La démocratisation des nouvelles technologies et leur puissance de plus en plus grande représentent un fort potentiel pour les pays émergents, affirme le Rapport 2018 sur la technologie et l’innovation : Les technologies de pointe au service du développement durable, publié cette semaine par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
« C’est un rapport que nous réalisons ponctuellement pour aider les gouvernements des pays émergents dans leurs analyses », explique en entrevue téléphonique à L’actualité Angel Gonzalez-Sanz, coauteur du rapport et chef de la science, des technologies et des technologies de l’information et des communications à la CNUCED.
Le document recense de nombreux exemples concrets où des technologies modernes peuvent avoir un effet important dans les sociétés les plus pauvres. L’impression 3D, une technologie pour imprimer des objets plutôt qu’une image, permet par exemple de créer des membres artificiels sur mesure, sur place et à moindres coûts.
Les mégadonnées facilitent pour leur part la prise de décision des États dans divers enjeux, notamment de santé publique. Le ministère ougandais de la Santé s’est ainsi servi d’outils de cartographie des données pour gérer la distribution de médicaments et la répartition de ses équipes lors d’une épidémie de fièvre typhoïde, en 2015.
Améliorer les techniques d’agriculture et la gestion de l’eau
À ces exemples de bons coups technologiques pouvant être d’une aide cruciale aux États les plus pauvres s’ajoutent entre autres l’Internet des objets, pour améliorer les techniques d’agriculture et la gestion de l’eau, l’Internet par satellite, pour faciliter l’accès dans les régions éloignées, et l’utilisation des chaînes de blocs, pour simplifier l’organisation dans les camps de réfugiés.
« Nous pensons que les technologies seront une importante partie de la solution pour permettre aux pays d’atteindre les cibles de l’Agenda 2030 pour le développement durable », estime Angel Gonzalez-Sanz, en faisant référence aux 17 objectifs de développement durable établis par l’ONU en 2015. Ces objectifs touchent différents enjeux, comme l’éducation, l’éradication de la faim, la santé, l’environnement et la prospérité économique.
« Mais nous ne sommes pas des évangélistes qui croient que la technologie est la réponse à tout », prévient-il. Les risques associés aux nouvelles technologies sont aussi nombreux, et bien exposés dans le rapport.
Atteintes à la vie privée, pertes d’emplois liées à la robotisation et à l’intelligence artificielle, manque de transparence algorithmique, inégalité entre les sexes : plusieurs craintes soulevées par l’ONU pour les États émergents sont les mêmes que celles qui guettent les pays plus fortunés.
Les deux mondes ne sont pas sur un pied d’égalité pour autant, puisqu’un fossé technologique les sépare, et le retard accumulé pourrait être difficile à rattraper. « C’est un problème que la communauté internationale essaie de résoudre depuis des années », reconnaît Angel Gonzalez-Sanz. À l’heure actuelle, les technologies sont développées pour et par les pays riches, et les pays émergents n’ont souvent ni les ressources, ni l’infrastructure, ni les compétences pour en profiter.
L’évolution technologique au cours des dernières années rend tout de même le chef scientifique optimiste. « Certaines caractéristiques des nouvelles technologies pourraient permettre de réduire ce fossé. Leur coût diminue par exemple rapidement, à un rythme beaucoup plus grand qu’auparavant. Ces technologies sont aussi plus performantes et elles sont de plus en plus faciles à utiliser », note Angel Gonzalez-Sanz.
Conseils pour les pays émergents
Les États n’auront pas d’autre choix que d’adopter intelligemment les technologies de pointe s’ils souhaitent atteindre les objectifs de l’Agenda 2030. Mettre les politiques adéquates en place pour assurer cette transition risque toutefois d’être ardu. Dans bien des cas, les étapes à franchir avant de pouvoir espérer utiliser les mégadonnées pour enrayer une épidémie, par exemple, sont encore légion.
Le rapport de l’ONU liste plusieurs mesures à instituer pour les pays émergents. Au minimum, ceux-ci doivent notamment s’assurer d’avoir les infrastructures appropriées (électricité, Internet haute vitesse pour les entreprises) et de former les jeunes aux sciences, aux mathématiques et à la technologie.
« Il faut ensuite faciliter les connexions entre les entreprises et le secteur de l’éducation dans les pays développés, et instaurer de bonnes politiques d’investissements, qui garantissent que les connaissances puissent être transférées entre les deux nations », explique le chef scientifique. Les partenariats doivent donc avoir un effet de levier sur la croissance du pays pour simplifier son émancipation par la suite. « Dans bien des cas, il faut aussi mettre en place plusieurs politiques de base, qui sont souvent inexistantes, liées par exemple à la taxation, la concurrence et la protection des consommateurs », ajoute-t-il.
Pour la première fois, des technologies puissantes sont à la portée des pays émergents et elles pourraient leur permettre d’atteindre une croissance durable. Mais la transformation espérée ne se produira pas d’elle-même par magie. « Sans actions spécifiques par les gouvernements, prévient Angel Gonzalez-Sanz, le potentiel des technologies de pointe ne se réalisera tout simplement pas. »