Les ambitions quantiques d’Hydro-Québec

Le réseau électrique de demain sera beaucoup moins unidirectionnel que celui que nous connaissons. Pour le bâtir, de nouveaux matériaux et des calculs très complexes seront nécessaires. Hydro-Québec croit que l’informatique quantique pourrait être la clé de ce grand projet.

Anna Bliokh, Slim 3D / Getty Images / Montage : L'actualité

Si on voulait dès aujourd’hui simuler et optimiser à la perfection le système énergétique du futur, Hydro-Québec estime qu’il lui faudrait plus de 800 ans de temps de calcul avec ses moyens actuels. Heureusement, l’informatique quantique pourrait changer la donne.

Le développement de cette technologie, où les ordinateurs ne sont plus limités par les 0 et les 1 de l’informatique classique, avance en effet rapidement. Déjà, des calculateurs quantiques sont accessibles pour les entreprises qui souhaitent commencer à s’y faire la main. Hydro-Québec est l’une d’elles.

« C’est un travail qu’on a entamé il y a quatre ans et dans lequel on met de plus en plus d’énergie », confirme Patrick Jeandroz, chef de l’expertise en science des données et calcul haute performance à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ).

La société d’État effectue d’ailleurs ses premières expérimentations en ce moment même, avec un calculateur quantique de l’entreprise canadienne D-Wave. « Ce sont de petits problèmes simplifiés liés au réseau d’Hydro-Québec », explique Patrick Jeandroz. Pour l’instant, l’objectif n’est pas de résoudre les défis de demain, mais plutôt d’apprendre à maîtriser la technologie. De toute façon, l’informatique quantique n’est pas encore prête pour un grand déploiement. « L’ordinateur quantique est un peu au même stade qu’était l’ordinateur classique à l’ère des cartes perforées », illustre-t-il.

Peut-être est-ce parce qu’elle est annoncée depuis si longtemps (le concept est apparu au début des années 1980), mais il y a un certain brouillard qui entoure l’informatique quantique. La plupart s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une technologie de rupture, qui risque même d’être plus importante que l’intelligence artificielle, mais on ignore encore quelle forme elle prendra exactement. « Ce brouillard commence à se dissiper, croit toutefois Patrick Jeandroz. On a déjà une bonne idée de la façon dont ces appareils pourront nous servir. »

Les calculs quantiques seront par exemple tout indiqués pour la recherche de nouveaux matériaux. À Hydro-Québec, une telle possibilité ouvre notamment la porte à l’amélioration des batteries mises au point à son Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie, mais aussi à la découverte de nouveaux alliages pour réparer les équipements, comme les groupes turbines-alternateurs dans les centrales hydroélectriques. « Ceux-ci sont fortement sollicités et ils se fissurent à la longue. On les répare et ils se fissurent encore. C’est un travail sans fin », se désole le chef de l’expertise. Des matériaux novateurs, découverts grâce à l’informatique quantique, pourraient briser ce cycle.

Le réseau électrique de l’avenir

Un autre bénéfice espéré de l’informatique quantique pour Hydro-Québec est l’optimisation des réseaux électriques, qui sont appelés à changer au cours des prochaines années.

« À l’heure actuelle, le réseau d’Hydro-Québec est assez unidirectionnel. Il y a des centres de production qui alimentent les centres de consommation en électricité. Dans l’avenir, le réseau va se complexifier », explique Patrick Jeandroz.

Sources d’énergie intermittente (énergie éolienne ou solaire, par exemple), énergie stockée dans des batteries, entités comme la filiale d’Hydro-Québec Hilo qui tentent de mieux répartir la consommation énergétique aux heures de pointe : gérer le réseau pour bien équilibrer l’offre et la demande d’électricité sera de plus en plus difficile. Cette optimisation est pourtant cruciale. C’est elle qui permet d’être plus profitable, de réduire notre importation d’électricité lors des quelques heures par année où cela est nécessaire ou encore de mieux fournir de l’énergie propre aux États-Unis lorsqu’ils en ont besoin.

« Peut-être qu’on voudra, par exemple, qu’une sécheuse démarrée le soir s’alimente à partir de la voiture électrique du voisin, pour pouvoir éviter de vider les réservoirs hydroélectriques. Mais il faudra quand même s’assurer que celle-ci sera complètement chargée le lendemain matin », illustre Patrick Jeandroz.

Les algorithmes et les ordinateurs actuels sont incapables de résoudre ces problèmes sans prendre des raccourcis. « Et si on n’a pas les bons algorithmes pour gérer toutes ces ressources de façon optimale, elles risquent de représenter plus une menace qu’un avantage », souligne le chef de l’expertise.

La voiture électrique du voisin peut après tout délester le réseau d’Hydro-Québec, mais si un million de véhicules semblables tentent de se recharger en même temps, c’est une autre paire de manches.  

En attendant l’ordinateur

Même s’il existe déjà des calculateurs quantiques capables d’effectuer certains calculs spécialisés, les véritables ordinateurs quantiques, eux, sont attendus d’ici 5 à 15 ans seulement, selon le niveau d’optimisme de la personne que l’on questionne à ce sujet. « Certains disent même que ça ne se concrétisera jamais, mais ils sont de plus en plus rares », note Patrick Jeandroz.

En attendant, Hydro-Québec ne se tourne pas les pouces. « La programmation d’un ordinateur quantique n’a rien à voir avec celle d’un ordinateur classique », rappelle le chef de l’expertise. Les prochaines années permettront ainsi aux chercheurs de l’IREQ spécialisés en calculs haute performance de se former en informatique quantique. Ils pourront alors écrire les algorithmes de demain et trouver comment intégrer les ordinateurs quantiques aux ordinateurs classiques, afin que nous puissions profiter du meilleur des deux mondes.

Et ce n’est là qu’un début. « Les chercheurs de chaque domaine, que ce soit en matériaux ou en optimisation du réseau électrique, vont aussi devoir un jour se familiariser avec l’ordinateur quantique », croit Patrick Jeandroz. Après tout, ce ne sont plus uniquement les informaticiens qui font de l’informatique classique. Il en ira un jour de même avec l’informatique quantique dans les domaines de pointe.