faux positifs : des quidams qui ne font que ressembler à des criminels.

Peu importe l’efficacité réelle, le message lancé aux Chinois est clair : vous êtes surveillés. Et même si la reconnaissance faciale n’est pas encore parfaite, ce n’est qu’une question de temps avant que la technologie s’améliore et signe la fin du concept d’anonymat dans le pays.

Acte 3 : le crédit social

Toutes ces caméras préparent l’arrivée en 2020 d’un système de crédit social, où les Chinois se verront attribuer une note en fonction de leur bonne conduite en société. De la même façon qu’une cote de crédit a une incidence sur la possibilité d’obtenir du financement, la cote sociale pourrait influencer la vie de tous les jours des habitants.

Des versions d’essai du système sont déjà en fonction dans certaines villes. Pendant que les naïfs se réjouissent qu’un bon classement leur permette de louer une chambre d’hôtel sans payer de dépôt, les mauvais citoyens (coupables par exemple d’« excuses insincères ») se voient empêcher de prendre l’avion et le train, et des dissidents ne peuvent envoyer leurs enfants dans les meilleures écoles.

Malheureusement pour ceux qui tomberont dans les mauvaises grâces du gouvernement et des grandes entreprises, l’adage « votre réputation vous précède » sera désormais une menace constante, partout où une caméra connectée portera son regard.

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La reconnaissance faciale par les caméras de surveillance pourra bien être déjouée par des criminels fins filous qui se mettront des masques synthétiques moulés sur leur visage. À chaque nouvelle technologie, il y a toujours l’envers de la médaille, soit un maillon faible, pour déjouer le système et la traque.

L’idée des caméras a un intérêt certain pour les criminels, mais établir un classement est totalement déjanté.